Sophie De Schaepdrijver

Tous bilingues

« Ne touche pas à mon pays », peut-on lire sur les autocollants posés sur des fenêtres bruxelloises. Je souscris entièrement à ce message.

Par Sophie De Schaepdrijver, professeure à Pennsylvania State University (Etats-Unis)

Plus mon séjour aux Etats-Unis dure, plus je mesure les conséquences désastreuses du recul de la solidarité. Laisser appauvrir des régions, cela ne profite à personne et est du plus mauvais effet pour l’image de l’Europe.

Mais je me demande en même temps à quel pays les citoyens affichant ces autocollants se réfèrent ? La plupart d’entre eux ne connaissent pas la langue de leurs compatriotes d’en face. Ne sont-ils donc nullement curieux de savoir ce qui se passe de l’autre côté ? Ne veulent-ils jamais choisir un autre programme de télévision ou de radio, acheter un journal paraissant dans une autre langue ? Qu’est-ce qui explique ce manque d’intérêt ? Ma réponse tient en un mot : le mépris. Sans autre forme d’examen, la plupart de mes compatriotes francophones semblent estimer que, de l’autre côté de la frontière linguistique, il ne se passe rien d’intéressant ni d’amusant – pas de télévision, de presse, de cinéma, de littérature, de spectacles d’humour et de variétés qui vaillent. Rien, trois fois rien.

Pareil mépris est intenable, il est impossible de vivre avec. Après un certain temps, l’autre partie ne veut même plus être entendue. Puis la séparation des biens est envisagée et les disputes sur l’argent vont en s’envenimant. En est-on arrivé là dans ce royaume ? L’historien wallon Godefroid Kurth s’est adressé un jour au Jeune Barreau de Bruxelles en des termes très sévères : quiconque traitait le néerlandais avec condescendance se laissait guider par un « préjugé ridicule ». Tout Belge cultivé qui se respecte devrait connaître les deux langues nationales pour « se sentir chez soi partout en notre Belgique ». Selon lui, c’était le seul moyen permettant à la Belgique de servir l’humanité et de prouver que les notions « langue » et « Etat » ne doivent pas nécessairement se répondre. Kurth tenait ce discours en 1911. Sans grand résultat. Le cours du xxe siècle – les guerres, la Question royale, la prospérité – n’a vu que le renforcement de cette idée inconsistante que « langue » et « nation » sont inséparables. Le problème était-il donc tellement insurmontable, en comparaison avec les difficultés infiniment plus graves qui touchent tant d’autres pays dans le monde ? Etait-il excessif de faire appel à un peu de bonne volonté ?

En 1914, le roi Albert Ier exhortait les Wallons à se souvenir du courage qu’avaient manifesté les « six cents Franchimontois » (un fait d’armes remontant à l’époque bourguignonne). Je suis convaincue que la Belgique a encore et toujours besoin de six cents Franchimontois. Six cents Franchimontois bilingues.

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