La rédaction du Vif

Une sacrée paire invite Victoria Defraigne: naître et ne pas être (chronique)

Durant six numéros, ces chroniques estivales s’ouvrent à d’autres plumes et d’autres points de vue, pour d’autant mieux questionner les inégalités de genre au sein de la société. Après Victoria Defraigne qui évoque les transidentités dans ce quatrième épisode, retrouvez le 12 août l’humoriste Dena Vahdani.

Qu’est-ce qu’être une femme? Comment peut-on être une femme? Qui peut être une femme? Ces questions m’ont longtemps hantée, perturbée, apeurée. Je n’avais aucun mode d’emploi de la féminité. Je n’avais plus mon regard innocent pour admirer ma mère et la voir comme un modèle. Ma grande soeur était déjà trop grande pour que j’attende d’elle qu’elle m’aide à devenir la femme que je voulais être. Ou plutôt, la femme que je devais prouver que j’étais, puisque cela ne m’avait pas été attribué à la naissance. Comment convaincre les autres de quelque chose que l’on ne comprend pas?

Après une remise en question pendant des années pour comprendre mon identité de genre, il me fallait l’attester. Du directeur de mon collège aux élèves de ma classe, j’étais à la merci du regard des autres. Jusqu’au jour où un psychologue, habitué à accompagner des personnes transgenres, m’a demandé: « C’est quoi, être une femme? »

C’était probablement une des premières fois de ma vie qu’on me posait une colle pareille. Ma mère était présente, on s’est regardées sans comprendre le sens de cette question, ni même la réponse qu’attendait cet homme cisgenre qui osait discuter ma féminité. J’ai compris, à ce moment-là, que le chemin vers l’acceptation de toutes et tous allait être long et laborieux.

Depuis, je ne compte plus les questions sans queue ni tête. A force de rencontres, je me suis bien rendu compte qu’elles n’étaient que très peu variées: « T’as quoi entre les jambes? Ça se passe comment avec toi au lit? Tu t’appelais Victor avant? » Tout tourne toujours autour des mêmes sujets objectivants. Notez que la dernière question reste ma préférée, explicite des attentes que les personnes cisgenres peuvent avoir envers les personnes trans.

Puis parfois, je suis face à des gens qui s’intéressent un peu plus à la personne que je suis, ou qui se rendent compte qu’il y a des questions bien plus pertinentes à poser. Pour citer la plus récente: « Comment arrives-tu à te retrouver dans la binarité du genre en étant transgenre? »

Touché. Pourquoi est-ce que je tiens absolument à tendre vers un extrême inatteignable du spectre du genre, alors que j’ai dû déconstruire tout le concept du genre pour pouvoir pleinement accepter ma transidentité. En une astucieuse question, cette personne avait réussi à me faire réfléchir à mon identité de genre, comme personne ne l’avait fait auparavant. Sa question a débouché sur quelque chose de positif pour moi, et ça, c’était bien la première fois.

Comme bien d’autres choses, le genre est une construction sociale, sûrement une des plus ancrées dans la société actuelle. Avec elle viennent des attentes, des obligations, des droits, des devoirs et des interdictions. Heureusement, tout cela commence à changer. Les jeunes générations, avec l’aide des réseaux sociaux, arrivent enfin à déconstruire des concepts bien installés dans l’imaginaire collectif des générations plus âgées.

La crise sanitaire nous a également montré que notre mode de fonctionnement n’était pas si intangible que ça. Présentiel, distanciel, gestes barrières, et bien d’autres termes que nous n’avions jamais entendus auparavant, font maintenant partie intégrante du langage courant. Si seulement les concepts d’identité et d’expression de genre, de dysphorie, de transition, pouvaient, eux aussi, entrer dans notre quotidien avec autant de facilité. Que des questions telles que « quels sont tes pronoms » prennent le dessus sur « quel est ton prénom de naissance? ».

Ce fameux prénom de naissance. Une autre construction sociale, qui a tant de place dans notre société. Un prénom, choisi par une ou plusieurs personnes, qui nous suivra pour un moment de notre vie, ou pour son entièreté. Pourquoi est-ce donc tellement impressionnant de le changer?

Avec l’expérience, je me suis bien rendu compte qu’être une femme, c’était tout bonnement impossible. Ce concept est tout sauf unique. Il ne faut pas que je sois une femme, il faut que je sois la femme que je suis. Et si c’est avec une part de masculinité, ou si ça s’éloigne des attentes binaires, c’est tout autant valable. Tout comme il y a autant de transidentités que de personnes transgenres, il y a autant de façons d’être une femme, que de femmes sur Terre.

Victoria Defraigne

Non, elle n’a jamais été un garçon. Non, elle n’est pas née dans le mauvais corps. Non, elle ne s’appelait pas Victor, avant. Mais oui, elle a toujours été sûre d’être une personne trans. Sur son compte Instagram (Victoria Piya), Victoria Defraigne déconstruit les clichés liés aux transidentités. L’étudiante (en sciences) bruxelloise de 21 ans y évoque le coût d’une transition, les faux compliments (genre: « T’es plus féminine qu’une femme »), la transphobie qui parfois s’ignore, l’exacerbation médiatique du phénomène de détransition, le taux de suicide chez les jeunes trans… Et milite pour le féminisme, contre le patriarcat.

Une sacrée paire invite Victoria Defraigne: naître et ne pas être (chronique)

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