Thierry Fiorilli

Stéphane Moreau, « d’Ans avec le loup »

Thierry Fiorilli Journaliste

Stéphane Moreau n’est pas un passionné de football. Mais son sang et son rang liégeois lui imposent une présence régulière dans la loge Voo du Standard. Le foot, dès lors, les passions qu’il déchaîne, le sens tactique qu’il exige, le rôle et la personnalité de l’entraîneur d’un club, le CEO déchu de Nethys connaît.

Il y a même de fortes probabilités qu’il sache qui est Jürgen Klopp : le coach allemand de Liverpool, vénéré par les joueurs, les patrons et les supporters des trois équipes différentes qu’il a guidées jusqu’ici en dix-huit ans de carrière. Dans son numéro d’octobre, le mensuel français So Foot demande à celui qui a mené en mai dernier d’autres « Rouches » que ceux de Sclessin – les Reds d’Anfield Road donc – au titre de champions d’Europe s’il pourrait « aligner un grand joueur qui ne serait pas humainement très respectable ». La réponse est somptueuse : « Je le pourrais. Est-ce que j’en aurais envie ? Je n’en suis pas sûr. Dans une collectivité ou un groupe social, personne n’a une importance telle que tu doives faire l’impasse sur son attitude ou sa façon de se comporter avec les autres. »

Le raisonnement de Jürgen Klopp évoque la tournure qu’a prise la trajectoire de Stéphane Moreau. Un génie. D’une volonté et d’une ambition peu communes. Capacité de travail phénoménale. Qui apprend vite. Comprend encore plus vite. Sait où, quand et comment se placer. Sait tout autant de qui s’entourer. Un homme qu’on peut qualifier de hors norme. En témoignent son itinéraire, exceptionnel, la rapidité de son ascension (politique et économique), l’ampleur de son pouvoir (local, régional et industriel), l’ingénierie des systèmes de gestion qu’il a mis en place et sa capacité de résistance face à l’adversité : entre le début des vrais ennuis, fin 2016, avec l’irruption du scandale Publifin, et la fin de son règne à la tête d’un empire né comme une banale intercommunale pour terminer en authentique holding financier, presque trois ans se seront écoulés.

Stéphane Moreau est sans doute persuadé que sa chute, désormais inéluctable, est injuste. Qu’elle est le fait d’imbéciles, d’inconscients, de jaloux, d’incompétents. Qu’elle est un outrage. Qu’elle efface tout ce qu’il a réalisé, pour sa commune (Ans), pour Liège, la province, la Wallonie, l’emploi. Stéphane Moreau est à coup sûr convaincu qu’il est une victime. Des médias (et singulièrement du Vif/L’Express), d’Ecolo, des élus PS proches d’Elio Di Rupo, des non-Liégeois, de juges partiaux, d’adversaires félons.

Probablement, Stéphane Moreau n’envisage-t-il pas l’éventualité qu’il est, lui, le principal responsable de sa disgrâce. Parce qu’il a considéré, une fois arrivé à plusieurs des sommets qu’il s’était fixés, qu’il avait une stature telle que n’importe quelle collectivité ferait l’impasse sur son attitude ou sa façon de se comporter avec les autres. Et donc, il a fini par confondre énergie et brutalité, pouvoir et omnipotence, politique et business, gouvernance et manoeuvres. L’une des morales de son « affaire », c’est que même le plus prodigieux des surdoués est condamné à la déchéance dès lors que ses succès lui rendent insupportables tant les règles édictées par d’autres que tout ce qui incarne le contre-pouvoir : les adversaires, les concurrents, la justice, la presse. L’homme d’Ans aura ainsi tenté, et souvent réussi, d’émasculer ceux qui s’érigeaient en contre-pouvoir. Soit en les ralliant à son panache, soit en les faisant profiter de différents systèmes (qu’il avait, avec sa garde rapprochée, imaginés, ou dont il avait utilisé les failles), soit en les intimidant. Dans tous les cas : il s’est trouvé peu de remparts, pendant très longtemps, pour l’empêcher d’agir à ce qui ressemble furieusement à sa guise.

Jusqu’à ce qu’un conseiller communal se dresse en resistant, puis en lanceur d’alerte. Que cette alerte soit amplifiée par Le Vif/L’Express puis, avec plus ou moins de rapidité, par d’autres titres de presse. Que ce qui était la révélation d’une rémunération indue d’élus locaux, avec de l’argent public, depuis des années, emporte un ministre proche de Moreau (Paul Furlan), puis un gouvernement (un autre scandale, bruxellois, ayant éclaté, sans rapport mais comparable en matière de pratiques indécentes mais considérées comme tout à fait normales pour ceux qui en bénéficiaient). Et que le wonderboy se transforme en symbole de « la politique qui dégoûte le citoyen ». On a évoqué des méthodes mafieuses, on a parlé de magouilles entre amis, on a révélé des revenus impressionnants, on a découvert des activités très éloignées de ce qu’on reste en droit d’attendre de quelqu’un qui était d’abord un homme politique. Mais qui ne fonctionnait plus que comme un homme d’affaires. Allergique à tout ce qui pouvait freiner son élan et ses ambitions personnelles (financières, de plus en plus)

En ce sens, le parcours de Stéphane Moreau a des parfums autant de Gatsby le Magnifique que du Loup de Wall Street. Deux histoires où l’argent, qui a longtemps manqué, occupe une telle place qu’il finit par estomper toutes les normes pour celui qui le détient enfin, par brassées.

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