Simenon : le frère encombrant sort de l’ombre

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Comment se défaire d’un frère égaré dans le rexisme de guerre ? Le nouveau roman de Patrick Roegiers, L’autre Simenon (Grasset) dresse le portrait croisé de Georges et Christian Simenon, deux êtres au destin opposé. Le Vif/L’Express de cette semaine en publie les bonnes feuilles.

« Chaque famille a un cadavre dans l’armoire… » L’assertion figure dans l’un des « romans durs » de Georges Simenon, Les Soeurs Lacroix (1934), concentré de haine familiale. Quand il l’écrit, le grand romancier ne peut imaginer à quel point le constat s’appliquera, une dizaine d’années plus tard, à sa propre situation familiale. Son frère cadet, Christian Simenon, devenu dès la fin 1941 chef de section au sein de l’état-major de Rex, parti d’extrême droite fondé dans les années 1930 par Léon Degrelle, se sera alors égaré dans la collaboration la plus criminelle.

En août 1944, alors que la guerre touche à sa fin et que les passions de déchaînent, Christian Simenon participe, dans les rangs d’un commando rexiste, à une expédition de représailles. Il s’agit de venger la mort du bourgmestre rexiste du Grand Charleroi, Oswald Englebin, assassiné, ainsi que sa femme et son fils, sur la route reliant Monceau-sur-Sambre à Trazegnies. L’opération, organisée par la sinistre « Formation B », milice de Rex, se solde, à l’aube du 18 août, par l’assassinat de vingt-sept civils. Poursuivis après la défaite allemande, les complices de Christian affirmeront qu’il a personnellement vidé le chargeur de son arme sur le curé doyen de Charleroi, le chanoine Pierre Harmignie, exécuté le dernier. A l’issue du procès de la « tuerie de Courcelles », qui se tient de mai à août 1946, le Conseil de guerre le condamne à mort par contumace. Entre-temps en effet, en juin 1945, Christian Simenon s’est engagé dans la Légion étrangère. Il est tué en Indochine dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1947.

Dans son nouveau roman, L’autre Simenon, qui sortira à la fin de ce mois, Patrick Roegiers remet en lumière ce frère caché, dont il connaissait l’histoire. Il y voit un sujet romanesque, qui lui permet d’explorer, en parallèle, la part d’ombre de l’écrivain consacré. Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que la population française souffre des privations matérielles et morales, Georges Simenon a mené la vie de château en Vendée, au propre comme et au figuré. Invités chez lui, à Fontenay-le-Comte, ses amis les plus chers, le peintre Maurice Vlaminck et le cinéaste Jean Renoir, témoignent de l’aisance démonstrative du père de Maigret. Portrait croisé, le roman de Patrick Roegiers est aussi le tableau d’une époque.

A lire, cette semaine dans Le Vif/L’Express, les bonnes feuilles du livre de Patrick Roegiers, L’autre Simenon.

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