Sport, musique, médias, politique…: Twitch à la conquête de tous les univers

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Bien au-delà des seuls jeux vidéo, la célèbre plateforme de streaming d’Amazon monte en puissance dans d’autres secteurs clés. Jusqu’à se rendre incontournable pour s’adresser aux 13-35 ans?

Désolé pour les pourfendeurs d’anglicismes. Dans l’univers en pleine expansion de Twitch, les diffuseurs sont des streamers, les spectateurs des viewers, les abonnements des subs, les abonnés des followers, sans parler de l’incontournable chat. Parsemez-le de bits, une monnaie virtuelle visant à supporter les créateurs, et vous obtenez la première plateforme de streaming en direct dans le secteur des jeux vidéo et de l’esport, loin devant YouTube Gaming et Facebook Gaming. Chaque jour, elle attire environ trente millions de spectateurs, tandis que 7 millions de personnes y diffusent du contenu tous les mois. En hausse constante depuis son lancement en 2012, le nombre d’heures visionnées sur Twitch a explosé avec la crise sanitaire (voir le graphique). Et cette progression se poursuit en 2021, malgré des mesures de confinement comparativement bien plus strictes au printemps de l’année dernière.

Sport, musique, médias, politique...: Twitch à la conquête de tous les univers

Un micro, une webcam, et le direct peut commencer. Les deux mots d’ordre, quel que soit l’univers: simplicité et interactivité. Même si certains diffuseurs professionnels peaufinent la forme, celle-ci reste anecdotique. Un streamer peut faire valoir sa notoriété, sa personnalité et ses compétences, mais ne se bâtira aucune communauté sans prêter attention à son chat. Le sentiment d’appartenance est d’ailleurs crucial pour monétiser une chaîne, d’autant que les subs mensuels (dès 6,99 euros) visent davantage à afficher son statut de fan qu’à obtenir des avantages concrets (des émoticônes exclusifs, moins de pubs et des discussions parfois réservées aux abonnés). Logiquement, ces codes geek en font une plateforme destinée en priorité à un jeune public – au moins 80% des utilisateurs seraient âgés entre 13 et 35 ans – et jusqu’ici essentiellement consacrée à l’univers du gaming.

Nous ne sommes pas et n’avons jamais été une plateforme de liberté d’expression.

Mais la diversification est désormais au coeur de la stratégie de Twitch, racheté en 2014 par Amazon pour 970 millions de dollars. « Au départ, tout repose sur le principe de live casting, qui vise à diffuser des éléments en direct de la vie d’une personne à une communauté, dans une logique de partage d’expérience autour d’un centre d’intérêt commun, commente Louis Wiart, professeur en communication à l’ULB et spécialiste des stratégies des plateformes. Le succès de Twitch renvoie inévitablement à celui du jeu vidéo, en tant que première industrie culturelle à l’échelle mondiale. Aujourd’hui encore, la page d’accueil de Twitch propose principalement des streams de jeux vidéo. Mais progressivement, la plateforme s’est élargie à bien d’autres thématiques. Ce mouvement s’est accéléré en 2020 à la faveur de la crise sanitaire. »

Le sport en hausse de 1 300%

Une analyse confirmée par Damian Burns, senior vice president de Twitch pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (Emea). « Au cours des trois dernières années, les contenus hors gaming ont quadruplé sur nos services. Ceux-ci, extrêmement variés, vont de l’art à la scène drag queen, des simples discussions au sport, de la musique aux médias… Nous soutenons particulièrement ces trois derniers secteurs. » En 2020, les contenus sportifs dans la zone Emea ont ainsi augmenté de 1 300% par rapport à l’année précédente, principalement grâce à la France. Ceux-ci dépassent parfois la seule dimension interactive, puisque Twitch diffuse désormais certains matchs de football (notamment ceux de présaison de l’Olympique de Marseille) ou de basket. De plus en plus de médias se prêtent aussi à l’exercice. En Belgique, la RTBF a investi la scène de Twitch via sa chaîne Tarmac (23 400 followers), essentiellement axée sur le gaming et la culture urbaine. A titre personnel ou à l’échelle de leur parti, les politiques y voient également un nouveau terrain d’expression. La marge de progression reste immense: à l’heure actuelle, les chaînes du PS (PSbelgique) et du MR (MouvementReformateur), pourtant très actives, ne comptent respectivement que 493 et 180 followers.

Pour les nouveaux venus, l’exercice reste périlleux. Sur Twitch, un live réussi dépendra de la capacité de l’intervenant à en maîtriser les codes spécifiques comme les flux de commentaires dénigrants ou inutiles susceptibles de ruiner la diffusion. Récemment, le Premier ministre français Jean Castex s’est ainsi attiré les moqueries des internautes après sa piètre prestation en tant qu’invité sur la chaîne du médiatique Samuel Etienne. Raté plus flagrant encore pour BFM TV, en mars dernier: le premier live de la chaîne française d’information en continu s’est essentiellement traduit par un flot d’insultes à l’encontre de sa ligne éditoriale et de remarques sexistes envers sa présentatrice. « La question de la modération et de la gestion des flux de commentaires est en effet centrale, et certains dispositifs doivent encore être développés en ce sens », souligne Louis Wiart.

De même, l’arrivée de personnalités politiques pose la question des potentielles tribunes à fake news, un problème auquel des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ont été confrontés. « Bien que le contenu politique soit autorisé sur Twitch, nous n’autorisons pas les politiciens ou les campagnes à acheter des publicités ou à monétiser leurs chaînes, précise Damian Burns. Nous ne sommes pas et n’avons jamais été une plateforme de liberté d’expression. Cela signifie que le contenu qui peut être acceptable ailleurs n’est tout simplement pas le bienvenu sur Twitch. »

Pour Louis Wiart, la plateforme se positionne comme un maillon de plus en plus indispensable à l’écosystème d’Amazon, en quête de formats et de fonctionnalités publicitaires complémentaires pour attirer de nouveaux annonceurs. Potentielle pépite pour capter très tôt l’attention du « pouvoir d’achat de demain », elle a déjà gagné le pari de la diversification de ses contenus. Mais dans le monde concurrentiel des plateformes, où tant d’acteurs d’hier finissent par tomber dans l’oubli, il est encore trop tôt pour affirmer que Twitch a gagné la partie.

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