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Terrorisme : quelle base arrière après Bruxelles ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Base logistique des attentats de Paris, Bruxelles s’est transformée mardi en théâtre d’opérations terroristes d’une ampleur inédite en Belgique. Les terroristes revenus de Syrie vont-ils devoir se replier vers d’autres territoires ? Rik Coolsaet, professeur de relations internationales à l’Université de Gand, nous répond.

Le Vif/L’Express : En frappant Bruxelles comme il le fait, l’Etat islamique ne scie-t-il pas une des branches européennes sur lesquelles on le disait confortablement assis ?

Rik Coolsaet : Imaginer cela serait peut-être surestimer les capacités ou la cohérence des activités extérieures de Daech… Car on ne sait toujours pas si ces attaques en Europe occidentale procèdent d’une stratégie organisée à partir du centre nerveux de Daech, au Moyen-Orient. Quelle est la matrice de tous ces attentats, depuis celui de Nemmouche au Musée juif de Belgique, à Bruxelles ? Un réseau francophone, belge et français, composé de gens qui se sont rencontrés en Syrie dans ce que l’on appelle une katiba, ces unités combattantes organisées sur base linguistique dès lors que la plupart des volontaires ne parlent pas l’arabe. Ce réseau s’appuie ensuite ici sur d’autres réseaux, de famille, d’amis ou d’anciens terroristes. C’est tout ce dont on est certain. En d’autres termes se pose une question : Daech se comporte-t-il de manière opportuniste, en s’attribuant des actes perpétrés par des gens avec qui il n’a plus de vrai contact, ou s’agit-il d’une stratégie bien pensée ? On n’a pas vraiment de réponse, parce que le fonctionnement interne de Daech est très difficile à percer.

Qu’il s’agisse de réseaux autonomes ou de cellules téléguidées depuis la Syrie, il n’empêche que ceux-ci savent que la répression qui va suivre leurs opérations va les priver d’une grande partie de leur capacité de nuisance, non ?

Oui. Le danger auquel nous sommes confrontés est celui d’individus qui sont partis et qui sont revenus renforcés dans leurs opinions, et qui ont fait partie des contingents les plus nombreux et les mieux entraînés au maniement des armes et des explosifs. Or, quand vous êtes un terroriste, vous essayez, par les attentats que vous perpétrez, de créer une sur-réaction par les autorités qui attirera de nouvelles recrues…

Mais se disent-ils qu’il leur sera aujourd’hui plus difficile d’encore frapper Bruxelles ? Il sera inévitablement plus compliqué de s’y cacher et de s’y organiser… Les djihadistes qui sortiront indemnes de cette répression vont-ils émigrer dans d’autres villes, en Belgique, en France, en Allemagne ou ailleurs en Europe ?

Ils vont probablement bouger. Mais pas en Allemagne, ni dans des pays où l’on ne parle pas français. Même les combattants belges néerlandophones, d’Anvers ou d’ailleurs, ne se retrouvent pas dans les mêmes katibas que les Belges francophones.

Les survivants des cellules que la Belgique frappe à Bruxelles vont essaimer dans l’espace francophone, donc ?

Oui, mais à condition de bénéficier de soutiens locaux. Les cellules et les réseaux constitués en Syrie sont aidés par des sympathisants qui n’y ont jamais mis les pieds. La première tentative d’opération fondée sur la coopération entre des returnees et les purs locaux, ça a été Verviers, qui a été déjoué. Mais déjà depuis Nemmouche au Musée juif, la structure, qu’elle soit francophone autonome ou qu’elle soit dirigée depuis le Moyen-Orient, apprend de ses erreurs, et les corrige. Ils ont tiré les leçons de l’échec de Verviers, et en particulier quelqu’un comme Abaaoud, et ils ont frappé Paris… On subit malheureusement les conséquences de l’amélioration de leur mode opératoire.

Leurs fenêtres d’opportunité, sur Bruxelles et sur Verviers, se ferment néanmoins…

C’est incontestable. Je ne vais pas spéculer sur un endroit ou l’autre où ils pourraient se retrouver, car ces informations sont l’apanage des services de renseignement et de police, et je ne les ai pas. Mais une autre dimension est à considérer : ces dizaines de morts, à Bruxelles et à Zaventem entraînent des réactions d’horreur pure dans toutes les communautés. Et cela diminuera également leurs possibilités de trouver de nouveaux soutiens et de nouvelles recrues. Les vagues de combattants étrangers vont et viennent, et elles ont plutôt, aujourd’hui, tendance à refluer. Pour plusieurs raisons : l’action des services de police et de renseignement d’abord, la difficulté de se trouver des bases arrière ensuite, mais aussi les réactions dans les communautés mêmes face aux actions commises. Ces terroristes prétendent agir au nom de l’islam, mais, au niveau mondial, l’immense majorité de leurs victimes sont musulmanes. Le fait qu’ils frappent aveuglement ne sert pas leur cause… En fait, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis, en effet, mais surtout parce que ces massacres diminuent leur force d’attraction. C’est là une des causes qui entraînera, selon moi, leur graduelle marginalisation.

La logique de leur entreprise est donc autodestructrice ?

Absolument ! C’est la caractéristique même du terrorisme. Il s’éteint toujours parce qu’il ne parvient pas à réaliser ce qu’il promet. Toute l’histoire du terrorisme tient dans cette impasse. Daech attire des jeunes grâce à une vision apocalyptique de l’histoire. On leur explique, à partir de certaines traditions de l’islam sunnite, qu’à Dabiq, dans le nord de la Syrie, se livrera l’ultime bataille du Bien contre le Mal, donc entre les musulmans et les chrétiens. Et que les musulmans vont l’emporter. Mais avec ce qui se passe en Syrie et en Irak ces derniers mois, cette succession d’atrocités et de défaites militaires, Daech n’a plus le vent en poupe et a perdu de cette puissance de mobilisation dont il disposait jusqu’à il y a environ un an.

Cette perte de pouvoir d’attraction se limite-t-elle à l’Europe occidentale ?

Non, ça vaut dans le monde entier, même en Turquie, ou, de ce qu’on l’en sait, à Raqqa ou à Mossoul. Selon les plus récentes études menées sur cette question, 90 % de la population du Moyen-Orient rejette Daech, justement parce que là-bas plus qu’ailleurs on ne peut pas ne pas s’apercevoir que les principales victimes de ce terrorisme aveugle sont les musulmans…

Si on résume : l’Etat islamique n’a probablement pas de base arrière à la base arrière dans l’espace francophone, et il a enclenché une course vers son inévitable autodestruction ? La logique suicidaire prévaut ?

Les terroristes sont en mesure de faire ce qu’ils ont fait mardi à Bruxelles et à Zaventem, mais ils pensent que l’exemple qu’ils donnent va mobiliser à leurs côtés ceux pour qui ils disent le faire. Et c’est précisément l’inverse qui est en train de se produire.

A lire : Facing the Fourth Foreign Fighter Wave. What Drives Europeans to Syria ? Insigths from the Belgian Case, par Rik Coolsaet, Institut Egmont-Institut royal des relations internationales, mars 2016.

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