Une des tendances voyage: la quête de grands espaces, loin des villes et des populations denses. © C. Jonas Denil/Unsplash

Une note d’espoir dans une année pourrie: la Wallonie séduit un nouveau public, les Wallons

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Le tourisme au temps de la Covid a été synonyme, pour beaucoup, de petites épopées de proximité. L’occasion de (re)découvrir un pays qui est ainsi parvenu à compenser en partie l’absence de visiteurs étrangers. Du moins à la côte et à la campagne.

Photographe de renom et grand voyageur, Benoît Feron a sillonné le monde. Il s’est notamment fait connaître pour ses portraits des tribus de l’Est africain, ses plongées au coeur du plus grand pèlerinage indien ou du mythique festival Burning Man, au Nevada. L’été dernier, Covid oblige, il s’est rabattu sur l’Europe et plus précisément la côte atlantique, qu’il a longée en van, de la Belgique à la Galice espagnole, avec sa compagne. « Une fabuleuse expérience qui donne un sentiment de liberté totale, témoigne cet amoureux des grands espaces. A refaire sans hésiter. »

On a séduit un nouveau public qui a découvert que les vacances en Wallonie n’étaient pas une punition. »

C’est l’une des tendances du tourisme au temps du coronavirus : le retour des vacances de proximité en véhicule privé, histoire de préserver sa bulle et d’éviter la promiscuité pendant ses déplacements. On a vu resurgir les combis vintage type VW ou Westfalia – d’origine ou remis aux normes du jour -, les 4×4 genre Land Rover Defender avec tente sur le toit et, bien sûr, les camping- cars traditionnels. Mais le must, c’est la fourgonnette moderne, confortable et dotée d’une motorisation aussi puissante que peu polluante, aménagée pour l’occasion. La société française Campinambulle, par exemple, s’est spécialisée dans l’équipement amovible de véhicules utilitaires pour les périples itinérants. Il suffit de choisir le modèle de malle adapté à ses besoins et à la taille de l’engin, avec couchette(s), cuisine, rangements et table télescopique. Totale liberté à la clé.

Vases communicants

Avec ou sans « car », qui dit camping dit nature, et voilà bien une deuxième tendance de l’époque : la quête de grands espaces, loin des villes et des populations denses. Dès la sortie du premier confinement et jusqu’à cet hiver, à en juger par les taux de réservations qui dépassaient déjà fin octobre les 70 % en Ardenne pour les vacances de Noël, selon Wallonie Belgique Tourisme (WBT). L’appel de la nature qui s’est emparé des Belges, dès juin, a fait le bonheur d’une grande partie de la Wallonie, jusque dans les Fourons. Repris voici deux ans par un jeune couple d’hôteliers flandriens, la petite auberge The Kings Head Inn de Teuven, entre Liège et Maastricht, n’a pas désempli tout l’été.

« Nous accueillons généralement beaucoup de Néerlandais et d’Allemands qui aiment faire du vélo dans le coin, mais cette année, nous avons eu énormément de Belges restés au pays, témoigne le patron, Jonas Keusters. La plupart visitaient la région pour la première fois. » A l’ère du staycation, terme à la mode pour désigner les vacances près de chez soi (contraction de « stay » et « vacation »), bien des voyageurs privés de contrées lointaines ont découvert la richesse de la nature qu’ils avaient sous la main.

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« Selon le principe des vases communicants, les visiteurs nationaux ont en partie compensé, cet été, l’absence des touristes étrangers, confirme Pierre Coenegrachts, directeur général adjoint de WBT. Plus de 80 % des vacanciers étaient belges, au lieu des 50 % habituels. 2020 ne sera pas une année formidable mais on ne s’en sort pas trop mal. Surtout, on a séduit un nouveau public qui a découvert que les vacances en Wallonie n’étaient pas une punition, tant l’offre de loisirs et d’activités y est riche et diversifiée. C’est une clientèle que nous allons maintenant tenter de fidéliser. »

Cap vers la nature

Le même principe a permis au littoral de « sauver l’été », souffle Stefaan Gheysen, le patron de Westtoer, l’office du tourisme de Flandre-Occidentale. « L’automne s’annonçait bien, avant que le virus ne reparte à la hausse et que le pays se reconfine. L’hiver dépendra de l’évolution de la situation mais on ne se fait pas de souci pour l’an prochain, on s’attend à ce que le staycation devienne la nouvelle vague à moyen terme, quand nous aurons appris à vivre avec le virus. Il suffit de voir les performances de l’immobilier : beaucoup de gens investissent à la côte, où ils s’apprêtent à revenir en masse. » Signe des temps : le littoral mise aussi sur l’appétit du public pour la nature. Nos douze stations balnéaires mettent notamment l’accent sur les randonnées à pied ou à vélo, avec un festival de nouveaux circuits balisés – dont une nouvelle « kustroute » intégrée à l’Eurovéloroute 4, qui relie Roscoff (Bretagne) à Kiev (Ukraine) via notamment les 65 km de côte belge. « Dont moins d’un tiers seulement est urbanisé, souligne Stefaan Gheysen, on le sait peu. Nous avons énormément de dunes, de bois, de réserves naturelles à visiter. »

Beaucoup de gens investissent à la mer, où ils s’apprêtent à revenir en masse.

S’évader au (télé)travail

Voilà qui constitue un défi pour les villes jadis touristiques et en particulier les capitales, reconnaît le porte-parole de visit.brussels, Jeroen Roppe. « Comme ce fut le cas dans les pays voisins, beaucoup de Belges ont choisi de visiter la Belgique mais nous ont préféré la mer et la campagne. » Privée des voyageurs d’affaires (50 % des nuitées en temps normal) et d’une partie des touristes étrangers, Bruxelles n’a pas pu compter sur ses compatriotes pour remplir ses hôtels. Beaucoup sont restés fermés – la Brussels Hotels Association évoquait fin octobre un chiffre d’affaires global en baisse de 90 %. Certains se sont cependant réinventés. L’hôtelier Jean-Michel André, par exemple, a imaginé le concept Brussels Social Club invitant les clients à privatiser une chambre de son Jam Hotel pour y dîner ou y faire la fête en respectant la bulle de dix imposée à l’époque. Et à l’entame du confinement de novembre, il transformait ses deux autres établissements bruxellois, le Berger et le Jardin Secret, en une sorte de pension de famille. « Un hôtel où ceux qui se sentent trop seuls chez eux, qui ne supportent plus leur conjoint ou la promiscuité, bref qui ont besoin d’évasion, peuvent séjourner à la quinzaine pour un tarif d’appel en demi-pension. » Une autre façon de s’évader, surtout si l’on est contraint au télétravail.

Les Belges ont privilégié les séjours en
Les Belges ont privilégié les séjours en « bulles ».© D.R.

Les tendances post-Covid

A l’échelon international, les leçons tirées par le secteur du voyage sont nombreuses. Une vaste enquête menée cet automne dans vingt-huit pays par le géant de la réservation en ligne booking.com a livré quelques pistes encourageantes. Ainsi, on peut affirmer que la flexibilité sera de mise du côté des réservations, que le rapport qualité-prix sera toujours plus essentiel et que l’aspect « durable » entrera en ligne de compte, puisque la moitié des voyageurs interrogés souhaite se déplacer de façon plus respectueuse de l’environnement à l’avenir et une majorité se dit prête à payer un peu plus cher pour que ses émissions de CO2 soient compensées. La proximité restera également un critère important : quelle que soit leur nationalité, près de la moitié des répondants prévoient de voyager dans leur propre pays ou pas trop loin l’an prochain. Ils se laisseront séduire par une offre qui sera principalement familiale : des groupes comme Center Parcs ou Pierre & Vacances ont d’ailleurs connu un quatrième trimestre totalement inespéré en matière de chiffre d’affaires, malgré les mesures sanitaires contraignantes. Mieux : alors que ces familles ont toujours plébiscité l’organisation « longtemps à l’avance », afin de bénéficier des offres les plus intéressantes, elles n’ont désormais plus la moindre crainte à réserver en last minute. Enfin, on observe que le touriste de demain sera toujours plus connecté, comptant plus que jamais sur les technologies mobiles pour en savoir plus sur la destination ou l’hébergement proposé (notamment via des visites virtuelles). Beaucoup attendent aussi du secteur qu’il investisse dans l’innovation pour améliorer leur sécurité en voyage, y compris sur le plan sanitaire.

Les défis

Réinventer l’hôtellerie

La crise sanitaire pourrait faire perdre 20 % de ses plumes à l’hôtellerie en Europe. Une occasion unique de faire émerger de nouveaux types d’hôtels « à taille humaine » qui, au lieu de vouloir sans cesse monter en gamme afin d’appâter une clientèle spécifique, vont tenter de séduire des profils plus diversifiés. Par exemple ? Des visiteurs « locaux » en quête d’une parenthèse près de chez eux, mais aussi des gens qui viendraient profiter d’un cadre inédit pour télétravailler. Un repositionnement qui passera par une offre inédite de services : espaces de coworking, propositions culinaires accessibles, activités de détente adaptées, etc. En Chine, où ce repli fonctionne à merveille, certaines régions ont même distribué des chèques-cadeaux à leurs habitants pour relancer la machine.

Universaliser le tourisme green

Le rêve de trips plus verts date d’avant 2020, mais la Covid lui a donné une copieuse dose d’espoir. Surtout qu’une étude australienne rappelait récemment que 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre étaient dus aux voyages (transport, alimentation, achats sur place, etc.). Les idées en cours ? Des hébergements toujours plus impliqués (niveau matériaux de construction, ventilation, consommation d’eau et d’électricité, etc.), des agences qui proposent des séjours impliquant moins de vols, mais aussi des baroudeurs qui exigent eux-mêmes de fuir les blockbusters habituels pour découvrir des zones plus rurales et moins fréquentées. L’enjeu suprême : ne pas réserver tout cela à une élite, c’est-à-dire rendre l’addition suffisamment démocratique.

Soutenir le local

Le challenge des années à venir sera passionnant : continuer à séduire les foules avec une offre locale. Pour cela, il va falloir apprendre à mettre en lumière les enseignes de terroir, les artisans ou les petits musées qui font la richesse des régions jusqu’ici camouflées par le tourisme de masse. « Arrêtons aussi de faire la promotion de lieux définis, et de construire en communication des clichés de villes qui favorisent la standardisation du tourisme, faisons la promotion d’expériences de rencontre, de diversité« , clame Charles-Edouard Girard, cofondateur de HomeExchange (plate-forme d’échanges de maisons). Cela en instaurant un dialogue positif avec les « locaux » qui ont acquis une vision négative d’un voyageur imprudent et irrespectueux… car on ose croire que celui-ci est en train de changer.

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