Jean-Marie Dermagne

‘Sortons les pauvres et les drogués des prisons ! Tout le monde y gagnera…’

Jean-Marie Dermagne Avocat, ancien bâtonnier - Porte-parole du Syndicat des avocats pour la démocratie (SAD)

SEXE ! J’ai écrit « sexe » parce que si j’avais commencé par « prisons« , vous ne m’auriez sans doute pas lu… C’est pourtant le naufrage pénitentiaire – que la rentrée, par la petite porte, des gardiens n’a pas stoppé – qui me fait sortir de mes gonds. Merci à vous si vous lisez tout de même la suite…

On punit de plus en plus et, quoi qu’on pense, les juges cognent dur

Principale cause du naufrage : le lestage du bateau carcéral du fait d’une surpopulation endémique. On punit de plus en plus et, quoi qu’on pense, les juges cognent dur. La cause ? Beaucoup de médias font croire que les gens réclament une répression sans quartier et les gouvernants comme les juges le gobent. Du coup, on retrouve derrière les barreaux, non seulement les monstres, les vauriens indécrottables et les brutes invétérées (qui, soit relevé en passant, ne doivent même pas faire 20% du total) mais, davantage, des naufragés de l’existence, des étrangers en perdition, des paumés et puis la déferlante de ceux qui sont ramassés dans les filets de la sempiternelle lutte contre les drogues. S’y ajoutent les légions des gens soupçonnés ou accusés de tout et parfois n’importe quoi et à qui on veut, sans même attendre un jugement, donner séance tenante, via la détention dite préventive, une « bonne leçon ».

La classe moyenne peine à saisir que ce qu’on économise du côté de la Sécu, on est forcé d’en injecter le double dans le système pénal et pénitentiaire

Malheur aux pauvres…

Les premiers à se retrouver derrière les barreaux ne sont pas les caïds ou les malfaiteurs qu’on évoque dans les séries télévisées mais les illettrés, les sans-papiers, les pauvres, qui souvent marchent sur la corde raide et, parfois, chutent. Il arrive que la sévérité des peines qu’ils ont à subir ne soit liée qu’à leur absence ou à leur défense indigente ou maladroite. Leur formation souvent réduite à peu de chose les marginalise. C’est pour eux que Victor Hugo a prêché, souvent dans le désert, la construction d’écoles qui devait faire fermer des prisons. Mais ça fait des lustres qu’on ne construit plus guère d’écoles et quelques années, en revanche, qu’on fabrique de nouvelles prisons. La situation s’aggrave à mesure que la protection sociale se réduit comme une peau de chagrin. Et la classe moyenne peine à saisir que ce qu’on économise du côté de la sécurité et de l’aide sociale, en en excluant les bénéficiaires à tour de bras, on est forcé d’en injecter le double dans le système pénal et pénitentiaire. La discrimination fondée sur la fortune est prohibée : pourtant il n’y a pas d’endroit où elle est le plus honteusement spectaculaire que dans les palais de justice et les prisons…

Comme à l’époque d’Al Capone…

A l’époque d’Al Capone, dont tout le monde a le souvenir grâce à « Tintin en Amérique », les U.S.A. ont connu la prohibition de l’alcool imposée, en 1917, notamment des « ligues de vertu ». Le constat d’échec fut vite fait : malgré Eliot Ness et toutes les polices sur le pied de guerre, ni la production, ni la vente, ni la consommation n’ont diminué. Ce fut, par surcroît, un désastre sanitaire et social : explosion du marché noir, diffusion de produits frelatés, prise en charge du trafic par les réseaux du crime organisé etc. Si bien qu’en 1933, le président Roosevelt mit fin à cette calamiteuse et inutile « prohibition ». On assiste à la même bérézina avec les drogues qui restent illicites : les pays dont le régime est le plus répressif sont aussi ceux où la consommation est la plus forte avec, à la clé, d’énormes dégâts sanitaires et sociaux, du fait de la marginalisation et la désocialisation d’une partie de la jeunesse consommatrice. Récemment, l’association française des médecins addictologues s’est prononcée pour la dépénalisation et la légalisation du cannabis. Des cohortes de policiers et de magistrats passent dans le camp des antiprohibitionnistes après avoir été chasseurs de trafiquants.

La légalisation des drogues, outre qu’elle apportera une manne fiscale, déchargera les finances publiques de lourds fardeaux, car la guerre est coûteuse

Certes, les drogues sont un fléau mais, comme la réponse pénale et carcérale n’a rien jugulé, l’intelligence et la sagesse commandent de changer de cap. Le Portugal a dépénalisé les drogues depuis plus de 15 ans et n’envisage nullement de faire marche arrière. Des états américains, comme le Colorado ou l’état de Washington, au nord, l’Uruguay, au sud, ont légalisé le cannabis sans augmentation de la consommation. Beaucoup se frottent les mains et encaissent de plantureuses recettes fiscales. Même si elle doit s’accompagner de campagnes de prévention et de programmes médico-sociaux, la légalisation des drogues, outre qu’elle apportera une manne fiscale, déchargera les finances publiques de lourds fardeaux car la guerre est coûteuse. Et puis les juges et les policiers atteints ou menacés par le burn-out pourront souffler. Délester les prisons évitera qu’elles accouchent de bêtes fauves. Que les choses n’aient pas encore bougé est mystérieux car, à tout le moins pour le cannabis, il n’y a quasi plus, contre la légalisation, que les… trafiquants…

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