chicons au gratin, belgium cuisine © Getty Images

Série (2/5) | Chiques, dix-heures, cassonade: parlez-vous le belge ? (spécial nourriture)

Julie Nicosia
Julie Nicosia Journaliste

Comment la boustifaille qui rassemble généralement les estomacs autour d’une table peut tant diviser quand on la nomme ?

La nourriture est l’un des points centraux des divergences de langage entre régions. Avez-vous déjà eu envie de bonbons et on vous donnait un biscuit à Liège, ou alors des chiques ? Souhaitiez-vous en croissant et on vous a donné une « couque » dans le Brabant wallon ? Comment la boustifaille qui rassemble généralement les estomacs autour d’une table peut tant diviser quand on la nomme ?

Les spécialités gastronomiques locales sont des exemples bien particuliers de belgicismes, comme l’explique Jean-Marie Klinkenberg, linguiste et sémioticien, professeur émérite de l’Université de Liège. C’est pourquoi, on peut manger un « dagobert » à Liège ou un « club » à Bruxelles et déguster le même sandwich jambon-fromage-mayonnaise.

On connait les frites pour plaire à de nombreux Belges et pourtant, même avec 30.688 m² de superficie, on n’arrive pas à se mettre d’accord d’un coin ou de l’autre : allez-vous plutôt à la « baraque à frites » ou au « fritkot » ou encore à la « friterie » ?

On retrouve cette particularité en partant de l’hexagone à l’origine de la langue française où l’on déjeune à midi et dîner le soir alors qu’en Belgique ou au Québec, on dîne à midi et soupe le soir. En parlant de dîner, vous appréciez, durant votre pause méridienne, des « chicons » au gratin? Sachez que vous ne trouverez des « endives » uniquement qu’à Paris.

Idem pour la collation ou le casse-croute pour les écoliers en France, alors qu’en Belgique, l’encas est désigné par l’indication temporelle à laquelle il est habituellement mangé: « dix-heures ». Dernière différence: à l’approche de la chandeleur, vous garnissez plutôt vos crêpes de « sucre impalpable » (« sucre glace » en France) ou de « cassonade » (« sucre brun » / « vergeoise ») ?

Chiques à Liège mais bonbons à Bruxelles…

Encore un pour la route : les enfants préfèrent-ils les « bonbons » ou les « chiques » ? À Liège, ils ne vous demanderont pas de bonbon si ce n’est pour avoir un biscuit. À Bruxelles, ils comprendront parfois « chewing-gum » ou ne comprendront pas du tout.

Lexique sur base du dictionnaire des belgicismes*

Dagobert (nom masculin) : demi-baguette de pain garnie (de jambon cuit, de fromage, de tomates, de crudités, d’œufs durs, de mayonnaise). Abréviation : Dago. Le Dagobert a une vitalité élevée et stable en Wallonie. À Bruxelles, quelques fois, et dans le Brabant wallon, la forme club est plus souvent employée (pour désigner une réalité similaire). Ce nom pourrait provenir du prénom du mari de Blondie (‘Dagwood’, francisé en Dagobert) dans le comics trip crée par Chic Young en 1930, grand amateur de sandwichs dont la garniture est à ce point abondante qu’elle déborde.

Fritkot (nom masculin) : construction assez sommaire où l’on vend des frites. Le terme fritkot a une vitalité assez élevée et stable à Bruxelles. A l’exception du Brabant wallon, où cette forme se rencontre sporadiquement, fritkot est quasi inusité en Wallonie où l’on utilise le synonyme baraque à frites. Le nom est emprunté au flamand fritkot qui a le même sens.

Baraque à frite (locution nominale féminine) : construction assez sommaire où l’on vend des frites. Ce terme a une vitalité moyenne et stable tant en Wallonie qu’à Bruxelles (où cette forme est concurrencée par son synonyme fritkot). Le français de référence n’enregistre pas baraque à frites mais cette locution se rencontre en France notamment dans le Nord).

Chicon (nom masculin) : pousse blanche obtenue par étiolement et forçage de la chicorée de Bruxelles. Chicons au jambon ou chicons au gratin ou roulade de chicons désignent des chicons entourés d’une tranche de jambon, accompagnés d’une sauce béchamel au fromage que l’ont fait gratiner. Ce terme a une vitalité élevée et stable, tant en Wallonie qu’à Bruxelles. L’usage de ce mot se fait également au grand-duché de Luxembourg dans le Nord de la France ainsi qu’au Burundi. L’équivalent en français de référence est l’endive. Les dictionnaires de français de référence mentionnent pour chicon le sens de « variété de laitue (romaine) », sans préciser que cet usage est devenu, lui aussi, régionalement marqué et qu’il a cédé le pas à la (laitue) romaine. Quant à endive, l’équivalent en français de référence du chicon « belge », il est source d’une autre confusion possible : ce mot est employé en Belgique francophone pour désigner la scarole.

Dix-heures (nom masculin) : petite collation prise dans le milieu de la matinée. Le terme a une vitalité élevée et stable tant en Wallonie qu’à Bruxelles. Il est également attesté en France (de façon sporadique dans l’Ouest et l’Est) et en Suisse romande (où cette forme est employée au pluriel). Le français de référence d’enregistre pas dix-heures, à la différence de quatre-heures, « collation du milieu de l’après-midi », de construction similaire.

Sucre impalpable (locution nominale masculine) : sucre en poudre, sucre glace. Le terme a une vitalité et stable en Wallonie et à Bruxelles. Est également employé au grand-duché du Luxembourg.

Cassonade (nom féminin) : sucre issu de la cuisson du jus de betterave sucrière. Les spéculoos sont des biscuits à la cassonade. Le terme a une vitalité élevée et stable en Wallonie et à Bruxelles. Il est également utilisé au grand-duché du Luxembourg et dans le Nord de la France. L’équivalent en français de référence : vergeoise quasi inusité en Belgique francophone. Cassonade est employé en France, mais pour désigner du sucre de canne qui n’a raffiné qu’une fois (sucre brun en Belgique).

Chique (nom féminin) : 1. Petite masse à mâcher. Bonbon. 2. Gomme à mâcher, chewing-gum. En ce qui concerne la première définition, elle a une vitalité élevée et stable dans la province de Liège mais faible dans le reste de la Wallonie et à Bruxelles, où domine le terme bonbon. La deuxième définition, elle, a une vitalité moyenne mais croissante – par rapport à la forme chiquelette/chiclette notamment – à Bruxelles et dans l’ensemble de la Wallonie, à l’exception de l’aire liégeoise où cette acceptation est quasiment inusitée (en raison de confusion avec le sens de bonbon). Au Québec, les termes chique de gomme sont employés. Tous ces emplois ne sont pas enregistrés en français de référence où chique signifie notamment « morceau de tabac que l’on mâche ».

(*) Michel Francard, Geneviève Geron, Régine Wilmet, Dictionnaires des Belgicismes (troisième édition), De Boeck, 2021.

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