Carte blanche

Une Démocratie religieuse !

Contrairement à ce qu’On ne cesse de claironner, on n’échappe pas aussi aisément au discours religieux. Avoir la foi en une religion ne consiste en effet pas seulement à croire en un Dieu unique ou en l’immortalité de l’âme ou en un paradis truffé de « houris aux grands yeux noirs semblables à des perles » ou encore au Jugement dernier.

Si une religion se caractérise par : 1/ un Maître-mot (Dieu ou Économie), transcendant et censé gouverner les êtres et les choses du monde; 2/ des promesses de bonheur ou de malheur miroitées au futur; 3/ l’exhortation adressée aux humains de réaliser, ici-bas, quelques sacrifices (de luxure ou pécunier) pour atteindre cet état hypothétique de bonheur (2/); et 4/ l’octroi d’une reconnaissance et/ou de récompenses aux « fidèles » et d’une déchéance d’être et/ou de punitions aux « infidèles », alors force est de constater que l’actuel discours dominant dans lequel nous baignons, toutes et tous, celui de l’Économie, est d’ordre fondamentalement religieux.

Pourtant, à suivre le philosophe Claude LEFORT, contrairement à l’Être du discours religieux (Dieu) ou totalitaire (la Race dans le Nazisme ou le Parti dans le Communisme) qui s’évertue à occuper un « lieu vide » et à ainsi réellement machiner êtres et choses, dans la société démocratique, ce lieu vide bien loin d’être occupé se manifesterait lors des élections elles-mêmes. Que trahissent en effet les élections si ce n’est que la société démocratique ne sachant pas qui elle est accorde au Peuple la possibilité périodique de lui conférer une identité, nécessairement, temporaire ou évanescente ? C’est du fait, en d’autres mots, que la société démocratique ne dispose d’aucune identité stable ou éternelle, économique ou religieuse, politique ou scientifique, qu’elle recourt périodiquement aux élections. Et celles-ci, comme on le sait, élisent des représentants – et non des présentants – de la société censés, pour un temps donc, la gouverner.

Or à quel malaise précis sommes-nous confrontés dans notre actuelle démocratie ? À un lieu vide, assurément, anémié et malmené, qui ne cesse de voir passer, repasser et re-repasser des représentants politiques qui n’ont désormais que ce Maître-mot en bouche : Économie – avec, bien entendu, ces autres maîtres-mots qui l’accompagnent toujours : Progrès, Technique, Consommation… . Et si l’Économie, depuis des lustres, n’a pas cessé d’occuper le lieu vide, ce dernier, au fil du temps, s’est retiré au seul profit du déferlement de l’Économie.

Et quelle est donc la conséquence majeure de ce retrait et de ce déferlement ? Si la société démocratique prétend donc désormais savoir ce qu’elle est, une société économique, alors êtres et choses du monde n’existent ou ne valent qu’en tant qu’ils participent à l’économie. En dehors de cette dernière, êtres et choses ne seraient ou ne vaudraient donc rien !

L’Économie actuelle produit ainsi trois types d’êtres : les « hommes-rentables », les « hommes-jetables » (B. OGILVIE) et les « hommes-jetés ». Définissons l’homme-rentable ainsi : un homme ou une femme qui travaille et consomme, donc participe à l’essor économique. Et l’homme-jetable ainsi : un homme ou une femme (chômeuse, allocataire sociale) qui faute de ne pas travailler et de consommer, c’est-à-dire faute donc de ne pas collaborer à la Top Santé de l’Économie, est priée de tout mettre en oeuvre afin de regagner le camp des êtres rentables, travailleurs/consommateurs. Et, par conséquent, l’homme-jeté ainsi : un homme ou une femme sans emploi, exclue du droit au chômage ou de l’allocation d’intégration sociale (CPAS), et dès lors priée de se faire oublier aux marges de la société. Les hommes-jetables, contrairement donc aux hommes-jetés, ne sont donc pas oubliés car, on le sait, eux, ils coûtent à l’État. Du fait qu’ils coûtent, On ne les oublient donc pas. D’où les contrôles, harcèlements et exclusions. Mais quel est le point commun entre ces trois types d’êtres ? Que l’être des hommes-rentables, des hommes-jetables et des hommes-jetés n’est mesuré qu’en fonction de leur seule « valeur économique ». Leur être ne compte donc que dans la stricte mesure où il participe à l’Économie. Au regard de cette dernière, précieux ainsi est l’être des rentables, du fait qu’il rapporte; vil ainsi celui des hommes-jetables, du fait qu’il coûte; et indifférent celui des hommes-jetés, du fait qu’il ne représente rien. Et si l’Économie laisse ainsi être les êtres précieux, elle tourmente, par contre, les êtres vils et laisse purement tomber les êtres indifférents.

L’Économie ou la Démocratie religieuse est, en ce sens, ce Dieu terrible qui réalise son Jugement dernier dans l’ici-bas lui-même : Paradis aux êtres précieux, Purgatoire pour les êtres vils et l’Enfer pour les autres.

David Vanhoolandt

Licencié en philosophie (ULB)

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