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Une semaine critique attend Charles Michel

Dans exactement une semaine, le 10 décembre, le Pacte des Nations Unies sur les migrations sera signé à Marrakech. Une semaine haletante, car nul ne sait si le Premier ministre Charles Michel sera effectivement présent ou si son gouvernement sera tombé d’ici là.

La crise qui entoure le Traité de l’ONU sur les migrations est en train d’atteindre son paroxysme. Le Vice-Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a interrompu sa visite en Afrique du Sud pour rentrer dare-dare à Bruxelles. Le Premier ministre Charles Michel (MR) est l’un des rares chefs de gouvernement à ne pas se rendre à la COP24 en Pologne aujourd’hui. Les téléphones ont aussi du chauffer puisque tout au long du week-end, Michel a multiplié les contacts téléphoniques avec ses vice-Premiers. Ces derniers n’ont cependant pas encore reçu sa proposition. Si la tension semble à son comble, c’est que le dénouement, heureux ou non, est proche. Quoiqu’il arrive, le temps n’est plus aux atermoiements.

Une proposition pour sortir de l’impasse

Le Premier ministre devrait, après une concertation avec ses collègues européens, proposer une proposition pour sortir de l’impasse sur le pacte des Nations Unies sur les migrations lors d’un kern qui devrait probablement avoir lieu dans la journée. La majorité fédérale est en effet toujours divisée sur l’attitude à adopter concernant le Pacte onusien. Le MR, l’Open Vld et le CD&V veulent approuver le texte comme le Premier ministre s’y est engagé en septembre dernier à la tribune de l’ONU. La N-VA se déclare opposée à ce pacte, dont elle affirme redouter les effets dans l’ordre juridique belge qui compliqueront la politique migratoire du pays. Le Premier ministre travaillerait vraisemblablement à l’élaboration d’une déclaration interprétative à joindre au document onusien pour apaiser les craintes des nationalistes flamands. Une déclaration qui ne serait donc juridiquement contraignante comme demandé par les Pays-Bas. La question reste de savoir combien de pays européens vont embarquer et si la N-VA en sera satisfaite. Dans l’entourage des ministres N-VA, on affirme pour l’heure ne pas avoir reçu de proposition du Premier ministre.

Les lignes brouillées au sein même de la N-VA

Des dissensions existeraient au sein de la N-VA selon la Libre. Certain, comme Peter De Roover et Theo Francken, seraient déterminés à aller au clash, tandis que Bart De Wever et Jan Jambon seraient plus souples. Ces informations sont néanmoins démenties par des sources au sein du parti qui affirme que c’est absurde et une source gouvernementale précise que « Jambon est encore plus dur que Francken sur le contenu du pacte ». « Il n’y a pas de désaccord entre eux. Faire chuter le gouvernement ne serait considéré par aucun des deux comme un objectif », précisent-elles. En attendant, la N-VA se tâte toujours. « Non, le pacte n’est pas acceptable », a réitéré le sénateur Pol Van Den Driessche dans De Zevende Dag, avant de préciser qu’il « ne voulait pas non plus d’une crise gouvernementale ». Francken a lancé une salve de tweets montrant son scepticisme envers le pacte et Jambon vient d’annoncer, à son arrivée au bureau du parti, que la note interprétative jointe au Pacte de l’Onu sur les migrations ne suffira pas à apaiser l’opposition de la N-VA. « C’est le pacte lui-même qui est problématique », a-t-il ajouté.

Bart De Wever refuse que le gouvernement fédéral soit représenté à Marrakech

« Un gouvernement qui va à Marrakech est un gouvernement que nous ne soutenons pas », a asséné lundi le président de la N-VA Bart De Wever à l’issue d’un bureau de son parti, ajoutant une pression supplémentaire sur les épaules du Premier ministre Charles Michel. Lors de son bureau, la N-VA a confirmé son rejet du pacte migratoire, mais aussi son refus d’une note interprétative qui serait jointe au pacte, piste envisagée par le MR, le CD&V et l’Open Vld pour sortir de l’impasse qui menace la stabilité du gouvernement. Pour autant, la N-VA ne veut pas que le gouvernement tombe, assure M. De Wever. Il demande que l’on continue à rechercher des solutions au sein de l’équipe Michel. « On n’a pas encore discuté sérieusement de ce pacte au sein du gouvernement », selon lui. « Nous ne sentons pas ce pacte et nous ne l’approuverons pas », a-t-il assuré. La N-VA se voit reprocher par ses partenaires d’avoir retourné sa veste dans ce dossier. Bart De Wever réfute l’argument selon lesquels son parti n’aurait pas multiplié les points de vue critiques ces dernières années. « Ce qu’on peut nous reprocher c’est d’avoir trop tardivement fait comprendre clairement que ceci était impossible pour nous. Mais cela, on peut le reprocher à de nombreux autres pays européens qui se désengagent aujourd’hui. Il vaut mieux s’arrêter à mi-chemin que persévérer dans l’erreur », a précisé Bart De Wever. Il affirme que « l’intention n’est pas de railler le Premier ministre ». Bart De Wever entrevoit encore un « passage étroit » permettant de sortir de l’impasse. Pour cela, il faut que le gouvernement se réunisse, dit-il. « Le gouvernement ne s’est encore jamais réuni sérieusement au sujet de ce dossier, au maximum durant un quart d’heure, à la marge ». La N-VA est elle-même disposée à proposer des solutions. Bart De Wever s’est cependant gardé de les dévoiler.

Une semaine critique attend Charles Michel
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Mardi, journée à haut risque

De toute façon si le Pacte est  » adopté  » lors de cette conférence de Marrakech, il ne sera  » officiellement ratifié  » que lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, début 2019. De quoi permettre de gagner un peu de temps.

Mardi, la commission des Relations extérieures de la Chambre décidera, après avoir entendu 7 experts (Jean-Luc Bodson, ambassadeur, envoyé spécial Migration et Asile du gouvernement, qui a participé aux négociations du Pacte, l’avocat Fernand Keuleneer, Anne Lagerwal, professeure à l’ULB, Pierre d’Argent, professeur à l’UCL, Ellen Desmet, chargée de cours à l’UGent, Jan Wouters, professeur à la KULeuven et, en principe, Marc Bossuyt, ancien président de la Cour constitutionnelle) si Charles Michel peut être envoyé à Marrakech avec une majorité alternative. A moins qu’il n’ ait de compromis d’ici là, ce vote est potentiellement à haut risque puisqu’en établissant une majorité de rechanges, il exclurait la N-VA, adversaire du Pacte. Cette option semble tout de même irréaliste, car du coup ce n’est pas alors la N-VA, mais les autres partis qui provoqueraient la chute du gouvernement. Les experts sont aussi un peu là pour la galerie, « Car après tout, il s’agit surtout d’un problème politique et non pas juridique », stipule le professeur Jan Wouters (KU Leuven) dans De Standaard.

« Si le gouvernement tombe, c’est parce que la N-VA a voulu le faire tomber et pas à cause d’un problème insoluble »

D’après le politologue Dave Sinardet, le risque d’une chute de l’exécutif fédéral a toutefois augmenté. « Mais s’il tombe, ce sera parce que la N-VA a voulu le faire tomber et pas à cause d’un problème insoluble », explique-t-il. « Les Pays-Bas et l’Allemagne ont démontré qu’une voie de sortie existait ». L’ensemble de la crise doit être analysée à la lumière des élections locales du 14 octobre dernier, ajoute M. Sinardet. « La N-VA a perdu des voix au profit du Vlaams Belang et il y a des indications que le parti entend porter encore plus la question migratoire sur le devant de la scène », détaille-t-il. À titre d’exemple, le politologue cite la récente limitation par M. Francken du nombre de demandes d’asile enregistrées chaque jour ou encore le déménagement du terminus de De Lijn situé à la garde du Nord. « Faire tomber le gouvernement reste cependant un risque à l’égard des entrepreneurs, qui votent pour la N-VA en tant que parti responsable au gouvernement », avance-t-il, tout en précisant que d’autres scénarios sont possibles. Un départ de Theo Francken du gouvernement ne serait notamment pas à exclure.

Une chute du gouvernement signifierait chaos et temps perdu

Le président du CD&V Wouter Beke a lui plaidé ce lundi dans De Ochtend (VRT radio) pour une sortie de l’impasse actuelle. « Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait des élections anticipées », croit savoir M. Beke. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », ajoute-t-il. Il affirme ne pas comprendre pourquoi la N-VA « freine si soudainement » sur le pacte de l’Onu, après deux années de négociations. Pour le président des chrétiens-démocrates flamands, Charles Michel doit approuver le Pacte. Wouter Beke dit espérer « une solution intelligente ». Il veut absolument éviter une chute du gouvernement, dit-il. « Cela signifierait trois mois de chaos jusqu’aux prochaines élections, ce serait du temps perdu. Les gens sont préoccupés par le climat et par leurs revenus, les employeurs par la pénurie sur le marché du travail ».

Gwendolyn Rutten croit elle aussi en Charles Michel

« Je crois dans la capacité du Premier ministre à trouver une solution à l’impasse du gouvernement fédéral », a déclaré lundi la présidente de l’Open Vld Gwendolyn Rutten sur les ondes de la VRT (Radio Eén). Tout comme le président du CD&V, Rutten dit vouloir éviter des élections anticipées. « Personne ne pourrait défendre un message. Les gens sont allés voter en octobre, ils doivent y retourner en mai, ce serait fou de convoquer en plus des élections anticipées ». La présidente des libéraux flamands se rassure quelque peu en entendant la N-VA affirmer ce week-end qu’elle ne comptait pas faire chuter le gouvernement. « Nous avons pu faire de bonnes choses. Ce serait dommage de tomber si près du but ». Si elle apporte son soutien au Premier ministre, elle dit cependant aussi comprendre la position de la N-VA. « Si cela vit au sein de la population, on doit l’entendre ». Mme Rutten se rallie à l’idée d’une déclaration interprétative jointe au pacte pour éviter tout malentendu, par exemple concernant le regroupement familial.

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