Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux: la taupe pleine de remords qui fascine la Flandre (chronique)

Pierre Havaux Journaliste au Vif

C’est un tournant qualifié d’historique que celui survenu au beau milieu des vacances de Pâques. Plus rien ne devrait être comme avant après le miniséisme enregistré dans l’univers archipopulaire des jeux télévisés flamands. De Mol (la taupe, en français), pur produit de la maison de production Woestijnvis, peut se vanter d’avoir fait le buzz sur la chaîne Play4.

Les règles de ce jeu sont d’une parfaite cruauté: parmi la poignée de candidats enfermés dans un même lieu et engagés dans une série d’épreuves, se glisse un saboteur chargé de les priver de leur gain. C’est à l’un des survivants qui, au terme de la compétition, démasquera l’imposteur que reviendra le privilège d’empocher la cagnotte. Cet éloge de la traîtrise, cet hymne à la duplicité, qui en est à sa dixième saison, fait toujours autant vibrer dans les chaumières du nord du pays.

Mais ce dimanche 10 avril en soirée, coup de théâtre! La vilaine taupe a craqué, l’affreux de service a jeté prématurément l’éponge en dévoilant son identité. « Je n’avais encore jamais failli et cela me brise », a confessé Philippe, kiné de son état, dans un message vidéo reçu par un million de téléspectateurs médusés. Dissimuler, ruser, nuire: c’était plus que son corps et son mental pouvaient supporter. Le traître en était arrivé à être trahi dans son propre sommeil. Cette nuit-là, l’un de ses compagnons de jeu l’avait surpris en train de rêver tout haut: « Il y a déjà 3 000 euros dans le pot, je suis en train de tout foutre en l’air. » Depuis, Philippe n’osait plus fermer l’oeil, de crainte de se faire griller. Alors, il a choisi de tirer sa révérence avant que ses forces physiques et émotionnelles ne l’abandonnent. La santé avant tout.

Comment la confession d’une taupe d’un jeu télévisé est jugée aussi efficace qu’une banale campagne de sensibilisation à la santé mentale.

Respect. Plus d’un expert en santé mentale a salué le pas de côté tandis que les commentaires allaient bon train sur les réseaux sociaux pour exprimer majoritairement compréhension et soutien à cet aveu de fragilité. Pas de pitié pour les faibles? Rien du tout. On n’a pas fait grief à la taupe de n’avoir pas pu jouer le jeu jusqu’au bout, d’avoir failli à sa sale besogne par incapacité à dépasser ses limites, d’être trop vite sorti de sa zone d’inconfort.

L’ affaire, qui a fait grand bruit en Flandre, y a au contraire remué les consciences parmi les téléspectateurs, nombreux à s’être reconnus dans cette détresse mentale. D’autres ex-taupes ont confié les affres d’un « job de merde » vécu 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, trois semaines durant, à donner le change, à communier avec les autres compétiteurs pour mieux les trahir.

Les éditorialistes ont trouvé là une belle occasion de disserter sur la résistance à la pression au boulot, de philosopher sur ce mal du siècle qu’est le stress engendré par l’impératif de performance. Et voilà comment la confession d’une taupe d’un jeu télévisé est jugée aussi efficace qu’une banale campagne de sensibilisation à la santé mentale. Même le ministre flamand en charge du Bien-être, Wouter Beke (CD&V), y est allé sur Facebook de son mot d’admiration pour le choix de Philippe: « Nous vivons dans une société où il n’y a pas de mal à ne pas aller bien un moment. » On ne lui tiendra même pas rigueur d’avoir gâché la fête, un autre saboteur est déjà à l’oeuvre. The show must go on.

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