La Ville d'Andenne va attaquer le gouvernement wallon au conseil d'Etat.

Terres excavées en Wallonie : Andenne attaque le gouvernement et dénonce des conflits d’intérêts

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Pas nette, la gestion des terres excavées en Wallonie ? Très réactive sur ce dossier, la Ville d’Andenne va attaquer le gouvernement wallon au conseil d’Etat. Dans son viseur : l’attribution d’une concession de services à l’ASBL Walterre, qu’elle accuse de conflits d’intérêt. Ses fondateurs démentent et présentent leurs garanties.

Où partent ces millions de tonnes de terres, souvent polluées, qui quittent les innombrables chantiers publics en Wallonie ? Par qui et à quel coût sont-elles traitées ? Et, surtout, comment s’assurer que les intérêts financiers des uns et des autres ne bafouent pas le respect de la législation en vigueur ? Des questions, Vincent Sampaoli, Premier échevin PS à Andenne et ex-député wallon, ne cesse d’en poser depuis des années, à la suite de mauvaises expériences sur plusieurs chantiers communaux. Cette fois, sa ville s’apprête à introduire un recours en annulation devant le conseil d’Etat à l’encontre d’une décision prise par le gouvernement wallon le 14 mars dernier : celle de confier « la gestion et la traçabilité des terres en Région wallonne » à l’ASBL Walterre, qui s’est constituée pour l’occasion au mois de janvier.

Au menu des griefs formulés par le camp andennais : des conflits d’intérêt jugés flagrants dans cette structure inédite et des voies de recours incomplètes ou hasardeuses, qui feraient de Walterre un « lobby d’entrepreneurs » à la fois juge et partie dès septembre prochain, au détriment des pouvoirs locaux en cas de contentieux. Vincent Sampaoli reproche au ministre wallon de l’Environnement, Carlo Di Antonio (CDH), d’avoir ainsi « institutionnalisé la mainmise du privé sur une mission qui aurait dû être assumée par l’administration ». Une accusation balayée tant par le cabinet du ministre que par les membres fondateurs de Walterre, qui assurent avoir pris leurs dispositions pour éviter tout risque de conflit d’intérêt.

Bref retour en arrière. Pour dissiper les zones d’ombre d’un secteur longtemps dépourvu d’un cadre légal clair, la Région, via le ministre Carlo Di Antonio, adopte en mars 2018 son nouveau « décret Sols », dix ans après la mouture antérieure. Entré en vigueur au 1er janvier 2019, le texte prévoit un attirail de mesures pour développer une filière intégrée de traitement des terres polluées et des terres excavées. C’est en ce sens que l’administration, s’inspirant du modèle flamand, lance un appel à candidatures en octobre dernier pour désigner un concessionnaire chargé d’assurer, pour une durée estimée à sept ans et un montant total de 4,76 millions d’euros HTVA, la « gestion et la traçabilité des terres en Région wallonne ». Avec trois missions essentielles : délivrer des certificats du contrôle de la qualité des terres, octroyer des bons de transport si leur qualité est conforme à leur destination et, enfin, alimenter une base de données pour centraliser ces informations.

Walterre, seul candidat

Comme l’indique le cahier spécial des charges, il s’agit d’une « mission de service public visant à satisfaire des besoins d’intérêt général de caractère autre qu’industriel ou commercial ». Un seul candidat, une ASBL baptisée Walterre, dépose finalement une offre endéans les temps impartis. Celle-ci est fondée le 3 janvier dernier par six acteurs : la Confédération construction, la Fédération wallonne des entrepreneurs de travaux de voirie (FWEV), l’Organisme impartial de contrôle de produits pour la construction (Copro) et son CEO Dirk Van Loo, la S.A. Immoterrae, pour valoriser le savoir-faire du concessionnaire équivalent en Flandre (la Grondbank), et enfin Francis Carnoy, directeur général de la Confédération construction wallonne (CCW). L’offre de Walterre, jugée régulière, reçoit une cote de 80% aux critères d’attribution formulés par la Région, dont huit points sur dix pour son « plan de garantie d’absence de conflits d’intérêt ». Après l’avis favorable de l’Inspection des finances, l’ASBL décroche finalement le marché mi-mars, pour une durée de douze ans.

En parallèle, Vincent Sampaoli découvre la liste des fondateurs de Walterre, dont certains représentants sont par ailleurs actifs dans des sociétés spécialisées dans le traitement de déchets, dans l’analyse de qualité du sol ou dans la confection de voiries. En quoi une ASBL dotée d’un tel pedigree, créée en partie par des fédérations militant « par tous les moyens légaux » pour leur cause, pourrait-elle assumer une « mission de service public visant à satisfaire des besoins d’intérêt général de caractère autre qu’industriel ou commercial » ? Et comment a-t-elle pu décrocher le marché, alors que le décret Sols mentionne comme exigence minimale que le concessionnaire ne devra pas « être directement impliqué dans les opérations de production, de contrôle qualité ou de gestion de terres » ? C’est entre autres sur ce terrain que la Ville d’Andenne attaque la décision du gouvernement wallon.

Des « questions tout à fait légitimes », concède la Confédération construction wallonne, cofondatrice de Walterre. « Mais on ne peut pas reprocher à un secteur de contribuer à la mise en place de structure d’autorégulation, précise le directeur général de la CCW, Francis Carnoy. D’autant que nous avons clairement dû mettre en évidence l’absence de conflits d’intérêt dans notre offre. »

Des garanties suffisantes ?

Quelles sont ces garanties ? Le cabinet Di Antonio rappelle en préambule qu’en cas de défaut d’impartialité, les responsables s’exposent à une peine de prison de 8 jours à 3 ans, à une amende pouvant atteindre jusqu’à un million d’euros et à une rupture pure et simple du contrat avec la Région. Vis-à-vis de Walterre, le cabinet et la CCW précisent que son fonctionnement sera scindé en un cadre stratégique (l’assemblée générale et le conseil d’administration) et un cadre opérationnel (les experts en charge du suivi de chaque dossier). « C’est ainsi que les informations à caractère confidentiel issus des dossiers individuels traités par les opérationnels ne pourront être communiquées au conseil d’administration de Walterre », précisent-ils. « Par ailleurs, 50% des fondateurs de l’ASBL, à savoir Copro et Immoterrae, sont totalement neutres, puisqu’il s’agit d’organismes de contrôle », ajoute la CCW. Ce dernier argument ne rassure pas Vincent Sampaoli, qui souligne que « sept des douze administrateurs de Copro proviennent du secteur privé. »

Concrètement, en quoi les missions exercées par Walterre risqueraient-elles de porter préjudice à l’une ou l’autre partie ? Vincent Sampaoli cite deux scénarios problématiques, en prenant comme exemple un chantier de voiries, dont les terres excavées nécessitent obligatoirement un contrôle de qualité par un laboratoire agréé. Scénario A : après analyse de l’expert, il ressort que les terres doivent être décontaminées par un centre de traitement, en suivant une technique spécifique. Le centre de traitement, lui, refuse de réceptionner ces terres, estimant via une contre-expertise que leur degré de contamination nécessite une technique de dépollution in fine plus coûteuse pour le maître d’ouvrage. Il notifie et motive ce refus à Walterre dans les huit jours ouvrables. Puis, plus rien. Dans ce cas précis, que Vincent Sampaoli juge fréquent, le cahier des charges ne mentionne en effet aucune voie de recours. Tout bénéfice pour le centre de traitement ? Les terres seront-t-elles immobilisées aussi longtemps que la commune n’accepte de consentir à une dépollution plus coûteuse, sans avoir pu faire valoir ses droits ?

Scénario B : après analyse des terres par l’expert désigné, celui-ci envoie son rapport pour approbation à Walterre, comme l’exige la nouvelle procédure wallonne. Mais le concessionnaire ne remet pas de décision, même après l’envoi d’un rappel. Le « certificat de contrôle qualité des terres » est réputé refusé. La commune introduit dès lors un recours auprès de l’administration wallonne, qui dispose d’un délai total de 40 jours pour envoyer sa décision. Sans nouvelle de sa part endéans un délai supplémentaire de 30 jours après la réception d’un rappel, la décision initiale du concessionnaire (ou l’absence de décision) est réputée confirmée. Une issue défavorable, pour des terres potentiellement bloquées pendant plus de 100 jours. Ce deuxième scénario semble toutefois moins probable, puisque Walterre est passible de pénalités financières proportionnelles au nombre de jours de retard, bien plus importantes encore si l’administration doit remettre une décision à sa place.

Une réussite en Flandre

Face à ces critiques, le cabinet Di Antonio rappelle que les membres fondateurs de Walterre sont les mêmes que l’ASBL Grondbank, l’organisme équivalent en Flandre agréé depuis 2004. « A ce jour, le système de gestion des terres en Région flamande fonctionne et aucune plainte pour défaut d’impartialité ou conflit d’intérêt n’a été rapportée à l’Ovam » (l’Agence publique des déchets en Région flamande). Il ajoute qu’en tant que concessionnaire, Walterre agira sous le contrôle permanent du Service public de Wallonie, notamment via un comité d’accompagnement. « La Région wallonne a enfin pris l’initiative de créer un organisme de suivi, trop longtemps après la Flandre, résume Francis Carnoy. Elle aurait pu en faire un organisme purement public, elle a choisi la voie du marché de concession. Nous avons soumissionné et c’était notre droit, pour ne pas dire notre devoir, puisque nous voulions contribuer à l’assainissement des pratiques dans le secteur. Je ne vois vraiment pas quel pou on peut nous chercher. »

Le 27 mai prochain, le conseil communal d’Andenne devrait valider la décision du collège d’attaquer l’adjudication du marché devant le conseil d’Etat. A moins que la Ville parvienne à obtenir une suspension de la décision wallonne, en motivant l’urgence, il faudra probablement plusieurs années avant que ce dernier rende son verdict. L’ASBL Walterre, de son côté, n’attendra pas. Elle devrait être pleinement opérationnelle dès le 18 septembre prochain.

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