Claude Demelenne

Si le PS gouverne avec le MR, il se suicide

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Le PS a un problème. Un gros. La Wallonie a voté à gauche. Mais les socialistes vont peut-être gouverner avec la droite. Un choix suicidaire.

Le PS fait face à une équation presque insoluble. Une grande partie de sa base, électorale et syndicale, veut un gouvernement de gauche. Au moins en Wallonie. C’est tout sauf étonnant, car les Wallons ont durement sanctionné la droite. Le MR ne pèse plus que 20 députés sur 75 au Parlement wallon. Une misère, face à un bloc de gauche majoritaire (PS, Ecolo et PTB ont 45 sièges sur 75) et un centre en recul (10 sièges pour le CDH). La logique voudrait que le MR soit renvoyé dans l’opposition. Mais ce n’est pas si simple. Une alliance PS-Ecolo ne tient pas la route (35 sièges sur 75). Un trio PS-Ecolo-CDH est exclu (le CDH ne veut pas monter au pouvoir). Reste la piste du Front de gauche (PS-Ecolo-PTB). C’est ici que les ennuis commencent pour le PS.

Le PTB, c’est compliqué

Davantage encore qu’ Ecolo, le PTB est le grand vainqueur du scrutin. Il quintuple son nombre d’élus au Parlement wallon (il passe de 2 à 10 élus), tout en devançant le CDH et Défi à Bruxelles. Un fameux carton. Mais aussi un épineux casse-tête pour les socialistes. Le PTB est un parti de gauche atypique. Le PS s’en méfie. Il suspecte le PTB de refuser les compromis indispensables en démocratie. Le PTB est diabolisé par la droite – flamande et francophone – qui lui colle une étiquette « extrémiste ». Si le PS l’embarque dans une majorité en Wallonie, il sera accusé d’être le marchepied des « archéos-marxistes ». Et de faire le jeu des séparatistes du Nord. Pas sûr qu’Elio Di Rupo et Paul Magnette ont envie d’être stigmatisés de la sorte.

Autre difficulté, le PTB est pour une rupture avec le capitalisme. De longue date, il flingue ce qu’il appelle les « dérives droitières » des dirigeants sociaux-démocrates. Entre le PS et le PTB, c’est peu dire que la confiance ne règne pas. Ce n’est pas non plus l’amour fou entre le PTB et les écologistes. Le parti de Raoul Hedebouw doute de leur volonté de changement. Il leur reproche de vouloir simplement repeindre en vert le capitalisme.

Un laboratoire politique à risques

Toute formule associant le PTB au pouvoir semble parsemée d’embûches. Un gouvernement wallon à gauche toute – souhaité par la FGTB – serait à hauts risques. Il serait fort inconfortable pour chacun des partenaires. Pour le PS, qui inaugurerait un laboratoire politique unique en Europe (au Portugal, les socialistes gouvernent avec le soutien extérieur de la gauche dite radicale). Il serait aussi à hauts risques pour Ecolo, pas vraiment positionné clairement sur l’axe gauche-droite. Même inconfort pour le PTB enfin, qui devrait troquer son look purement contestataire pour un profil plus gestionnaire, une « première » pour ce parti en plein boom.

Autre souci pour le PS : s’associer avec le PTB, et mettre sur les rails des réformes de gauche, ce serait crédibiliser ce parti. Lui permettre de jouer dans la cour des « grands ». Raoul Hedebouw ne se priverait pas de le marteler en boucle : la preuve est faite que, lorsque la gauche est majoritaire (c’est le cas en Wallonie, pas à l’échelon fédéral), le PTB est prêt à prendre ses responsabilités. Un solide argument, gage de nouvelles conquêtes électorales potentielles. Pas vraiment rassurant pour un PS certes toujours numéro un en Belgique francophone, mais en petite forme (le 26 mai, il a perdu plus de 145.000 électeurs).

Le MR, c’est la galère

En Wallonie, le PS peut choisir de rouler en tandem avec le MR. Un gouvernement rouge-bleu disposerait d’une majorité de 43 élus sur 75. Attention, danger ! Pour le PS, ce scénario sent le soufre. D’abord, ce serait une coalition de battus. Le MR a proportionnellement perdu presque autant de voix que le PS. Le message de l’électeur serait méprisé. Ensuite, la FGTB serait furax. Le syndicat attend du PS qu’il écarte la droite libérale partout où c’est possible. Si les socialistes ne font pas l’impossible pour gérer la Wallonie à gauche, ils subiront les foudres de la FGTB. Enfin, si le PS ne réussit pas à « mouiller » le PTB au pouvoir, ce parti s’en donnera à coeur joie dans l’opposition. Il tirera à boulets rouges sur ce qu’il appelle « la gauche molle », qui préfère copiner avec la droite plutôt que de partir au combat (anti-capitaliste) avec le PTB. En un mot, la galère !

Le PTB fera des concessions

Il existe un autre scénario, plus rose pour le PS. En bref, le PTB s’auto-exclut du prochain gouvernement wallon. Après quelques jours de négociations, il claque la porte avec fracas. Le PS est sur du velours pour fustiger cette « gauche maximaliste » qui préfère le nid douillet de l’opposition. Ce scénario est envisageable. Mais il n’est pas le plus probable. Le PTB ne va sans doute pas renverser la table. Tactiquement, il fera des concessions. Pas question de tendre un bâton pour se faire battre par le PS en avançant des revendications hyper-maximalistes. Le PS risque d’être bien embarrassé. Comment expliquer à la base qu’on choisit le mariage avec le MR plutôt que la main tendue du PTB ?

Le PS craint un scénario catastrophe

Au lendemain du scrutin communal d’octobre 2018, PS et PTB avaient négocié « pour rire » dans quelques villes wallonnes et bruxelloises. Le PTB n’avait pas assez d’élus pour peser réellement dans des majorités communales. Chacun le savait autour de la table. Tout le monde a fait semblant, avant de retirer ses billes.

Cette fois, c’est différent. Le PTB a acquis une force de frappe non négligeable. En Wallonie, il peut réaliser un coup gagnant. Soit il concrétise une alliance avec le PS et Ecolo, dotée d’un vrai programme de gauche. Le PTB marquera des points auprès de l’opinion progressiste, qui louera son « sens des responsabilités ». Soit le PTB est écarté de la table des négociations par un PS jugeant imbuvable le cahier de revendications des marxistes. Ceux-ci auront beau jeu de détailler la liste des compromis qu’ils étaient prêts à forger pour « faire gagner la gauche ».

Le PTB apparaîtra comme une victime du manque d’audace du PS, préférant la droite traditionnelle du MR plutôt que la gauche atypique du PTB. Beaucoup de cadres et dirigeants socialistes craignent ce scénario catastrophe. Ils sont convaincus que gouverner avec le MR – tout au moins, en Wallonie – est suicidaire. Leur hantise : si le PS se marie avec la droite, il avalera des couleuvres. Lors du prochain scrutin, le PTB fera 20% des voix. Et il aura en ligne de mire un PS dégringolant à un niveau historiquement bas.

Suicide ou chaos ?

Sans le dire ouvertement, dès le lendemain des élections du 26 mai, les dirigeants socialistes avaient fait le choix d’une alliance PS-Ecolo-CDH en Wallonie. La décision du CDH de se retirer sous sa tente a rebattu les cartes. Le PS est au pied du mur. Choisira-t-il le duo avec le MR ou le trio avec Ecolo et le PTB ? Un duo suicidaire ou un trio que certains prédisent chaotique ? La gauche francophone vit des heures cruciales pour son avenir.

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