Nicolas De Decker

Une certaine idée de Nicolas De Decker: le fédéralisme et sa mystique (chronique)

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il est devenu de bon ton, quand on est Wallon, de se réjouir d’avoir pris la tête du championnat interfédéral de vaccination. Ce n’est pas au fédéralisme que l’on a imputé les causes de ce gros rattrapage. On a justifié par des héroïsmes personnels un exploit collectif.

Il est devenu de bon ton, quand on est Wallon, de se réjouir d’avoir pris la tête du championnat interfédéral de vaccination. C’est la Wallonie qui frime, la Flandre qu’on assassine, c’est Christie Morreale en Youri Gagarine. La course aux armements est loin pourtant d’avoir trouvé son vainqueur: cette propagande est ridicule, à ce stade d’une campagne censée vacciner 70% à 80% de la population. Elle n’en avait, le 11 avril, complètement traité que 6,7%.

A cette date, la maigre marge de cette piteuse proportion était favorable à la Wallonie pour 0,2% (20,8% des Flamands âgés de plus de 18 ans avaient reçu une première dose, pour 21% des Wallons).

A cette date, la maigre marge de cette piteuse proportion était favorable à la Flandre pour 0,2% (7% des Flamands âgés de plus de 18 ans avaient reçu leurs deux doses, pour 6,8% des Wallons).

C’est la Wallonie qui frime, la Flandre qu’on assassine, c’est Christie Morreale en Youri Gagarine.

A cette date, maigre marge et piteuse proportion ne mesurent donc qu’une chose: la décence, très faible, et le ridicule, très fort, des communicants du pouvoir, de ceux qui, sans en avoir l’air, murmurent « ce n’est pas une compétition, vous savez, mais enfin ça fait du bien de savoir, qu’on fait mieux que les autres », mais aussi des braves de l’opposition, de ceux qui en se donnant un style crient « ce n’est pas une compétition mais que c’est un scandale que les autres fassent mieux que nous ».

Le seul mérite, au fond, de ces semaines de ridicule, qui seront heureusement vite oubliées, est qu’il nous fait oublier le ridicule encore plus grand des semaines précédentes, pendant lesquelles la maigre marge de la piteuse proportion de vaccins dispensés en Belgique par rapport aux pays voisins était censée s’expliquer par la mère de toutes les causes, le fédéralisme belge et ses neuf ministres de la Santé.

Il y a eu un petit retard dans la vaccination, imputable à un problème informatique qui ne devait rien au fédéralisme, mais c’est au fédéralisme que l’on a imputé les causes du petit retard belge. On a justifié par une faille systémique un couac ponctuel.

Depuis, il n’y a plus de petit retard parce qu’il y a eu un gros rattrapage, mais ce n’est pas au fédéralisme que l’on a imputé les causes de ce gros rattrapage. On a justifié par des héroïsmes personnels un exploit collectif. Celui-ci, pourtant, n’est pas nécessairement aussi étranger à l’organisation fédérale de notre pays que pourraient le faire croire communicants du pouvoir et courageux de l’opposition.

C’est en effet une des vertus théoriques du fédéralisme qui s’est ici mise en pratique. Une architecture fédérale est supposée favoriser entre entités constitutives une saine concurrence. Cette vertueuse émulation pousserait chacun à s’améliorer en se comparant à l’autre, pour le rattraper ou pour le dépasser. C’est ce qui s’est passé en Belgique ces dernières semaines. La rivalité entre Régions a fait augmenter le rythme de toutes sans qu’aucune n’y perde. Elle poussera encore communicants du pouvoir et preux de l’opposition à de ridicules fanfaronnades et à d’hypocrites indignations, et toutes auront un effet accélérateur. Car c’est cette laide mystique du fédéralisme qui transforme de vaniteuses impulsions en carburant efficace.

Elle est d’autant plus laide que ce qui lui est reconnu n’est jamais ce qu’on gagne, mais toujours ce qu’on perd.

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