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Big Bang: Thomas Hertog dévoile la dernière théorie sur les origines de l’univers de Stephen Hawking

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Rencontre avec le cosmologiste belge Thomas Hertog. Il dévoile, dans un tout récent ouvrage, la dernière théorie de Stephen Hawking sur les origines de l’univers, alors que se tient, le 28 mars, la première Journée mondiale du Big Bang.  

L’aube de l’univers n’a pas encore dévoilé tous ses secrets. Le 22 février, une équipe internationale d’astronomes publiait dans la revue Nature une découverte qui a fait sensation: grâce aux données fournies par le télescope spatial James-Webb, opérationnel depuis juillet dernier, ces scientifiques ont repéré treize galaxies nées, semble-t-il, peu de temps – 500 à 700 millions d’années – après le Big Bang, dont six seraient gigantesques. Si les estimations se confirment, ces galaxies lointaines auraient la masse de dix milliards d’étoiles. L’une d’elles dépasserait même les cent milliards, ce qui la rend presque aussi mature que notre Voie lactée (200 à 400 milliards d’étoiles). Vu leur âge, environ treize milliards d’années, ces ensembles d’étoiles devraient être minuscules, selon le modèle standard de l’univers primitif. Des galaxies massives seraient donc apparues à une époque beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait.

Stephen Hawking était passé maître dans l’art de dire beaucoup en peu de mots, tel l’oracle de Delphes.

Nul doute que cette découverte animera certaines conversations, le 28 mars, au Palais des beaux-arts de Charleroi, où une série d’activités ont été prévues à l’occasion de la première journée mondiale du Big Bang. Temps fort de l’événement: une double conférence, en soirée, avec le duo scientifique Véronique Dehant et Christophe Galfard, suivi par les astronautes européens Samantha Cristoforetti et Raphaël Liégeois. L’objectif des organisateurs est de rendre hommage au prêtre et astronome belge Georges Lemaître, né à Charleroi en 1894, et reconnu comme l’un des pères de la théorie du Big Bang.

Voyager dans le temps

Georges Lemaître est aussi à l’honneur dans L’Origine du temps. La dernière théorie de Stephen Hawking (1), publié ces jours-ci par le cosmologiste belge Thomas Hertog. «En 1927, Lemaître a prédit que l’espace s’étire quand on l’observe sur de longues périodes, mais il a fallu attendre les années 1990 pour que les progrès des télescopes nous permettent de remonter l’histoire de l’expansion de l’univers», signale l’auteur, professeur de physique théorique à la KU Leuven où a été imaginé le concept du Big Bang. «Les télescopes sont des machines à voyager dans le temps, rappelle Thomas Hertog. Regarder loin dans l’espace, c’est regarder loin dans le passé. Car la lumière des étoiles et des galaxies lointaines a voyagé pendant des millions, voire des milliards d’années avant de nous atteindre.»

Pour Thomas Hertog, travailler avec Stephen Hawking fut un voyage aux confins de l’espace mais aussi dans les profondeurs de l'esprit du célèbre physicien.
Pour Thomas Hertog, travailler avec Stephen Hawking fut un voyage aux confins de l’espace mais aussi dans les profondeurs de l’esprit du célèbre physicien. © dr

Dans les décennies qui ont suivi les travaux fondateurs de Lemaître, les physiciens sont tombés sur un nombre croissant de «coïncidences heureuses»: «Si un seul élément avait varié dans les lois physiques créées lors du Big Bang, l’univers aurait été stérile, non habitable, souligne le cosmologiste. Prenez la gravitation, la force qui sculpte et gouverne le cosmos à grande échelle. Elle est faible: il faut des masses comme celle de la Terre pour nous maintenir au sol. Si elle était plus forte, les étoiles brûleraient plus vite et mourraient plus tôt, sans laisser le temps à la vie de se développer sur une ou plusieurs des planètes réchauffées par ces soleils. De même, si les écarts de température du rayonnement résiduel du Big Bang étaient un peu plus importants, la plupart des graines de structures cosmiques auraient fini par former plein de trous noirs géants, au lieu de galaxies accueillantes parsemées d’étoiles. Autre heureuse coïncidence cosmique: nous vivons dans un espace à trois dimensions. Avec une dimension supplémentaire, les atomes et les orbites planétaires seraient instables. La Terre “spiralerait” vers le Soleil. Dans un univers à seulement deux dimensions, ce ne serait pas mieux: la vie aurait du mal à émerger et plus encore à se maintenir.»

La grande énigme

Le Big Bang a donc placé l’univers sur une trajectoire favorable à la vie, dont les fruits seront visibles plusieurs milliards d’années plus tard, constatent les cosmologistes. Tout se passe comme si le cosmos était conçu avec le dessein de rendre la vie possible. «Ce design apparent du monde a été utilisé, depuis Aristote, comme un indice qui prouverait l’existence d’un but global, de nature divine ou non, reprend Thomas Hertog. Ce casse-tête pour physiciens n’a pas été résolu avec la révolution scientifique moderne amorcée par Copernic, Galilée et consorts. Elle n’a pas permis de comprendre pourquoi l’univers était si favorable à la vie. Stephen Hawking l’a souligné au cours de notre tout premier entretien, en juin 1998, dans son bureau du département de mathématiques appliquées et de physique théorique de l’université de Cambridge.»

Visualisation du « fond diffus cosmologique » par le satellite Planck de l’ESA. Un rayonnement émis 380 000 ans après le Big Bang.
Visualisation du « fond diffus cosmologique » par le satellite Planck de l’ESA. Un rayonnement émis 380 000 ans après le Big Bang. © ESA and the Planck Collaboration

Lors de cette première rencontre, le jeune doctorant belge est intrigué par la phrase qui défile sans discontinuer sur l’économiseur d’écran de l’ordinateur de Stephen Hawking: «Aller sans hésiter là où Star Trek n’ose pas s’aventurer.» Un quart de siècle plus tard, Hertog décode: «Stephen était fasciné par la pop culture, le cinéma, les stars de Hollywood. Sur le mur près de la porte de son bureau trônait un portrait de Marilyn Monroe. En dessous était accroché une image de Hawking lui-même, occupé à jouer au poker avec Einstein et Newton sur le deck holographique de l’Enterprise, le vaisseau spatial iconique de la série Star Trek. Mais ce message affiché sur l’écran exprime aussi la conviction du scientifique britannique qu’il faut toujours chercher plus loin, hors de la zone de confort de la physique, qu’il faut s’interroger sur notre place dans le monde et sur la signification profonde des lois de la nature elles-mêmes.»

Comme l’oracle de Delphes

Dans son livre, Thomas Hertog présente le résultat de deux décennies de travail côte à côte avec l’auteur d’Une brève histoire du temps (1988), décédé le 14 mars 2018. «Bien sûr, notre collaboration s’est développée en même temps que Stephen cultivait sa célébrité mondiale, mais il abandonnait cette attitude derrière les murs du vieux bâtiment victorien de Cambridge où nous poursuivions nos recherches, raconte le cosmologiste belge. En lisant le journal, je tombais sur une photo de lui conduisant dans Ramallah ou flottant dans un avion en vol zéro gravité. Mais avec nous, il redevenait un chercheur parmi d’autres, qui tentait de comprendre l’univers et ses lois. Paralysé par la maladie de Charcot, il était passé maître dans l’art de dire beaucoup en peu de mots, tel l’oracle de Delphes. Le résultat était une manière unique de penser et de parler de physique. Mais cette concision impliquait que toute erreur, comme l’absence d’un mot dans une phrase, pouvait déboucher sur de la frustration et de la confusion.»

Selon la cosmologie de Hawking, les lois de la physique naissent et évoluent en même temps que l’univers.

Quand Hertog fait la connaissance de Hawking, le scientifique britannique a déjà perdu, une douzaine d’années plus tôt, l’usage de la parole, à la suite d’une trachéotomie subie pour mieux respirer lors d’un épisode de pneumonie. Sa tête, trop lourde pour qu’il puisse la tenir droite, restait penchée sur l’appuie-tête de son fauteuil roulant. Malgré une voix naturelle réduite au silence et une faiblesse qui l’empêchait de remuer un doigt, il était devenu le plus grand communicant scientifique de son époque. «Il y avait quelque chose de magique chez lui, estime le scientifique de la KU Leuven. Pratiquement sans bouger, Stephen insufflait de la vie dans nos conversations. Travailler avec lui fut pour moi un voyage aux confins de l’espace et du temps, mais aussi dans les profondeurs de son esprit. Je me mettais dans son champ de vision et le bombardais de questions. Les yeux de Stephen s’illuminaient quand mes arguments résonnaient avec son intuition. Ces allers-retours successifs et la compréhension mutuelle forgée au cours des ans ont permis d’élaborer la théorie finale de l’univers de Hawking

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Le cosmos revisité

Comme tant de savants avant lui, le Hawking première époque considérait les lois physiques comme des vérités immuables, gravées dans le marbre à la manière de commandements divins. «Si vraiment nous découvrions une théorie complète, nous connaîtrions la pensée de Dieu», écrit-il dans Une brève histoire du temps. Par la suite, le scientifique prend conscience que ce cadre théorique échoue à rendre compte de la portée de la découverte de Georges Lemaître sur l’univers. Hawking avance que les lois de la physique naissent et évoluent en même temps que le cosmos qu’elles gouvernent. «Lorsqu’on remonte aux premiers temps de l’univers, on identifie un niveau d’évolution plus profond encore, au sein duquel les lois physiques elles-mêmes se transforment et se simplifient jusqu’à ce que les particules, les forces et le temps s’évanouissent, développe Thomas Hertog. Stephen et moi en sommes venus à considérer le Big Bang non seulement comme l’origine du temps, mais aussi comme l’origine des lois physiques.»

Véritable cocktail de physicien, l’ultime vision cosmologique de Stephen Hawking est un mélange de relativité générale, de physique quantique et de théorie de l’évolution de Darwin. «Hawking a d’abord proclamé que l’univers a été créé à partir de rien, remarque Hertog. Sa théorie finale ne part plus d’un vide, mais considère l’origine du temps comme la limite de ce que l’on peut dire de notre passé, et non le commencement de tout. Darwin a reconstruit l’arbre de vie au départ de ses observations. Nous reconstruisons l’arbre des lois physiques à partir des nôtres. Mais ce travail doit se poursuivre, car nous disposons d’informations éparses sur les premiers instants de l’univers. Les progrès des télescopes élargiront nos connaissances.»

Einstein ne croit pas à l’expansion de l’univers, la théorie du Belge Georges Lemaître.
Einstein ne croit pas à l’expansion de l’univers, la théorie du Belge Georges Lemaître. © belga image

Comprendre nos racines

La cosmologie quantique de Hawking retourne ainsi l’énigme du design apparent de l’univers, assure Thomas Hertog: «Nous considérons l’univers comme une entité auto-organisée, d’où émergent les lois de la physique, et qui élabore sa propre aptitude au vivant. Comme Einstein, Hawking pensait que le futur à long terme de l’humanité dépendrait de notre capacité à comprendre nos racines profondes. C’est ce qui a poussé Stephen à étudier le Big Bang. Sa théorie finale de l’univers est une cosmologie au sens humaniste du terme, qui voit l’univers comme notre maison.»

(1) L’Origine du temps. La dernière théorie de Stephen Hawking, par Thomas Hertog, éd. Odile Jacob, 431 p.

Vocabulaire

Cosmologie

Science de la formation de l’univers et de ses lois physiques.

Univers

Ensemble de tous les corps célestes, étoiles, planètes, gaz, poussières…

Big Bang

Phase ultradense et ultrachaude des origines de l’univers. Dans le langage courant, l’expression désigne la création de l’univers, l’«instant zéro». Mais selon les théories physiques actuelles, il n’y a pas de «singularité initiale».

L’infini en dix dates

1915

Albert Einstein (1879 – 1955) publie sa théorie de la gravitation, dite relativité générale.

1917

Einstein ajoute à ses équations de la relativité générale la constante cosmologique pour rendre sa théorie compatible avec sa vision d’un univers statique, qui n’évolue pas avec le temps.

1922

Le mathématicien russe Alexandre Friedmann (1888 – 1925) introduit l’idée d’un univers non statique.

1927

Le chanoine et astrophysicien belge Georges Lemaître (1894 – 1966) établit que l’univers est en constante expansion.

1929

L’astronome américain Edwin Hubble (1889 – 1953) confirme par des mesures que plus une galaxie est lointaine, plus elle s’éloigne vite (loi de Hubble), ce qui valide la théorie de Lemaître.

1931

Lemaître émet l’hypothèse d’un commencement à l’univers sous la forme d’un point unique, appelé l’«atome primitif».

1949

Le cosmologiste britannique Fred Hoyle (1915 – 2001) invente le terme ironique de «Big Bang» pour désigner ce modèle.

1964

Détection du «fonds diffus cosmologique», appelé aussi «rayonnement fossile». Ce rayonnement électromagnétique quasi homogène, émis 380 000 ans après le Big Bang, est un vestige de l’époque chaude de l’univers primordial.

1998

Notion d’«énergie sombre» (dark energy), responsable de l’accélération de l’expansion de l’univers.

2018

La loi de Hubble est rebaptisée «loi de Hubble-Lemaître» par l’Union astronomique internationale.

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