Rosanne Mathot

Super-héros retraité cherche successeur

Rosanne Mathot Journaliste

Où il est question du départ à la retraite de Captain Europe, de sa succession, mais aussi de Zwarte Piet, de collants poilus et d’une nonchalante hétaïre passant entretien d’embauche. Un récit à base de réalité, de fiction, de dérision et d’observation : quatre tiers servis exclusivement au « Café Geyser ».

« Quand je serai grande, je veux faire Armand De Decker  » : l’énoncé s’est mué en écoulement. A la table n°7, Captain Europe soupire. En grommelant, il barre une énième ligne sur la feuille étalée devant lui.  » Thank you, Mademoiselle. Next one, please !  » (1). Par la porte laissée ouverte s’engouffre un vent mouillé ainsi qu’un âne, des enfants, deux femmes, un saint Nicolas et cinq ou six débraillés avec des figures en chocolat et des braies en satin noir dans lesquelles pataugent des jambes maigrelettes (2). Captain Europe fait une pause pour observer, sur le mur, le ballet brouillon de son ombre portant cape, combinaison et masque et il conclut que le bilan de ses ripostes contre la bêtise humaine est, pour ainsi dire, nul. Trouver un successeur, pour défendre l’idéal européen, semble n’avoir jamais été si compliqué. Okay, les Zwarte Piet et le saint Nicolas, you can go. Les enfants et l’âne aussi !  »

Près de la porte, d’où la bise s’échappe en sifflant, ne restent plus que deux femmes. La première agite nerveusement des jambes, certes bleues, mais incroyablement poilues (3). Cinquante kilos d’os et de méfiance. Des dents pointues, en triangle ; une figure longue et jaune, comme le bottin. Elle déclame le Traité de Lisbonne, la langue entre les dents. Façon oraison. C’est funèbre.

L’autre, toute en cuisses, toute en muscles, toute en rondeurs. Deux escarpins bien au repos. Une médaille fait briller sa gorge nue (4). Une paire de hanches glorieuses dans un collant bleu. La peau corail. Une vitalité effrontée lui fend les lèvres. Elle s’approche du capitaine, avec la poitrine et le visage. Captain Europe exulte : l’aurait-il trouvée, son héroïne ? Si la gratitude pouvait s’élever jusqu’aux étoiles, il y aurait probablement un feu d’artifices, tout là-haut, à ce moment précis. Mais, alors, contre toute attente, la nonchalante hétaïre prend le capitaine par la main et l’entraîne sur la terrasse.

Dehors, dans la brume d’un Happy End en lycra bleu, les Zwarte Piet, l’âne et le saint Nicolas se réchauffent à un brasero. A leurs pieds : une montagne d’amour qui tient toute entière dans un couffin. Sous 28 étoiles, un bébé rayonne, le sourire sucré comme du massepain. Les yeux du capitaine caressent la joue de l’enfant, comme un flocon finit sa course. Et voilà que, de tous les coins du café, depuis toute la terrasse, depuis les trottoirs même, fleurissent à leur rencontre des hommages en formes de regards et d’applaudissements. Alors, un sentiment fait de stupéfaction, d’incrédulité, de joie et de crainte se fraie un chemin dans le coeur du capitaine. Le sentiment que l’on éprouve face à l’espoir.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer à 20h15, sur la Une…

(1)  » En poste  » depuis dix ans, Captain Europe a rendu son tablier, mi-novembre dernier. Figure loufoque, bien connue à Bruxelles, le seul  » super-héros de l’Union européenne  » (qui est fonctionnaire européen) cherche un successeur, de préférence une  » superhéroïne « .

(2) Zwarte Piet pourrait avoir à se recycler : le comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale estime que l’acolyte de saint Nicolas est parfois vécu comme  » un vestige de l’esclavage  » (Le Vif/L’Express du 25 novembre dernier).

(3) La lingerie  » antiviol  » bénéficie d’un succès mitigé. Les collants poilus chinois rivalisent avec les culottes électrisées indiennes.

(4) Saint Nicolas, patron des écoliers. Oui, mais pas que : c’est aussi le patron des prostituées.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire