© Anthony Dehez

« Tout le monde nous prenait pour des cinglés », le portrait de Bernard Bayot (NewB)

Jamais l’ex-avocat n’avait imaginé travailler un jour dans le monde de la finance. Avec la banque coopérative et éthique NewB, dont il est une des pierres angulaires « avec beaucoup d’autres », il y a apporté d’autres valeurs.

Sympathique mais faussement à l’aise, le président de NewB nous reçoit dans les bâtiments de Financité, l’asbl qu’il dirige depuis vingt ans. Un grand immeuble sans charme partagé avec d’autres associations qui, elles aussi, oeuvrent pour un monde meilleur. On dit de Bernard Bayot qu’il est la principale cheville ouvrière du projet NewB, cette banque d’un nouveau genre qui se veut non seulement éthique et durable mais, surtout, au service de ses coopérateurs et de la société en général. Fondateur? Il le concède du bout des lèvres, les bras croisés sur son pull jaune citron. Pierre angulaire? « Peut-être, mais avec beaucoup d’autres. » Et puis, il coupe court: « En réalité, ce sont nos 116.000 coopérateurs qui sont les personnes les plus inspirantes. » A la différence – essentielle – d’une banque commerciale, la banque coopérative appartient en effet à ceux qui y possèdent un compte. Ce sont donc les clients, et non des actionnaires réunis dans un conseil d’administration, qui en déterminent les orientations et investissements. Chez NewB, par exemple, peu importe le montant de son compte en banque, chaque coopérateur ne possède qu’une et une seule voix. Utopie pour les uns, solution d’avenir pour les autres, il n’en demeure pas moins qu’après treize ans de discussions et de luttes, la néobanque a bel et bien ouvert ses services au public.

Son mantra: « L’ espoir, ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose a un sens, quoi qu’il advienne. » (Vaclav Havel)

A l’origine, une discussion lancée entre quelques professionnels de la finance éthique, dans un restaurant de Louvain. La crise de 2008 vient de s’abattre sur le monde, les banques s’effondrent, les drames s’enchaînent tandis que, chez nous, les épargnants Fortis pleurent les économies d’une vie. Une semaine avant, Bernard Bayot débattait pourtant de la crise des subprimes sur un plateau rassemblant le gratin de la finance belge, et leur message se voulait rassurant: « La situation est sous contrôle, les banques résisteront, nos concitoyens seront épargnés. » Rétrospectivement, Bernard Bayot reste persuadé qu’ils étaient sincères et tacle sans détour ceux qui prétendent aujourd’hui avoir vu la catastrophe arriver. « Mon oeil! »

Des échanges entre les cinq ou six personnes attablées émerge une conviction, l’absolue nécessité d’une meilleure régulation des marchés, mais aussi un constat: ce sont les petites banques coopératives qui ont le mieux résisté. Leur drame? Ne pas être suffisamment fortes pour jouer les contre-balanciers. Conclusion: il est urgent de créer une banque coopérative et éthique, ce qui – à l’inverse d’autres pays européens où elles représentent 21% du secteur – n’existe pas chez nous. En soi, l’idée n’est pas neuve: par le passé, on en comptait également en Belgique mais, aujourd’hui, 95% des banques ne sont plus que commerciales, donc motivées par la recherche de bénéfices et organisées autour de la distribution de dividendes. Fin des années 2000, malgré l’état de choc consécutif à la crise, il n’est pourtant pas encore évident de concilier les termes finance, éthique, social, environnement et climat. Pour caricaturer un peu, l’ère n’est pas encore celle des vélos et du bio. « Eh oui, se remémore Bernard Bayot, en treize ans, il aura fallu en convaincre, du monde. » A le regarder comme ça, les bras et les jambes toujours croisés sur sa chaise, on se dit que ça n’a pas dû être simple, pour lui, de prendre son bâton de pèlerin. On a beau avoir un visage taillé pour inspirer confiance, il faut encore que les autres vous suivent.

Sa plus grosse claque: « Fan de running, je me suis entraîné plus de six mois pour l’Ultra Tour du Beaufortain, une course en montagne de 27 heures. Le jour J, j’ai démarré trop vite et j’ai dû abandonner après 8 heures seulement. Une vraie faute de débutant. »

« Et la neige, c’est pour bientôt? »

Quatrième génération d’une famille de banquiers, Bernard Bayot n’imaginait pas un instant se retrouver un jour dans la finance. Lui se rêvait journaliste, sauf qu’après deux années de droit à l’ULB, il finit par y rester et devient avocat, du genre semi-généraliste, jonglant entre droit commercial, civil et un peu de pénal. Quinze ans plus tard, l’homme sature: « Le barreau, c’est le mythe de Sisyphe, on sauve un client, puis un autre, à chaque fois il faut tout recommencer. » Par hasard, il tombe alors sur une annonce: Financité, une asbl qui milite pour une finance éthique, recrute un chercheur. L’Etat vient en effet de débloquer des fonds pour mieux appréhender l’exclusion bancaire et financière touchant à l’époque ces 10% de Belges qui ne possèdent pas de compte pour des raisons allant de l’illettrisme à l’absence de papiers ou de domicile, en passant par le handicap visuel ou l’indigence. Des profils qui n’intéressent pas les institutions bancaires puisqu’ils ne contracteront pas ou peu de crédits ou d’assurances. Sur la base de cette étude, la Belgique se dotera, deux ans plus tard, d’une loi leur imposant désormais d’ouvrir des comptes à tous – une première en Europe, qui inspirera l’adoption d’une directive par l’Union. Une grande fierté pour le futur président de NewB: les lignes ont bougé, dans le bon sens. Ses yeux pétillent lorsqu’il précise que ce fut le point de départ de son intérêt pour la finance, un attrait qui grandit jusqu’à la crise de 2008 et le fameux dîner louvaniste. Ce soir-là, les convives se quittent sur la conclusion non pas qu’il faudrait fonder une banque coopérative mais qu’il est indispensable de le faire.

© Anthony Dehez

C’est là que l’aventure commence. La première étape? Convaincre des associations, « toutes chapelles confondues », de se grouper pour étudier la faisabilité du projet, surtout en matière de marché potentiel. Premier obstacle, et sans doute le plus persistant: « l’omniprésence de la pensée unique ». Si le principe d’une banque aux mains de ses clients séduit, à droite comme à gauche, beaucoup pensent encore que « le marché reste une loi naturelle, la seule à pouvoir faire tourner la boutique ». Néanmoins, l’idée fait son chemin et, vingt-quatre mois plus tard, en 2011, ce sont vingt-quatre associations qui signent l’acte de constitution de la coopérative. D’études de faisabilité en constitution de comités d’experts issus du top la finance traditionnelle, le verdict tombe: non seulement le projet est souhaitable mais il est surtout viable. « La crise avait été un drame pour les épargnants mais aussi un gros choc pour les professionnels du métier, rappelle notre interlocuteur. Ils n’avaient jamais été perçus comme « amis du peuple » mais, depuis 2008, ils en étaient devenus l’ennemi numéro un. »

Alors, NewB lance une campagne d’adhésion à vingt euros la part sociale avec, pour objectif, de convaincre 10.000 personnes en 100 jours. « Tout le monde nous prenait pour des cinglés, sauf qu’à l’arrivée nous avions 43.000 adhérents. » En 2012, la première assemblée générale est organisée au Heysel, haut lieu symbolique de la débâcle Fortis. Douche froide, le gouverneur de la Banque nationale lâche dans la presse qu’il y a déjà trop de banques en Belgique, entendez « cela ne vaut même pas la peine d’essayer », résume Bernard Bayot. Chez NewB, on ne se décourage pas pour autant: « Nous postposons simplement la demande d’agrément. » En attendant, on avance sur d’autres produits. Six ans plus tard, en janvier 2019, la machine est relancée et un dossier de 1 800 pages est introduit auprès de la Banque nationale. Feu vert, NewB a alors cinq semaines pour récolter les trente-cinq millions d’euros de capital auprès du public. Un road show pour les porteurs du projet qui enchaînent les conférences tandis que des bénévoles passent leurs nuits à répondre à des demandes d’information et que les adhérents font du porte-à-porte pour convaincre d’autres citoyens. Un suspense digne d’un thriller et une levée de fonds qui, jusqu’au dernier jour, aurait pu échouer. « On a beau savoir qu’une levée de fonds, c’est le calme plat pendant des semaines avant de bénéficier d’un effet boule de neige à la fin, en attendant je n’en menais pas large. Tous les jours, on me disait ‘Et alors la neige, c’est pour bientôt?' ».

Son plus gros risque: « Faire quatre enfants! Lancer une banque from scratch, ce n’est rien à côté d’élever quatre filles; si je m’étais raté avec NewB, on aurait bien ri de ce pauvre naïf mais faire des enfants, ça, c’est un vrai challenge, c’est une immense responsabilité. »

Uniquement du belge, en Belgique

Nettement plus à l’aise dans ses chaussettes écossaises à présent, l’ex-avocat explique être surtout fier d’avoir battu en brèche cette fameuse « pensée unique articulée autour de la logique du marché ». Quant à son rôle et à sa trajectoire de vie, il assure ne les devoir « qu’au hasard ». « Je crois réellement que nous sommes tributaires des rencontres et des événements fortuits qui nous tombent sur la cafetière. L’important, c’est notre capacité de rebondir sur l’imprévisible, nous sommes tous différents, certains sont plus vernis que d’autres mais chacun, dans son existence, se trouve confronté à des événements positifs et négatifs, il ne tient qu’à nous d’en tirer le meilleur. »

Il confie n’avoir jamais eu l’ambition de changer le monde, encore moins de créer une banque from scratch ; son moteur a toujours été sa vie privée. L’avenir de NewB, il le voit radieux, après le sursaut « crise de 2008 »; on observera sans doute un sursaut « post-Covid », d’autant que les investissements de la banque seront orientés « société et environnement » mais surtout exclusivement axés sur l’économie locale – pas question d’investir dans des projets pharaoniques aux quatre coins du monde, uniquement dans du belge, en Belgique. Bernard Bayot ne redoute pas non plus « un effet de mode », pour lui c’est le « capitalisme sauvage » qui est ringard. Même si son banquier à la retraite de papa, par ailleurs très fier de son fils, n’y croit toujours pas. « Pour lui, NewB, ça reste du chinois », conclut son président, complice à présent, dans un grand éclat de rire.

Ses 5 dates clés

  • 1986 « Je sors de l’ULB et j’entre au barreau de Bruxelles, j’y resterai 15 ans. »
  • 1989 « Je deviens père pour la première fois, trois autres filles arriveront ensuite ; aujourd’hui, je suis un père et un grand-père comblé. »
  • 2001 « J’intègre l’asbl Financité comme chercheur, j’en deviens le directeur en 2004. »
  • 2013 « Nous lançons la première campagne de NewB, notre but est de rassembler 10 000 adhérents en 100 jours ; ils seront 43 000. »
  • 2019 « Nous lançons la capitalisation de la banque, 35 millions d’euros en cinq semaines. La somme ne sera atteinte que le dernier jour. »

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