Jules Gheude

Une crise politique? Non, une crise existentielle! (carte blanche)

Jules Gheude Essayiste politique

La crise actuelle ne peut d’ailleurs pas être qualifiée de « politique », estime Jules Gheude. Elle est existentielle, car c’est la survie même du Royaume de Belgique qui est en train de se jouer.

Dans un pays normal, Maggie De Block aurait été évincée de son fauteuil ministériel pour incompétence avérée : la façon dont elle a géré le secteur de la santé et la crise du coronavirus a été catastrophique.

Mais nous ne sommes pas dans un pays normal. Sommes-nous seulement encore dans un pays ? Car, faut-il le rappeler, la crise politique déclenchée en décembre 2018 par le refus de la N-VA de signer le pacte migratoire de Marrakech n’a toujours pas trouvé son épilogue.

Un pays qui ne parvient plus à former un gouvernement de plein exercice est en fait un pays qui n’existe plus…

La crise actuelle ne peut d’ailleurs pas être qualifiée de « politique ». Elle est existentielle, car c’est la survie même du Royaume de Belgique qui est en train de se jouer.

Certes, nous sommes confrontés à la lutte classique des idéologies, comme tout Etat est amené en connaître. Mais lorsque dans un Etat fédéral qui se compose de deux grandes communautés (ce n’est pas la communauté germanophone qui pose ici problème), celles-ci partagent des visions diamétralement opposées et que l’un d’elles, la Flandre, s’est forgée en Nation distincte, l’équation s’avère proprement insoluble. Le mal belge est incurable et irréversible.

Les responsables francophones s’accrochent à la Belgique, comme le perroquet à sa barre. Attitude compréhensible, dès lors que leurs plans de carrière politique se trouvent reliés à l’existence de cette Belgique. Dans son dernière interview, en 2011, François Perin avait bien résuimé cela : Quel est l’intérêt de s’acharner à vouloir un gouvernement belge ? C’est que cela fournit un grand nombre d’emplois de ministres, et de cabinets ministériels. Alors, on tire sur la corde.

Attitude compréhensible, certes, mais proprement suicidaire dans la mesure où aucun plan de survie francophone n’est élaboré en cas d’implosion du Royaume. Car l’avenir des responsables politiques est une chose, celui des populations wallonne et bruxelloise en est une autre, bien plus importante !

La menace n’est pas présente en Flandre. Si celle-ci, nation, accède à l’indépendance, la carrière des responsables politiques flamands continuera à évoluer normalement et le sort de la population flamande n’en sera nullement affecté.

Le dernier sondage donne le Vlaams Belang largement en tête en Flandre, avec 27,7%. En ajoutant le score de la N-VA, nous obtenons 47,7% des suffrages, soit une majorité absolue des sièges au Parlement flamand. Fort de sa légitimité démocratique, celui-ci pourrait donc acter le blocage belge et proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Quant à l’Union européenne, elle n’aurait d’autre choix que d’entériner le divorce. Nous nous trouverions ici dans un cas de figure qui n’a rien de commun avec la question catalane.

Pourquoi l’indépendance de la Catalogne a-t-elle échoué ? Cette région représente 1/15e du territoire espagnol. Sans elle, le Royaume d’Espagne continue à subsister, avec ses institutions à Madrid qui peuvent s’opposer à la reconnaissance du nouvel Etat. Chez nous, la Flandre occupe près de la moitié de la superficie belge, avec un pouvoir déliquescent, voire absent à Bruxelles…

Les responsables francophones, on le sait, s’opposent farouchement à toute réforme confédérale.

Une telle réforme ne pourrait aboutir sans une révision profonde de la Constitution. La chose n’est actuellement pas possible, puisque le gouvernement minoritaire Michel, avant la dissolution des Chambres, s’est arrangé pour limiter le nombre d’articles de la Constitution à réviser.

Qu’en serait-il si de nouvelles élections étaient décidées ? Se mettrait-on d’accord, avant la dissolution des Chambres, pour réviser les articles de la Constitution que nécessiterait une nouvelle réforme de l’Etat ?

En politique, il ne faut jamais dire jamais. Que de fois la barricade francophone ne s’est-elle pas avérée être en carton mâché !

Si une réforme confédérale devait finalement intervenir, elle ne sauverait toutefois le patient belge que pour un temps limité. Car l’anneau central belge serait à ce point rétréci que la Flandre ne tarderait pas à le juger superflu. Le confédéralisme serait donc bien l’antichambre du séparatisme.

Une fois le royaume disparu, les élites wallonnes devront bien décider du scénario « post-belge » à adopter. Elles s’apercevront alors très vite du caractère irréaliste d’une Wallonie indépendante ou d’une Wallonie associée à Bruxelles.

Lorsqu’on les interroge à cet égard, une majorité de Bruxellois se déclarent en effet pour un statut autonome. On peut les comprendre, lorsqu’on connaît la situation budgétaire de la Wallonie.

Contrainte de s’assumer seule, celle-ci aurait vite fait de sombrer. Car une majorité « progressiste » ne pourrait accepter une réduction drastique des dépenses publiques qui engendrerait une baisse sensible des prestations sociales.

Pour reprendre l’analyse faite par François Perin en 1981 : Les Wallons pourraient se retrouver indépendants à leur corps défendant, contraints à une discipline dont ils n’ont aucune idée, devenant eux-mêmes les débiteurs de leurs fameux « droits acquis ».

C’est alors, peut-être, que les « élites » se souviendront des propos tenus par le président Charles de Gaulle à Robert Liénard, professeur à l’Université de Louvain, à la fin des années soixante : J’ai pourtant la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer un avenir à vos trois à quatre millions de Wallons.

(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.

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