© PermaFungi

Supprimer le plastique à l’aide des champignons : l’idée fait son chemin

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’entreprise bruxelloise PermaFungi développe le myco-matériau, capable de remplacer le plastique. Il est produit à l’aide de mycélium et de déchets urbains. La société participe à un chantier d’envergure à Venise. Et son projet vient de recevoir un prix qui lui permet de nourrir de belles ambitions.

Verra-t-on un jour des monticules entiers de plastique remplacés par un matériau naturel produit à l’aide des champignons ? Ce n’est pas pour demain, car la production de myco-matériau n’en est qu’à ses balbutiements. Mais l’entreprise bruxelloise PermaFungi entend développer sa production et se positionne à l’avant-garde de cette filière.

PermaFungi est bien connue en région bruxelloise pour avoir lancé, dès 2013, la production de pleurotes en s’appuyant sur la transformation de déchets urbains, en particulier le marc de café, dont 15000 tonnes sont déjetées chaque année dans la capitale. L’unité de production est basée sur le site de Tour & Taxis. Il s’agit « d’améliorer la symbiose entre ville et nature », tout en défendant une approche socioéconomique en créant de l’emploi pour des personnes éloignées du marché du travail.

Objectif: remplacer le plastique

De manière complémentaire, donc, l’entreprise a développé des myco-matériaux, dans le cadre de son projet « Permateria ». Ce matériau ambitionne de remplacer les plastiques, en particulier dans le domaine du packaging et de l’isolation. La construction et l’emballage représentent à eux seuls 52% de la consommation de plastique dans le monde. Dans l’absolu, explique Julien Jacquet, CEO de PermaFungi, les applications pourraient être très nombreuses. « Aux Pays-Bas, on fabrique des cercueils à base de myco-matériau », signale-t-il. Un domaine que PermaFungi pourrait explorer aussi, d’ailleurs.

S’il fallait résumer le principe de fabrication en quelques mots, « on pourrait dire qu’on prend des déchets organiques urbains : du marc de café, mais aussi de la sciure de bois, des drêches de bière, etc. Ensuite, on les laisse se faire manger par le champignon. C’est en réalité un abus de langage, parce que c’est le mycélium (l’appareil végétatif des champignons) qui fait le travail », précise Julien Jacquet. « Il en ressort quelque chose qui ressemble comme deux gouttes d’eau à de la frigolite » et dont les usages potentiels sont multiples.

« Il en ressort quelque chose qui ressemble comme deux gouttes d’eau à de la frigolite. »

Julien Jacquet

Le projet Permateria vient d’être récompensé, figurant parmi les douze lauréats de l’appel à projets Belgium Builds Back Circular. Dans le cadre du plan belge de relance et de résilience, ce programme est porté par les ministres fédéraux de l’Environnement, Zakia Khattabi (Ecolo), et de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS). L’objectif de ce premier appel à projets consistait à soutenir des initiatives dans les domaines du vélo, des éoliennes, des soins de santé et du biomimétisme, le myco-matériau s’inscrivant dans cette dernière catégorie. Quelque 8 millions sont répartis entre douze lauréats, dont une aide de l’ordre de 900000 euros pour Permateria.

Un deuxième appel à projets a été lancé ce 15 mars par les deux ministres, portant sur les thématiques de l’écoconception et de la substitution des substances chimiques dangereuses. L’enveloppe à distribuer aux futurs lauréats s’élèvera cette fois à 12 millions d’euros.

Une usine en gestation

Ce coup de pouce est loin d’être négligeable pour l’entreprise bruxelloise. « Nous sommes en train de mettre sur pied une usine, à Forest, qui pourra récupérer les déchets locaux, les transformer naturellement en un matériau qui n’est pas nuisible pour l’environnement », indique Julien Jacquet. « L’ambition est énorme, en termes d’installations, de recrutement, etc. Une telle aide permet d’accélérer l’innovation, mais aussi de construire une usine aussi peu dépensière que possible au niveau énergétique. »

Ce projet d’usine est encore en cours de préparation, mais l’objectif consiste « à produire, d’ici fin 2024, 2000 m² de myco-matériau en recyclant 5 tonnes de déchets par mois. C’est à la fois peu, mais beaucoup par rapport à ce que nous produisons aujourd’hui ».

La suite de l’article en-dessous des photos

Un mur réalisé à l’aide de myco-matériau.

Après avoir conçu un premier mur isolant en région bruxelloise, PermaFungi participe avec son myco-matériau à un autre projet d’envergure, à savoir la construction du pavillon belge de la Biennale d’architecture de Venise. L’événement se tiendra à partir de mai dans la cité des Doges. « Par conséquent, nous sommes en pleine production », commente Julien Jacquet.  « Venise, nous y sommes grâce à l’initiative de deux curateurs, les architectes Bento et Vinciane Despret, qui sont très en avance en termes de biomimétisme et on permis cette commande de murs en myco-matériau. »

Le plastique, vraiment moins cher?

Parmi les critères qui ont permis au projet Permateria d’être lauréat de Belgium Builds Back Circular figure l’existence d’un business model bien charpenté, avec de grandes ambitions pour l’avenir. A l’inverse, sans coups de pouce des pouvoirs publics, des tels projets en économie circulaire pourraient-ils subsister ?

Pour Julien Jacquet, c’est un raisonnement inverse qui doit être posé : que coûte exactement le plastique et quels bénéfices peut-on retirer de la fabrication de tels matériaux naturels ? « Avec le plastique, vous allez chercher la matière première très loin, ça pollue, c’est cher à transporter, ça nous fait dépendre d’autres pays. Dans le cadre du packaging, on l’utilise une fois puis on le jette. La moitié du plastique finit dans la mer, c’est ultra polluant. »

« Nous faisons le contraire », argumente le CEO. « On prend un déchet qui coûte à la société, on le transforme naturellement et on crée un matériau qui n’est pas nuisible pour l’environnement. » Plus globalement, ajoute-t-il, « je constate qu’on considère parfois les entreprises en économie circulaire comme des entreprises très soutenues », pour ne pas dire subsidiées.

« Mais toute l’économie est soutenue. L’aviation ne l’est-elle pas, en raison du pétrole non taxé ? Lorsqu’on construit des voiries publiques pour des grands groupes industriels, que fait-on ? Que dire des problèmes de santé, des pertes d’emploi, du travail des enfants dans le textile, des aspects sociaux, etc. De ce point de vue, même s’il est soutenu, notre matériau est ultra rentable, imbattable même », assure Julien Jacquet, qui espère voir PermaFungi devenir leader européen dans la production de myco-matériaux et premier au monde à le faire de façon complètement circulaire.

Une récolte de champignons chez PermaFungi.

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