Bart De Wever avait promis " la force du changement ", elle est surtout visible dans sa communication. Le discours rassembleur de son prédécesseur a laissé place à la polarisation. © JONAS ROOSENS/BELGAIMAGE

Six ans de N-VA à Anvers: le bilan

Le Vif

A l’issue des élections communales de 2012, Bart De Wever a mis un terme à quatre-vingt-huit ans de pouvoir socialiste à Anvers. Un moment historique qui a ouvert la voie vers une coalition N-VA, CD&V et Open VLD. Tout comme en Flandre et du côté flamand au fédéral deux ans plus tard. Réussites, échecs, promesses (non) tenues… quel est le bilan de Bart De Wever comme bourgmestre d’Anvers ?

La réussite : la liaison Oosterweel

Après plus de vingt ans d’impasse, une solution pour boucler le périphérique d’Anvers voit enfin le jour : la  » liaison Oosterweel « . L’intendant désigné par le gouvernement flamand a trouvé un compromis. Le gouvernement flamand, la Ville et le port d’Anvers investissent 1,25 milliard d’euros pour entamer la première phase de recouvrement du ring. En échange, les organisations civiles s’engagent à retirer leur recours auprès du Conseil d’Etat sur la liaison Oosterweel.  » C’est un coup de maître de la N-VA. Elle a réussi là où le parti socialiste a toujours échoué « , déclare le professeur en sciences politiques Dave Sinardet.

Au niveau mobilité, les résultats semblent positifs à première vue : le nombre de cyclistes a augmenté de 40 % l’année dernière, les systèmes de transport partagé et les Park and Ride se développent, la zone de basses émissions introduite en 2017 devrait améliorer la qualité de l’air. Anvers conserve néanmoins son titre de  » capitale des embouteillages de Belgique « . Il y a toujours de nombreux parkings dans le centre historique. La sécurité routière laisse à désirer : en octobre 2017, trois cyclistes ont par exemple perdu la vie en deux semaines.

La ville est parsemée de travaux, la circulation sur les grands boulevards est interrompue de juin 2017 à 2019. Selon Manu Claeys de l’organisation stRaten-generaal, ces chantiers donnent une image déformée de la mobilité :  » Qui dit que la population ne reprendra pas le volant après les travaux ?  » Même si le collège affirme laisser le choix du transport, la voiture prend de facto le dessus :  » Le centre-ville n’est pas adapté pour avoir à la fois voitures et transports en commun, relève Herman Welter, journaliste expert en mobilité. Dans son nouveau code de construction, la Ville prévoit plus de places de parking qu’avant.  » Avec cette mesure, on promeut la voiture, ce qui aura des effets désastreux pour l’avenir « , craint Manu Claeys.

En cinq ans, Anvers a augmenté de 17 % ses investissements en matière de sécurité.
En cinq ans, Anvers a augmenté de 17 % ses investissements en matière de sécurité.© JAN VAN DER PERRE/ID PHOTO AGENCY

L’échec : la War on Drugs

Bart De Wever a fait de la  » War on Drugs  » son cheval de bataille. Mais les résultats sont loin de convaincre. Ces deux dernières années, le nombre de règlements de compte entre mafias de la drogue explose. En 2017, 42 tonnes de cocaïne ont été saisies dans le port d’Anvers, un record. Joris van der Aa, journaliste d’enquête, estime que l’impact des interventions policières reste limité.  » On s’attaque aux symptômes, non au phénomène. Le prix de la drogue n’a pas changé. Il est toujours aussi facile de s’approvisionner.  »

Sur les délits liés à la drogue enregistrés, 70 % concernent la possession de stupéfiants et 25 % le trafic. La criminologue Sofie De Kimpe en déduit que la police s’attaque aux petits criminels :  » La criminalité n’est donc plus visible en rue et les transactions se font hors du radar.  » Joris van der Aa assure néanmoins que le bourgmestre est conscient du problème. A la demande de la Ville, l’économie souterraine du district Borgerhout a fait l’objet d’une étude, l’idée étant d’étendre cette pratique à toute la Métropole. Le Stroomplan, un plan fédéral de lutte contre la drogue réunissant diverses instances est entré en action début septembre.

La Ville a augmenté ses investissements en sécurité de 17 % en cinq ans. La police anversoise est la première du pays à recruter elle-même ses agents. Elle aura un nouveau bureau pour la somme de 300 millions d’euros. Elle a aussi investi dans de nouvelles armes, des voitures blindées et une nouvelle force spéciale active 24h/24.  » On assiste à une militarisation de la police « , commente Sofie De Kimpe. Les statistiques de la criminalité enregistrées ont officiellement fortement diminué pendant la législature. Mais la criminologue nuance :  » Ce sont les chiffres que la police a enregistrés, il ne s’agit pas de données réellement scientifiques « . Les commissariats de quartier sont moins longtemps ouverts, les agents patrouillent en combi. Les éducateurs de rue ont été supprimés.  » Le fossé entre les citoyens et la police se creuse « , déplore Jinnih Beels, tête de liste SP.A pour les communales.

Bart De Wever et une partie du collège communal surpris en train de se rendre à une fête organisée par un promoteur immobilier. Conflit d'intérêts ?
Bart De Wever et une partie du collège communal surpris en train de se rendre à une fête organisée par un promoteur immobilier. Conflit d’intérêts ?© APACHE.BE

Le scandale : ‘t Fornuis

En novembre 2017, le site d’information Apache avait diffusé une vidéo montrant une grande partie du collège, dont Bart De Wever, arrivant à une fête d’anniversaire privée d’un lobbyiste du promoteur Land Invest Group dans le restaurant de luxe ‘t Fornuis. Le même promoteur qui a remporté de grands projets immobiliers anversois.  » Le secteur immobilier et le monde politique se rapprochent, ce qui peut être perçu comme un conflit d’intérêts « , observe Dave Sinardet. Le nouveau collège a aboli la structure autonome qui faisait office de tampon entre la politique et les promoteurs immobiliers.

Dans le dossier Tunnelplaats, un ancien garage a été acquis pour 5,8 millions d’euros et revendu le même jour pour 9 millions à une filiale de Land Invest Group en décembre 2012. Contre l’avis de l’organe public d’urbanisme, la Ville accepte, en août 2016, le projet de construction d’une tour à cet endroit. Le promoteur était-il au courant que la Ville allait accepter une dérogation ?  » Tous les promoteurs ont suivi les prescriptions sauf Land Invest Group. Les mêmes règles ne valent pas pour tous « , regrette Kristiaan Borret, ancien maître-architecte d’Anvers.

Une nouvelle note architecturale établit les critères pour la construction de hauts bâtiments. Elle devait s’appliquer pour la première fois à l’immeuble de bureaux Tolhuis. Mais, l’échevin Rob Van De Velde (N-VA) a obtenu une exception sur la note afin de permettre la construction de bâtiments plus hauts que prévus. Finalement, revirement de situation en avril dernier : le collège a décidé de garder le bâtiment tel quel et de le transformer en un centre pour start-up.

Déçu de la vision globale du collège, Kristiaan Borret a démissionné :  » J’ai du mal avec le manque de cohérence : comment peut-on approuver une note générale et y déroger pour le premier projet qui se présente ?  » Son remplaçant, Christian Rapp, travaille à mi-temps avec une équipe réduite.  » Il reste proche des politiques et des promoteurs « , commente Jef Van den Broeck, professeur honoraire à la KUL. Sollicité par le Vif/L’Express, Christian Rapp avait au départ accepté une interview, mais l’a finalement annulée la veille après avoir pris connaissance des questions.

La promesse tenue : l’ouverture vers le privé

Comme dans le secteur immobilier, le collège anversois souhaite davantage collaborer avec le monde privé : la police confie la surveillance d’un commissariat à une société de gardiennage. Une entreprise néerlandaise contrôle si les bénéficiaires du CPAS n’ont pas un autre logement dans leur pays d’origine. Dans le secteur social, des appels d’offres ouverts aux sociétés à but lucratif ont été lancés pour une dizaine de projets, dont le centre d’accueil pour sans-abri De Vaart. L’agence de sécurité G4S, qui avait remporté l’appel, a dû laisser la main à l’ancien gestionnaire, CAW, en raison d’irrégularités dans le dossier.

Cette commercialisation des services présente des avantages pour la Ville, selon le professeur en sociologie Peter Raeymaeckers :  » Elle n’endosse plus la responsabilité du résultat final et il est plus facile de contrôler les organisations.  » Dans le même temps, les conditions d’accès aux services sociaux sont appliquées si sévèrement que cela décourage des citoyens de demander des aides auxquelles ils ont droit. Le nombre de cartes médicales octroyées a par exemple chuté de 4 701 à 1 144 en cinq ans.

En matière de logements sociaux, Anvers se situe au-dessus de la norme flamande et le nombre de logements est resté stable pendant la législature. Parallèlement, le nombre de demandeurs a doublé et le temps d’attente varie entre quatre et huit ans. Beaucoup de personnes se tournent dès lors vers le marché privé où les loyers ont augmenté de 29 % ces sept dernières années. La N-VA avait promis de réduire la pauvreté des jeunes, mais elle est en hausse : 29,6 % des enfants de moins de 3 ans vivent encore dans la précarité. Des repas pour les enfants à un euro ont été introduits,  » mais la Ville ne s’attaque pas de manière structurelle aux problèmes « , lance Lise Vandecasteele (PTB), membre du conseil du CPAS.

Anvers a aussi investi dans de nouveaux projets comme le Zorgshostel, une habitation résidentielle pour une vingtaine de SDF toxicomanes, pour un budget de plus de 900 000 euros par an. C’est pour la  » crème de la crème « , s’exclame Luc Muraille du CAW. Pour espérer y entrer, il faut être sans-abri, avoir des problèmes de drogue et avoir perturbé l’ordre public.

Bart De Wever et son équipe rejettent la faute sur les autres quand les critiques se font entendre.
Bart De Wever et son équipe rejettent la faute sur les autres quand les critiques se font entendre.© WOUTER VAN VOOREN/ID PHOTO AGENCY

La stratégie : la faute des autres

Le précédent bourgmestre Patrick Janssens (SP.A) essayait de rassembler. Bart De Wever et son équipe divisent. Ils rejettent la faute sur les autres quand des critiques se font entendre.  » Sans la crise des réfugiés, le nombre d’inscrits au CPAS à Anvers en 2016 aurait diminué « , avait déclaré le président du CPAS Fons Duchateau (N-VA) à la télévision. Or, les statistiques du SPP Intégration sociale montrent qu’entre 2013 et 2017, la part de non-réfugiés bénéficiant du CPAS a augmenté de 38 %. Selon Dave Sinardet, Bart De Wever adopte un discours polarisant  » parce qu’il porte une double casquette. En tant que bourgmestre, il se doit de rassembler, mais il est également président de parti où il doit défendre l’intérêt de sa formation.  »

Pour plaire à son électorat dont une part importante vient du Vlaams Belang, la N-VA se positionne sur les points liés à l’identité, l’immigration, l’intégration. D’où le discours clivant entre autochtones et allochtones. En mars 2015, Bart De Wever avait par exemple qualifié la communauté berbère de  » très fermée  » et  » très sensible aux thèses salafistes, à la radicalisation « . Trois ans plus tard, le président de la N-VA rempile :  » Je n’ai jamais vu un juif orthodoxe vouloir travailler à un guichet. Ils évitent les conflits. Les musulmans revendiquent, eux, une place pour leurs signes religieux dans l’espace public, dans l’enseignement. Cela crée des tensions.  »

Quand une enquête révèle qu’une majorité de jeunes estiment que rouler à vélo à Anvers est dangereux, l’échevin à la mobilité Koen Kennis (N-VA) réagit :  » Si les médias et les gens de gauche disent constamment que la circulation est dangereuse, ça entre dans la tête des enfants. Les parents ont aussi un grand rôle à jouer en matière de sécurité routière. Je ne peux pas faire tout à leur place.  »

Avec sa double casquette de bourgmestre et de président de parti, Bart De Wever adopte un discours polarisant.
Avec sa double casquette de bourgmestre et de président de parti, Bart De Wever adopte un discours polarisant.© PATRICK DE ROO/ID PHOTO AGENCY

La valeur sûre : la bonne gestion

Le collège a promis d’éponger la  » dette historique  » de la Ville qui remonte aux années 1960 et 1970. C’est chose faite : le travail débuté par l’ancien bourgmestre a été achevé. Partie de 3 635 euros en 2003, la dette par habitant est descendue à 1 876 euros à l’issue du mandat de Patrick Janssens. A la fin de cette année, elle devrait arriver à 750 euros. La dette anversoise se retrouve ainsi en dessous des 990 euros en Flandre.

Dans les affaires publiques, on assiste à une continuité des mesures prises sous Patrick Janssens. Dans son accord de gouvernance, le collège s’est engagé à réduire fortement le nombre de fonctionnaires. De 4 749, leur nombre a chuté à 2 626. On n’engage plus de statutaires, mais des contractuels. Résultat : avec 13 fonctionnaires pour 1 000 habitants, Anvers fonctionne avec beaucoup moins de personnel que d’autres grandes villes comme Gand (20) ou Bruxelles (39).

Qui dit changement de pouvoir, dit changement au sein de l’administration. Le professeur en sciences administratives Wouter Van Dooren remarque :  » Lors de l’arrivée au pouvoir de la nouvelle coalition, des responsables de l’ancienne administration sont partis, les tensions étaient palpables.  »

La capacité en matière de crèches est passée de 5 827 à 7 386 entre 2013 et 2018. Ici aussi, la Ville s’est tournée vers le privé. Résultat : avec un taux de couverture de 33 %, Anvers atteint ainsi la norme européenne de Barcelone.

La face cachée : la communication muselée

Avec la mise sur le marché de certains services, la Ville et le CPAS en ont profité pour avoir un contrôle accru sur ses partenaires : toute communication doit recevoir le feu vert des autorités. En octobre 2015, l’ONG Médecins du monde a dû arrêter ses activités dans un centre d’accueil hivernal, car ses membres avaient parlé à la presse sans l’autorisation préalable du CPAS.

Jinnih Beels estime que la société civile n’a plus d’autonomie :  » On l’empêche d’exprimer des points de vue critiques.  » Michael Lescroart, porte-parole de Fons Duchateau, réplique :  » C’est convenu ainsi, il n’y a rien de secret.  » Pour Dave Sinardet, la N-VA considère les organisations de la société civile comme des adversaires, car elles sont souvent de gauche et une grande partie d’entre elles sont liées au système de  » pilarisation  » (un pilier est un ensemble d’organisations qui partagent une même tendance idéologique). La N-VA entretient néanmoins de bons contacts avec des organisations qui cadrent bien avec sa politique. Payoke, une ONG qui lutte contre la traite des êtres humains, a par exemple reçu la visite des cadors du parti. Sa fondatrice Patsy Sörensen explique :  » Notre objectif est de rendre les personnes autonomes. Ce sont des gens qui veulent travailler. Nous ne sommes liés à aucun pilier.  »

A la suite de l’affaire ‘t Fornuis, Bart De Wever a promis de faire la transparence sur les dossiers immobiliers. Son équipe a envoyé toute une série de documents. Or, il s’agit de documents qui devraient être publics selon Claude Archer de la plateforme collaborative d’accès aux informations publiques Transparencia.be.  » Il reste des questions ouvertes sur des choses bizarres qui se sont passées « , confirme Dave Sinardet.

Le Vif/L’Express a vainement essayé d’obtenir l’autorisation du CPAS pour interviewer l’actuel coordinateur de De Vaart, Geert Rombouts, car une ancienne employée faisait état de mauvaises conditions de travail et d’infractions à l’égard des normes de sécurité. E-mails, coups de téléphone… aucune réponse officielle du CPAS. La seule réaction émane de Michael Lescroart : il confirme avoir reçu la demande d’interview, mais a indiqué que ce n’était pas de son ressort. Avant d’ajouter :  » Il y a eu des problèmes là-bas. Je ne suis pas partant pour une interview.  » Aucun échevin ni porte-parole n’a fait suite aux demandes d’interview du Vif/L’Express.

Verdict

Grâce à sa fonction de président de parti, Bart De Wever a réussi à convaincre la Flandre d’investir dans d’énormes projets comme Oosterweel et Stroomplan. Il a poursuivi les efforts budgétaires de son prédécesseur et a finalement réussi à trouver une solution pour le ring. D’un côté, le collège accueille à bras ouverts les promoteurs immobiliers et les entrepreneurs. De l’autre, il durcit les conditions d’accès à l’aide sociale et met la société civile sous pression.

La N-VA essaie de cacher la misère dans la métropole flamande. La police a réussi à diminuer le trafic de drogues en rue, mais il continue à l’abri des regards. On ne voit pas de sans-abris dans le centre ou les rues commerçantes, pourtant ils sont environ 700, un record. La Ville a militarisé la police, mais cela ne suffit pas pour vraiment freiner le trafic de drogues dans la plaque tournante de la cocaïne en Europe.

Bart De Wever a promis  » la force du changement « , elle est surtout visible dans la communication : le discours rassembleur de Patrick Janssens a laissé place à la polarisation. Et le changement du slogan  » La ville est à tout le monde  » en  » Atypique Anvers  » est explicite. Dans l’esprit du collège, la ville n’appartient plus à tout le monde.

Par Aubry Touriel.

Enquête réalisée avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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