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Théories du complot: « les sceptiques réclament plus de transparence »

Il faut prioritairement rétablir la confiance de la population dans les gouvernements et les médias, estime Aurore Van de Winkel. Pour ce docteur en information et communication de l’UCL, une éducation critique aux médias est plus que jamais nécessaire.

Le Vif/L’Express : Comment expliquer le succès actuel des théories du complot ?

Aurore Van de Winkel : Plusieurs éléments l’expliquent. Chaque fois qu’une société traverse un choc émotionnel, comme lors de la tuerie de Charlie Hebdo, on voit apparaître des rumeurs qui tentent d’expliquer ce qui s’est passé. Elles se greffent à une culture de méfiance par rapport aux gouvernements et aux médias, supposés à la botte du pouvoir. Ensuite, on observe que les gouvernements n’ont pas toujours dit la vérité par le passé. On peut repenser au discours sur les armes de destruction massive en Irak, dont la présence ne s’est pas avérée. Du côté des médias, les informations, qui se déversent désormais en continu, sont parfois diffusées sans avoir été vérifiées et certaines se révèlent fausses. Le jeune beau-frère des frères Kouachi, auteurs de l’attentat à Charlie Hebdo, a ainsi été présenté de suite comme impliqué dans les attentats alors que ce n’était pas le cas. Nous savons aussi que les images peuvent être retouchées et qu’il faut parfois s’en méfier. Du coup, le grand public s’interroge.

Vers où se tourne-t-il pour trouver réponse à ses questions ?

Ceux qui se posent des questions analyseront d’abord les informations et les images disponibles et relèveront ce qui leur paraîtra suspect. Ils concluront que des éléments posent question et que, « curieusement », les médias traditionnels n’en parlent pas. Cela les renforcera dans l’idée qu’ils ont raison de douter de la version officielle. Faute de trouver des réponses dans les médias généralistes, certains se rendront sur les sites de « vérité alternative » qui leur apporteront une autre interprétation de la réalité, satisfaisante à leurs yeux. Ils y croiseront des internautes partageant leur avis et leur nombre les convaincra : il n’est pas possible qu’autant de gens se trompent!

Entre s’interroger et penser qu’il y a complot, il y a de la marge…

Certains, plus que d’autres sans doute, ont besoin de trouver une explication à ce qui leur paraît inexplicable. Ils vont dès lors créer un récit, qui postule que les événements ont été orchestrés par un groupe d’individus puissants qui tirent les ficelles du monde en privilégiant leurs intérêts. Ce récit a la particularité de se construire sur des faits réels, mêlés à des éléments fictionnels. L’interprétation qui en découle se greffe sur un discours généralement très bien argumenté qui se réfère à des faits antérieurs. Les arguments mobilisés sont souvent pointus mais la plupart du temps, faux. Pour évaluer leur pertinence, des connaissances spécifiques, par exemple en ingénierie, sont nécessaires ; or le grand public ne les possède pas toujours. Pourtant, les complotistes retiennent ces arguments parce qu’ils confortent leur thèse. Et même si la preuve est faite que certaines croyances étaient fausses, ceux qui y adhèrent trouveront une explication pour retomber sur leurs pattes. Ainsi, ils sauveront la face et sauvegarderont la croyance qui leur permet d’expliquer le monde.

Les médias traditionnels adoptent-ils la bonne réaction par rapport aux tenants de la théorie du complot ?

Dans le cas de la tuerie de Charlie Hebdo, les théories du complot ont été répercutées par les médias traditionnels qui les ont immédiatement qualifiées de stupides et ont avancé comme discours la nécessité de faire front ensemble. Dès lors, on tombe dans l’incompréhension. Car beaucoup de ceux qu’on appelle complotistes se considèrent seulement comme des adeptes du doute critique. Or les médias ne leur accordent aucune place, ni pour leur questionnement, ni pour des éléments de réponses.

Voulez-vous dire qu’ils devraient passer à l’antenne pour donner leur point de vue ?

Non. S’ils le faisaient, ils en « contamineraient » d’autres. Mais si on ne leur permet pas de s’exprimer, ils trouveront un autre lieu pour le faire, Internet en l’occurrence. Ce que les médias doivent faire, dès que l’émotion sera retombée, c’est donner la parole à des experts extrêmement pointus, qui démonteront leurs arguments un par un.

N’avez-vous pas le sentiment qu’il est impossible de faire changer d’avis les adeptes de la théorie du complot ?

Ce n’est pas ceux-là qu’il faut chercher à convaincre car leurs opinions sont déjà arrêtées. Il faut plutôt répondre aux questions de ceux qui doutent et travailler à redonner la confiance dans les gouvernements et dans les médias. En France, les uns comme les autres devraient s’interroger sur les amalgames dont ils se font parfois complices, sur la façon dont les débats sont menés et sur les messages qui sont, in fine, véhiculés. Ceux qui doutent demandent à être entendus et réclament plus de transparence.

Comment peut-on répliquer au développement de ces théories du complot ?

L’éducation critique aux médias est capitale. Il faut expliquer aux gens d’où vient l’information découverte sur Internet : leur montrer que tel site est soutenu par X ou Y, leur prouver que les sites qui apparaissent en premier lieu quand on fait une recherche sur Google ne sont pas forcément les plus fiables mais les mieux organisés, les sensibiliser au fait qu’il n’y pas de hiérarchie des informations sur le Net et que n’importe qui peut y donner son avis.

Le dossier « On nous cache tout, on nous dit rien ? » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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