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Sur l'(il)légalité d’Herbalife : quand les victimes deviennent des coupables

Ebe Daems Journaliste free-lance

Tout le monde connaît bien quelqu’un qui vend ou achète les compléments alimentaires d’Herbalife. Tant en Belgique qu’aux États-Unis, l’entreprise américaine a déjà été accusée de vente pyramidale.

La vente pyramidale est un système où les vendeurs sont davantage axés sur l’extension du réseau de vendeurs que sur la vente de produit. Seuls les gens au sommet de la pyramide empochent de gros bénéfices alors que pour ceux qui sont en bas de la pyramide, c’est presque impossible de réaliser des bénéfices.

En 2004, l’organisation de consommateurs Test-Achats a intenté un procès contre Herbalife pour la vente pyramidale illégale. Après une lutte juridique de sept ans, Test-Achats a gagné l’affaire contre Herbalife devant le tribunal de Commerce. Mais l’organisation de consommateurs à ensuite a perdu l’affaire en appel. Test-Achats fait savoir à nos confrères de Knack qu’elle maintient sa position, mais qu’elle ne peut rien entreprendre de plus parce qu’il n’y a pas de nouveaux éléments.

Aux États-Unis, Herbalife a attiré l’attention de la Federal Trade Commission (FTC), une organisation de consommateurs indépendante, après que l’investisseur activiste Bill Ackman ait lancé la lutte contre l’entreprise en bourse. Ackman a tenté d’influencer le cours des actions tant pour réaliser des bénéfices que pour causer la ruine de l’entreprise parce qu’il est convaincu qu’Herbalife s’occupe de pratiques illégales.

Le FTC a mené une enquête et bien qu’il n’ait pas littéralement prononcé le terme de vente pyramidale, l’organisation était d’avis qu’Herbalife était principalement axé sur l’attraction de nouveaux distributeurs. L’affaire a été réglée avec un arrangement : Herbalife a payé une amende de 200 millions de dollars pour indemniser les dupés et a promis une adaptation drastique de sa méthode.

Problèmes historiques

Herbalife est-il un cas de vente pyramidale ou non? Même au tribunal, il paraît difficile de répondre à cette question.

Et qu’en est-il de beaucoup d’autres entreprises, qui opèrent dans le monde depuis des années, et qui sont soupçonnées de vente pyramidale ? S’agit-il effectivement de vente pyramidale illégale ? Et si oui, comment ces entreprises peuvent-elles continuer à travailler impunément ?

« Les problèmes sont connus depuis 85 ans et au fond il est absurde qu’il n’y ait toujours pas de solution. Pour ce qui est de la réglementation, le marketing à plusieurs niveaux (MLM pour Multilevelmarketing) se trouve entre deux chaises en matière de réglementation », estime la professeure Claudia Gross de l’Université Radboud de Nimègue. Gross étudie les entreprises MLM depuis des années, et a publié un indicateur de ventes pour élargir la transparence au sujet des entreprises MLM.

Pour Gross, le fait que la méthode de vente n’est pas populaire depuis longtemps en Europe, est l’une des raisons pour lesquelles on ne s’est pas encore attaqué aux problèmes : « Autrefois, la part de vente directe dans l’Union européenne n’était pas très grande, mais ces dix à quinze dernières années, cette méthode de vente est en plein boom », dit-elle. D’après Seldia, la fédération européenne des associations de vente directe, la méthode de vente a représenté un chiffre d’affaires de 28,2 milliards d’euros dans l’Union européenne (UE) en 2015.

Cependant, il n’y a pas que cela: il est difficile de s’en prendre à la vente pyramidale parce qu’elle se trouve dans une zone grise de la législation de l’UE. Aussi une étude académique de l’Université de Maastricht au sujet du lobbying de l’industrie de vente directe ou de l’industrie MLM auprès de l’Union européenne révèle-t-elle que la formulation de la loi a été presque littéralement proposée par les groupements d’intérêts de l’industrie elle-même.

La législation actuelle de l’UE stipule que les systèmes de pyramide sont interdits si le consommateur a l’opportunité d’encaisser une indemnité qui vient plutôt de l’apport de nouveaux consommateurs dans le système que de la vente ou de l’utilisation de produits.

« Ce ‘plutôt’ est une notion vague », déclare le professeur Gert Straetmans, professeur en Droit à l’Université d’Anvers. « Si on voulait protéger les consommateurs, on interdirait également beaucoup de systèmes pyramidaux qui sont légaux, mais les procès tenus en Belgique révèlent souvent qu’il y a assez d’activité économique à la base de ces systèmes, ce qui fait que les juges estiment qu’ils ne sont pas voués à l’échec », déclare Straetmans.

D’après le professeur Straetmans, il faut donc distinguer le MLM légal des systèmes de pyramide illégaux. Pourtant, la formulation vague de la législation a rendu cette distinction très difficile.

Ceci n’est pas une pipe

Aussi l’avocat Elfri De Neve, spécialisé notamment en droit commercial, estime-t-il qu’une distinction entre les MLM légaux et les systèmes de pyramides illégales est absurde. « Pour présenter le produit à de nouvelles victimes, on souhaite d’abord infirmer qu’il s’agit de vente pyramidale. Ceci n’est pas une pipe. On utilise le terme de MLM pour cacher qu’il s’agit de vente pyramidale. »

Les distributeurs qui vendent les produits de ces MLM le font sous le statut d’indépendant. Cela permet aux entreprises d’échapper en grande partie à leurs responsabilités : si un vendeur indépendant va trop loin en disant que les compléments alimentaires peuvent guérir de maladies graves, l’entreprise s’en lavera les mains.

Les consommateurs sont également encouragés à s’enregistrer comme distributeurs, car cela permet d’obtenir une réduction sur les produits au prix souvent exorbitant. « On souhaite faire des utilisateurs des produits des revendeurs, car cela supprime leur protection judiciaire de consommateur », explique Elfri De Neve. « Un consommateur est supposé juridiquement bête et profite donc d’une meilleure protection juridique qu’un chef d’entreprise censé être intelligent. »

Les victimes deviennent des coupables

L’affaire contre Herbalife est un des rares exemples de procès intentés contre de plus grandes entreprises MLM. L’une des raisons, c’est que peu de gens ont envie de révéler leur histoire et de dénoncer les organisations.

« S’il n’y a pas de plaignants, cela signifie qu’il n’y a pas d’accusé. D’une part, les gens ont honte d’avoir été piégés. D’autre part, les gens n’ont pas tendance à témoigner si vous en faites en sorte que les victimes deviennent des coupables en piégeant les autres aussi. »

Merel*, une ancienne distributrice Herbalife, culpabilisait au sujet des boniments qu’elle racontait aux gens : « À la longue, je m’entendais dire des choses dont je savais qu’elles étaient fausses. Ainsi, j’ai rencontré une femme qui mangeait des flocons d’avoine le matin, un des petits-déjeuners les plus sains qu’il y ait. Pourtant, je l’ai persuadée qu’il valait beaucoup mieux prendre un shake d’Herbalife. J’étais soulagée quand elle a arrêté quelque temps plus tard, car je me sentais vraiment mal. »

Les MLM essaient aussi de contrôler un maximum les informations qui sortent. Ce n’est pas pour rien si ces organisations sont régulièrement comparées à des sectes. Dans son étude, Gross compare ces organisations à un système totalitaire où les membres entretiennent des relations familiales et renforcent en permanence leur foi mutuelle en la bonté de l’organisation. C’est également frappant quand on regarde les profils de réseaux sociaux des distributeurs : leur vie sociale complète semble se jouer en compagnie d’autres distributeurs.

À cet égard les critiques ne sont pas tolérées et c’est également ce que Merel a constaté: « Ces shakes m’ont toujours rendue malade, ils me donnaient des inflammations des amygdales, alors que je n’en avais jamais auparavant. Du coup, j’ai demandé dans le groupe Facebook des distributeurs s’il y avait d’autres personnes qui présentaient ces symptômes. Un peu plus tard, j’ai été éjectée du groupe Facebook. Là, j’en avais vraiment fini avec eux ».

Par contre, Merel ne se plaint pas de la structure pyramidale et des opportunités de gagner de l’argent : « Je le faisais pour avoir un salaire d’appoint et après un an je gagnais 250 euros en plus par mois. J’avais cinq clients fixes qui m’achetaient des produits tous les mois. Quelqu’un d’autre qui avait commencé en même temps que moi et qui prenait cela très à coeur empochait 500 euros par mois après un an. »

D’après Claudia Gross, beaucoup de gens ne comprennent pas qu’ils travaillent pour une structure pyramidale, ce qui fait qu’ils ont du mal à booster leurs revenus: « La culture d’entreprise rend les gens responsables de leur échec ou de leur succès. Les gens qui échouent ont honte et s’imaginent qu’ils auraient dû fournir plus d’efforts. Ils ne voient pas qu’au niveau structurel les revenus sont à ce point mal répartis que la thèse que chacun peut y arriver est absurde. »

Façade

L’image esquissée par Gross offre un contraste criant avec les profils de réseaux sociaux des distributeurs. « Les distributeurs vivent dans le luxe et on leur dit d’en faire l’étalage », déclare Elfri De Neve. C’est que confirme Gross : « Il y a énormément de frime dans ce monde, car si vous racontez aux gens en dessous de vous qu’ils peuvent s’enrichir, vous n’êtes pas crédible si vous ne l’êtes pas vous-même. Pour montrer leur succès, les gens essaient de monter dans la hiérarchie de vendeurs. Ils le font en réalisant un certain chiffre d’affaires avec leur équipe durant plusieurs mois consécutifs. »

Si les autorités veulent s’en prendre à la vente pyramidale illégale, ils doivent oeuvrer à une législation plus sévère et plus claire. Tant Claudia Gross que l’étude académique de Maastricht affirment clairement que la législation actuelle est insuffisante et que du coup il est très difficile de savoir quelles entreprises opèrent légalement et lesquelles non.

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