Mélanie Geelkens

Véronique Pirotton est morte d’avoir été la chose de tant d’hommes. Le procès l’a jugée elle, plutôt qu’eux (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Véronique Pirotton est morte d’avoir été la chose de tant d’hommes. Le procès l’a jugée elle, plutôt qu’eux.

« Le sang et le sexe, le drame et le crime ont toujours fait vendre », écrit Pierre Bourdieu dans son ouvrage Sur la télévision. Et il y a dans Soupçons tellement de sang et de sexe, tant de drame et de crime que cette nouvelle série sur l’affaire Wesphael ne peut qu’être un succès d’audience pour Netflix, qui la diffuse depuis le 17 mars. « Les faits divers sont aussi des faits qui font diversion », ajoutait, plus loin dans le même livre, le sociologue français. Tout comme ce documentaire en cinq épisodes semble détourné du regard qu’il aurait fallu poser sur la mort de Véronique Pirotton.

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Une journaliste, devenue chargée de communication (à aucun moment, le reportage ne prend la peine de spécifier son métier), dont les circonstances du décès resteront à jamais inconnues. En 2016, les jurés de la cour d’assises de Mons ont décidé – malgré leurs doutes – que Bernard Wesphael ne l’avait pas étouffée. Ou, plutôt, qu’ils ne pouvaient pas être certains du contraire. Car peut-être s’est-elle suicidée, affirmait son mari lors de son arrestation. Ou peut-être un mélange de médicaments et d’alcool lui a-t-il été fatal, plaidèrent les avocats de celui-ci. Allez savoir. Personne ne saura plus, de toute façon.

Le comment de sa disparition reste donc un mystère. Pas le pourquoi. Véronique Pirotton a cessé de vivre parce qu’elle était une femme. Elle a cessé de respirer, le 31 octobre 2013 dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo à Ostende, asphyxiée par le patriarcat. « C’est un féminicide », comme le glisse dans le documentaire l’un de ses amis.

Car la Liégeoise n’aurait probablement pas été cette victime parfaite – écorchée, dépressive, alcoolique, infidèle, « nympho » (le terme est celui d’un ami de Bernard Wesphael) – si son père, porté sur la bouteille, ne l’avait pas dédaignée. Papa voulait un fils. Puis maman devait travailler, ne gagnait pas assez pour s’occuper de deux filles, donc Véronique a été confiée à ses grands-parents alors que son aînée était restée avec sa mère.

Enfant fragile, dont le professeur de religion aurait abusé, à tout juste 14 ans. Elle avait plus tard porté plainte pour pédophilie, attouchements, viols digital et pénien, sodomie. Affaire classée sans suite. Il niait. Comme Oswald, son amant psychologue, contestait l’avoir manipulée. Il l’aimait. Mais il la considérait comme un objet sexuel, la rabaissait, la bombardait de messages, de lettres venimeuses. « J’espère que tu vas crever d’un coma éthylique », lui écrivait-il après qu’ils se furent disputés. Il provoquait le mari, Bernard Wesphael. Qui, lui, refusait qu’elle le quitte, ne supportait pas qu’elle le trompe. Durant leurs fréquentes altercations, elle lui reprochait de ne pas participer aux tâches ménagères, de vivre à ses crochets. Elle partait à Ostende pour respirer, seule. « Je sais qu’elle aime sa solitude, raconte l’ancien député sur Netflix. Qu’elle adore se retrouver avec elle-même. » Pourtant, il était allé la rejoindre. Il voulait la récupérer.

Véronique Pirotton est morte d’avoir été la chose de tant d’hommes. Le procès l’a jugée, elle, plutôt qu’eux: sa consommation, sa violence verbale, ses aventures, sa sexualité auraient moins choqué si elles avaient été masculines. Sa soif « d’amour absolu », comme l’ont décrit ses proches, était par contre toute féminine. De celle qui est inculquée aux petites filles, biberonnées au mythe du prince charmant mais qu’elles s’efforcent de chercher toute leur vie, car on leur a toujours dit que leur bonheur en dépendait. Eduquées à la dépendance affective. Véronique Pirotton est morte de tout cela. Morte d’avoir été une femme.

#PrendsMaPlainte

Manque d’empathie, de professionnalisme, refus de prendre une plainte, banalisation… L’enquête « PrendsMaPlainte », menée (en ligne) par le collectif français #NousToutes et dévoilée fin mars, fait état de 66% d’insatisfaction parmi les près de 3 500 témoignages de femmes victimes de violences conjugales qui se sont rendues dans un commissariat pour déposer plainte. Des résultats bien éloignés de ceux du ministère de l’Intérieur qui, début mars, parlait de 90 % de satisfaction.

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jours de congés (payés), pour la mère comme son/sa conjoint(e): la Nouvelle-Zélande a voté, le 24 mars, ce dispositif légal pour celles qui feraient une fausse couche ou qui donneraient naissance à un enfant mort-né. Jusqu’à présent, les femmes dans cette situation devaient se mettre en congé maladie. « J’espère que si nous sommes l’un des premiers, nous ne serons pas l’un des derniers, et que d’autres pays commenceront à légiférer », a commenté la Première ministre, Jacinda Ardern.

Balance ton Pierre Ménès

Diffusé sur Canal + le 21 mars, le documentaire de Marie Portolano Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste a fait du bruit. Pour ce qu’il montre (des témoignages de journalistes sportives faisant état de sexisme, insultes, harcèlement) et pour ce qu’il n’a pas montré: une séquence où le chroniqueur Pierre Ménès réagit à des accusations d’avoir soulevé la jupe d’une collègue sur un plateau, face au public. Et de lui avoir agrippé les fesses. Il le « referait », confie-t-il, s’insurgeant qu’on ne puisse plus charrier une femme parce qu’elle est femme. Son employeur, Canal +, aurait fait couper la scène pour protéger sa vedette. La chaîne affirme qu’il s’agissait de laisser la parole aux journalistes victimes…

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