Hervé Hasquin

Vaccinations et Religions (carte blanche)

Hervé Hasquin historien, écrivain, académicien

Mains sales. Eau polluée. Promiscuité. Trois éléments clefs depuis toujours dans la propagation des épidémies.

« S’il était possible d’empêcher toute communication entre les différents malades et ceux qui sont encore sains, ce serait sans doute le meilleur moyen de mettre fin à la contagion. Mais comment tenir séparées des personnes que la misère, pestilentielle d’elle-même, rassemble nécessairement dans la même chaumière et souvent dans la même couche ? » Cet écrit – l’orthographe a été modernisée – a des accents contemporains. Il date pourtant de septembre 1779. Son auteur, haut magistrat namurois, avoue son impuissance face à l’épidémie de dysenterie qui ravage le comté de Namur et bien d’autres contrées de nos régions …

Une maladie fait surtout peur. Elle tue beaucoup. La variole ou « petite vérole ». Sans distinction de classe ! Louis XV, roi de Francce, en meurt en 1774. A peine monté sur le trône, Louis XVI finit par se faire inoculer. C’est l’ancêtre de la vaccination contre la variole, inventée par l’anglais Edward Jenner en mai 1796. Dès les annés trente du siècle des Lumières, Voltaire, suivi par quelques médecins et philosophes éclairés, s’était fait le propagandiste d’une technique surprenante : la variolisation ou inoculation de la variole. A très petite dose, elle déclenche un début bénin de la maladie, mais immunise la plupart du temps. Les familles régnantes franchissent le pas … Essentiel de préserver la dynastie. Marie-Thérèse, à la tête de la monarchie austro-hongroise, n’agit pas autrement que Louis XVI à l’égard de ses enfants. Mais n’imaginons pas que le combat est gagné. Le monde médical est divisé. Une majorité du clergé catholique combat ouvertement la technique thérapeutique. Comment ose-t-on entraver « les desseins de la Providence » ?

Ce refrain a la vie dure. La découverte décisive de Jenner révolutionne la médecine. Il utilise du pus provenant d’une maladie bénigne, la vaccine de la vache (cow-pox). Le résultat est spectaculaire. L’immunisation radicale contre la variole. Vers 1800, la technique pénètre sur le continent européen. Et bientôt en Amérique et en Asie, notamment dans les colonies anglaises. Mais que d’obstacles religieux et psychologiques ! Toujours d’actualité !

Au début de cette année, l’institut américain Pew Research Center a livré quelques statistiques ébouriffantes. Aux Etats-Unis, 45 % des « évangéliques blancs » disent refuser le vaccin. Ils l’associent à « la marque de la bête », symbole de soumission à l’Antéchrist ! Une méfiance générale à l’égard de la science. Déjà en 2017, bien avant le Covid, 20 % de ces évangéliques ont un avis tranché : les parents ont le pouvoir de décider de ne pas vacciner les enfants. « Même si cela peut créer des risques pour la santé d’autres enfants et adultes » !

Très nombreux aux Etats-Unis, les évangéliques sont en passe d’égaler, voire de dépasser en nombre les catholiques en Amérique latine. Au Brésil, par exemple. Ils sont implantés partout en Europe occidentale. Leur présence à Bruxelles est fâcheusement sous-estimée. Le pasteur Tony Spell (Louisiane) proclame haut et fort : « Nous sommes anti-masques, anti-distanciation sociale et anti-vaccin ».

Les intégristes catholiques, héritiers de l’Eglise de la Fraternité Saint-Pie-X de Monseigneur Lefebvre, se comportent souvent à l’identique. Certains, regroupés dans Civitas dénoncent en France et en Belgique la « dictature sanitaire ». Ils stigmatisent la « thérapie génique », Bill Gates, la Big Pharma, la science en tant que menace contre l’ordre moral. En 2013, on les retrouve parmi les activistes de la Manif pour tous contre la loi française autorisant le mariage homosexuel. Pas de doute quant aux liens avec l’extrême droite !

La licéité des composants des vaccins divise également Musulmans et Juifs. Est-ce halal ? Est-ce casher ? Les ultra-orthodoxes juifs sont indiscutablement méfiants. Les Chiites sont beaucoup plus réceptifs à la vaccination que les Sunnites. Mais, globalement, les études montrent que les populations musulmanes en Amérique du Nord et en Europe sont les moins promptes à se faire vacciner. En dépit des encouragements de l’université Al-Azhar et des prises de position de nombreux imams. Refus fréquent également d’être traité par des infirmières ou des médecins féminins. De toute façon, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, le recrutement de soignants parlant arabe facilite l’adhésion …

Et l’Asie ? L’Inde produit certes de grandes quantités de doses …, très largement destinées à l’exportation ! Gandhi n’était pas partisan de la vaccination, un produit de la colonisation. Les hindous restent parmi les plus mauvais élèves. Le premier ministre de l’Uttar Pradesh, hindou à la tête de l’Etat le plus peuplé d’Inde, vante les mérites de la médecine traditionnelle pour se protéger du Covid. Aucune confiance dans la vaccination de masse !

Et le bouddhisme ? Certes, le Dalaï-lama a accepté la vaccination et la recommande. Mais pas d’unanimité. Les bouddhistes sont rebelles au Vietnam, en Mongolie, en Thaïlande notamment. En revanche, les Birmans vont résolument de l’avant … Mais sans doute que les militaires n’y sont pas étrangers !

Oui, les populations les plus précarisées sont davantage réticentes à l’égard des techniques médicales innovantes. Mais c’est une erreur d’appréciation de ne prendre en considération que le critère économique. Pas de marxisme puéril ! Les religions et les cultures traditionnelles constituent des obstacles autrement infantilisants. Dès lors, imposer l’obligation de la vaccination paraît une nécessité. Il serait temps qu’en Europe, et à Bruxelles en particulier, le personnel politique soit plus courageux. La pédagogie ne suffit pas. De tout temps, l’irrationalité est restée imperméable aux arguments rationnels. Le siècle des Lumières a ouvert bien des horizons, mais l’obscurantisme reste à nos portes.

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