Pierre Wunsch © Karoly Effenberger

« Un gouvernement plus efficace n’intéresse pas nos politiciens »

À moins d’un mois des élections, Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque Nationale, déclare sans ambages : « Utiliser l’argent plus efficacement est aussi une forme d’épargne. Mais un gouvernement plus efficace n’intéresse pas nos politiciens. Peut-être parce que ça ne rapporte pas de votes? »

« J’ai une grande crainte : que les gens en aient assez des économies », déclare Pierre Wunsch, étiqueté MR et proche du clan Reynders. « Ils pensent qu’il y a dix ans que nous assainissons. C’est ce qu’on leur a toujours dit. Mais c’est faux. Sur le plan budgétaire, le gouvernement Michel a poursuivi une politique de va-et-vient : rien n’a été fait en 2016, il y a eu des progrès en 2017, et en 2018, rien n’a été fait non plus. Et 2019 est une année perdue, avec un gouvernement en affaires courantes et les élections. Le prochain gouvernement devra prendre des mesures sérieuses pour assainir ses finances publiques. »

Il y a des messages inquiétants qui nous parviennent : l’Europe, les États-Unis et la Chine déclinent et les perspectives de l’économie mondiale semblent de plus en plus pessimistes. Quelles sont les conséquences pour la Belgique ?

Pierre Wunsch : L’économie belge tient le coup. En 2019, elle augmentera d’environ 1,4 %, nous partons de ce principe.

Même si les perspectives de croissance européenne ont récemment été revues à la baisse à 0,6% et celles de l’Allemagne à 0,8% ?

Oui. Notre économie continue de croître à un rythme d’environ 0,3 % par trimestre. Selon les estimations actuelles, nous étions légèrement en deçà de ce niveau au cours des deux premiers trimestres, mais nous prévoyons une reprise plus tard cette année. Ce taux de croissance n’est pas brillant, mais il montre bien que notre économie est robuste. En 2017, nous avons moins profité de la reprise de l’économie mondiale, mais nous constatons moins de ralentissement.

Quel déficit budgétaire prévoyez-vous pour cette année électorale ?

2018 s’est soldée par un déficit de 0,7%. En 2019, le déficit sera de 1,6 %, soit plus de 7 milliards d’euros. C’est fort lié à une intervention ponctuelle du gouvernement Michel : il a augmenté les amendes, ce qui permet aux entreprises et aux travailleurs autonomes d’effectuer plus facilement des paiements anticipés. Par conséquent, les revenus de l’an dernier ont été exceptionnellement élevés. Cette année, nous en aurons le contrecoup.

Le contraste avec les Pays-Bas, par exemple, est grand. L’année dernière, nos voisins du Nord avaient un excédent budgétaire de 1,5 % du produit intérieur brut (PIB), soit plus de 11 milliards d’euros.

Aux Pays-Bas, le gouvernement a pris des mesures décisives ces dernières années, lorsque la situation économique était bonne. Il peut maintenant dire à la population : « Les efforts ont été faits ». Les Belges ont l’impression que les économies ne s’arrêteront jamais. Parce que, oui, le prochain gouvernement belge devra à nouveau assainir. Et il doit concentrer ses efforts sur la première moitié de son mandat, sinon rien n’en sortira – c’est ce que nous a enseigné le gouvernement Michel. La hausse du déficit budgétaire ne doit pas être le début d’une nouvelle tendance.

Pensez-vous que la Belgique atteindra un équilibre budgétaire d’ici 2030?

Je reste optimiste à ce sujet. Mais qui vérifiera dans onze ans si j’avais raison? (rires)

Le gouvernement Michel ambitionnait un équilibre budgétaire. N’aurait-il pas mieux valu mettre de l’ordre dans les finances publiques plutôt que de distribuer des cadeaux fiscaux ?

C’est un choix politique. Le gouvernement a réduit le déficit budgétaire et un peu baissé les impôts. En Belgique, comme il faut beaucoup de partis pour former un gouvernement, il est plus difficile de faire des choix clairs : il faut faire des compromis.

Cela dit, notre déficit budgétaire doit être réduit. Nous devons établir une zone tampon. Parce que notre population vieillit, ce qui entraîne des coûts plus élevés pour les pensions et les soins de santé. Et il faut également pouvoir faire face à un ralentissement de l’économie ou à une récession.

Car tôt ou tard, cette récession frappera.

Inévitablement.

Quand tout va bien, nos politiciens préfèrent réduire les impôts ?

Oui. D’autre part, nous avons une charge fiscale sur le travail très élevée par rapport à d’autres pays. Il y a trente ans que nous essayons de la réduire. Le gouvernement Michel a fait de même. Il a créé plus de 230 000 emplois, beaucoup plus que prévu. Et d’après nous, au moins 50 000 de ces emplois sont attribuables au tax shift. Nous pouvons en être satisfaits. Notre niveau d’emploi – le nombre de personnes qui travaillent – a longtemps été beaucoup trop bas. À cet égard, le gouvernement a dépassé les attentes. Mais il n’a pas pleinement réalisé ses ambitions de mettre de l’ordre dans ses finances publiques. Donc le verre est à moitié vide. Ou à moitié plein, comme vous voulez.

Pierre Wunsch
Pierre Wunsch© Karoly Effenberger

L’ancien ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) a déclaré que la Flandre a un taux d’emploi de 75%, contre 64% en Wallonie et 61% à Bruxelles. Selon lui, le problème se situe surtout au niveau des francophones.

Il n’a pas tort. Si la Wallonie et Bruxelles augmentaient le taux d’emploi, ce ne serait pas seulement positif pour le budget : un emploi reste le meilleur moyen de sortir de la pauvreté et le taux de pauvreté wallon est deux fois plus élevé que celui de la Flandre.

Entre-temps, l’économie flamande connaît également une croissance plus rapide que l’économie wallonne. L’écart se creuse au lieu de se combler. Quelles en sont les raisons?

C’est dû en partie aux politiques des régions et des communautés : elles sont responsables des infrastructures, de l’activation des chômeurs, de la formation, etc. L’enseignement francophone fait certainement défaut. Trop de jeunes quittent l’école sans diplôme, par exemple. Mais la politique fédérale est également importante pour la Wallonie et Bruxelles : le fait que le gouvernement Michel ait créé de nombreux emplois profite également à ces régions.

L’écart entre la Belgique et la moyenne de la zone euro grandit également. Pourquoi d’autres pays européens réduisent-il leur dette plus rapidement que nous?

C’est sans aucun doute lié à notre culture politique. Aux Pays-Bas et en Allemagne, par exemple, l’accent est davantage mis sur une gestion responsable des finances publiques.

Voulez-vous dire que le gouvernement belge dépense trop ?

Ce n’est pas dû aux revenus, en tout cas : à cet égard, notre pays vole haut. Avec une charge fiscale de près de 44%, nous suivons de près le Danemark et la France. Notre gouvernement dépense beaucoup, oui. Les prélèvements publics restent supérieurs à 50% du PIB – la moyenne dans la zone euro est d’environ 46%. En soi, cela ne devrait pas poser de problème. Vous pouvez prélever des impôts élevés pour mener une bonne politique. Dans nos choix sociaux, nous sommes proches des pays scandinaves. Nous avons une sécurité sociale généreuse et l’État joue un rôle important dans la société. Cependant, des études comparatives montrent que nous n’avons pas le gouvernement le plus efficace.

Nous n’en avons pas pour notre argent ?

Effectivement. On ne discute pas assez de cette efficacité dans le débat public. Le dernier homme politique à avoir voulu un changement de fond était Luc Van den Bossche (sp.a), ministre de Fonction publique et de la Modernisation de l’Administration au tournant du siècle. C’était il y a longtemps, n’est-ce pas ? Si un problème surgit, nous affectons 100 millions ou 1 milliard d’euros pour le résoudre, et généralement c’est tout. Cet argent est-il utilisé à bon escient ? C’est une question cruciale, car une utilisation plus efficace de l’argent est aussi une forme d’épargne.

Y a-t-il des domaines où notre gouvernement est devenu plus efficace ?

Bien sûr. Permettez-moi de vous donner un exemple d’un secteur que je connais bien : ces dernières années, le SPF Finances a fait un effort considérable pour numériser la déclaration fiscale. Des économies ont été réalisées sans empiéter sur la qualité du service. De nombreuses personnes sont même heureuses de pouvoir soumettre leurs déclarations d’impôts par voie électronique. Pour de plus en plus de citoyens, tout est bien rempli à l’avance. C’est la preuve que c’est possible. Mais en général, nos politiciens ne sont pas intéressés par un gouvernement plus efficace. Peut-être parce qu’il ne rapporte pas de votes?

Lorsqu’il s’agit d’économiser de l’argent, les politiciens choisissent souvent la voie la plus facile. C’est ainsi qu’on reporte la réparation d’un revêtement ou d’un tunnel. Alors qu’à terme investir dans l’infrastructure contribue à notre croissance économique et à notre prospérité. Il ne s’agit même pas de beaucoup d’argent, c’est moins de 1% du PIB. Ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est aussi une question de priorités, de la vision.

En plus de nos routes et tunnels, les Belges se plaignent depuis des années de la prestation de services de la SNCB, et les améliorations sont à peine visibles.

Il semble qu’il y ait eu trop peu d’investissements au cours des dernières décennies. Il y a également un manque de volonté de transformer la SNCB en une entreprise moderne et performante. Chaque fois qu’un CEO a essayé de le faire, il y a eu une grève et il en était pour ses frais. Sophie Dutordoir, la CEO actuelle, était ma patronne quand je travaillais chez Electrabel. Je la connais bien. Je pense qu’elle occupe le haut poste le plus difficile en Belgique. Faire de la SNCB une entreprise performante qui offre un bon service à un prix raisonnable est un défi de taille.

Avez-vous également l’impression que les gouverneurs de la Banque Nationale insistent depuis des décennies sur la même chose : équilibrer le budget, réduire la dette publique, alléger le fardeau fiscal, faire travailler plus de gens, rendre le gouvernement plus efficace, etc. ?

Oh, oui. Ces thèmes restent importants. Et je ne veux pas dire par là que rien ne bouge. Je ne veux pas dramatiser: La Belgique est encore un pays riche, avec une population qualifiée et une productivité élevée. La pauvreté et l’inégalité n’ont guère augmenté. Eh oui, un certain nombre de pays font mieux, mais nous sommes tout de même plus proches de la Scandinavie et des Pays-Bas que de l’Europe du Sud.

Les choses ne vont-elles pas trop lentement? Prenons à nouveau l’exemple des Pays-Bas : l’âge de la retraite a déjà été relevé à 67 ans, mais dans notre pays, il ne le sera pas avant 2030.

Ça prend du temps, oui. Nous devons faire mieux et nous pouvons faire mieux. Mais bon, ça va dans la bonne direction.

Un directeur de la Banque Nationale perçoit un salaire brut d’environ 337.000 euros par an, en tant que gouverneur vous gagnez 490.000 euros. Ces montants ne sont-ils pas trop élevés ?

J’ai du mal à me prononcer sur mon salaire. Comparés au secteur privé, nos salaires sont défendables, comparé au secteur public, ils sont un peu plus élevés. Mais je pense qu’être gouverneur est un travail intéressant, alors….

… vous le feriez gratuitement ?

(rires) Ce n’est pas ce que je dis. Mais nos salaires ont déjà baissé de 12%. S’il baissait de quelques pour cent, je n’en dormirais pas moins pour autant. Et je continuerais à faire mon travail avec autant de plaisir.

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