Camille Coletta

Sécurité sociale ou droit à l’asile ?

Camille Coletta Sociologue pour une ONG humanitaire

Selon le leader de la N-VA, entre protection sociale et réfugiés, il faudrait choisir. Pourtant, au regard des chiffres, c’est le gouvernement et non les réfugiés, qui représente le principal danger pour notre modèle social.

Il y a quelques jours Bart de Wever déclarait qu’il était impératif de choisir : « soit accueillir tout le monde et ouvrir les frontières, soit préserver notre système social à son niveau actuel. » A ses yeux, si les « bien-pensants de gauche » décident d’ouvrir les frontières et mettent « notre sécurité sociale à disposition de chacun, alors elle s’écroulera ».

Le discours de Theo Francken, secrétaire d’Etat à l’Asile et aux Migrations, va également dans ce sens. Dans sa note de politique générale de 2014 il insistait sur le fait qu’il faut « prendre des mesures contre les abus de notre précieux système de sécurité sociale ». Pour cela « le lien avec les départements des Affaires sociales sera également renforcé ». « L’aide sociale doit ainsi profiter aux personnes qui en ont réellement besoin et qui y ont droit et non à celles qui tentent de l’obtenir injustement. »[1]. De telles attaques au droit à l’asile permettent alors insidieusement d’adopter des politiques de plus en plus restrictives vis-à-vis des demandeurs d’asile.

Face à ces nombreuses attaques, il convient tout d’abord de rappeler quelques faits élémentaires. Il est tout d’abord important de distinguer « ouverture des frontières » et respect du Droit d’Asile. Suite à la Deuxième Guerre mondiale, la Convention de Genève a été signée en 1951 et les Etats qui l’ont ratifiée doivent octroyer le statut de réfugié à toute personne craignant « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle […], ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ». Le respect d’une convention internationale n’implique pas « l’ouverture des frontières » comme le suggère la N-VA.

Ensuite, pour avoir accès à la majorité des prestations de sécurité sociale (hormis les allocations familiales), il faut avoir cotisé et donc travaillé durant une période relativement longue. De plus, peut-on parler de « crise de l’asile » alors qu’en 2017, 19688 personnes demandaient l’asile en Belgique (soit plus de deux fois moins qu’en 2015 lorsque 44760 en avaient fait la demande) et 10833 obtenaient le statut de réfugié défini par la Convention de Genève. Ces chiffres, régulièrement relayés dans les médias à chaque nouvelle « crise » de l’asile, font régulièrement l’objet de déclarations alarmistes et contribuent à instaurent un climat d’insécurité vis-à-vis des potentielles conséquences des flux migratoires. Les demandeurs d’asile et réfugiés apparaissent dès lors souvent dans le débat public comme étant une menace pour nos sociétés. Ces discours politiques construisent généralement l’image de migrants pauvres, sans éducation et venant uniquement pour des raisons économiques pour pouvoir profiter de nos systèmes de protection sociale. Un simple regard sur les données existantes concernant les opinions de la population révèlent qu’une majorité des Belges (presque 70%) pensent que les immigrés sont attirés sur le territoire pour bénéficier d’allocations sociales. Par conséquent, comme le notent Marco Martiniello et Andrea Rea[2], en Belgique aussi, le droit à l’asile, auparavant uniquement vu dans une perspective de droits humains, est remis en question. En effet, les demandeurs et demandeuses d’asile ne sont plus vus comme des victimes de persécutions, mais de plus en plus comme des personnes venant « profiter du système ».

Il y a deux ans, Bart De Wever voulait créer un statut « spécial » pour les réfugiés. Selon lui « dès que quelqu’un est reconnu comme réfugié, il reçoit une indemnité, peut demander une habitation sociale et reçoit des allocations familiales. C’est difficilement explicable aux gens qui ont contribué toute leur vie au système ». En 2015, par exemple, la N-VA proposait de limiter le droit aux allocations familiales aux réfugiés. A cette occasion, la députée N-VA Sarah Smeyers déclarait que « la vague de réfugiés est un fait et de cette manière, nous voulons garantir la sécurité sociale pour tous les Belges« . Une mesure qui aurait permis d’économiser 6 millions d’euros, sur un budget de…6 milliards (0,1% du budget total). De tels chiffres révèlent donc assez clairement les intentions du parti nationaliste flamand et leur peu d’égards pour la sécurité sociale en tant que telle. Plus récemment, c’est l’aide médicale urgente dont bénéficient les sans-papiers qui était dans le viseur du gouvernement. Denis Ducarme avait alors déclaré vouloir la réformer afin d’y limiter les « abus ». Le montant de cette aide était, en 2015, de 47,8 millions d’euros. A titre de comparaison, en 2017, la ministre de la Santé Maggie De Block annonçait une économie de 902 millions d’euros dans le secteur de la santé. L’économie faite par le gouvernement sur le dos des plus vulnérables représenterait donc moins de 5% des coupes faites sur le dos de tous les « Belges ». Ces économies substantielles ne semblent pourtant pas, aux yeux de la N-VA et du gouvernement, représenter un danger pour notre modèle social.

Cette représentation des réfugiés est par ailleurs inexacte au regard des faits. En 2015, des chercheurs de la KUL et de l’ULB ont réalisé une recherche visant à offrir une représentation globale de l’intégration sur le marché du travail des demandeurs d’asile, des réfugiés et des personnes s’étant vu accorder un statut de protection subsidiaire sur une période de dix ans[3]. Les résultats de cette étude contredisent sérieusement les nombreux lieux communs sur les réfugiés voulant vivre « d’assistance » et au « crochet de la société ». En effet, selon les résultats de cette recherche, menée sur la totalité de la population des réfugiés en Belgique, 4 années après leur reconnaissance, 55% de ces personnes sont actives sur le marché du travail et contribuent donc à la sécurité sociale comme tous les travailleurs (score qui n’est que de 10 points inférieur à celui de la population belge). Par ailleurs, les chiffres manifestent d’importantes ressemblances avec ceux de la population belge. Les facteurs de l’âge et du genre jouent également un rôle sur la carrière que les réfugiés présentent. Tout comme la population belge, être une femme constitue un « désavantage » et l’âge aussi prédit en quelque sorte la carrière : les personnes entre 25 et 50 ans ont beaucoup plus de probabilités d’être actifs, les jeunes eux, se forment, tandis que les personnes proches de la retraite rencontrent de nombreuses difficultés à s’intégrer au marché du travail. Le temps joue également un rôle crucial : plus la personne passe du temps sur le territoire belge, plus elle a de chances de trouver un travail et de cesser de dépendre de l’aide sociale. Le temps leur permet de s’adapter à leur nouvelle vie, de comprendre le fonctionnement de la société ainsi que les rouages qui la forment.

Lors d’entretiens menés avec des réfugiés, on pouvait également remarquer que la grande majorité d’entre eux veulent s’intégrer au marché du travail et gagner leur vie. Ils établissent même de nombreuses stratégies afin d’y arriver le plus rapidement possible. Pour certains d’entre eux, ça commence dès leur demande d’asile lorsqu’ils décident d’aller en Région flamande afin d’y recevoir un parcours d’intégration (l’inburgering est en vigueur depuis 2004 en Flandre, alors que c’est seulement fin 2012 qu’un parcours d’intégration civique était voté en Wallonie). D’autres choisissent le bénévolat en espérant que par la suite, avec les nouvelles compétences acquises, ils arriveront plus facilement à intégrer le marché de l’emploi.

En réalité, la part du budget de la sécurité sociale attribuée aux réfugiés est tout à fait négligeable au regard du budget total. Si Bart de Wever et la N-VA veulent sauver celle-ci, il conviendrait d’abord de la refinancer et non de couper largement dans ses budgets. Focaliser l’attention de la population sur lesdits « abus » de quelques-uns (qui représentent des budgets marginaux), sert donc généralement à mieux détourner le regard des coupes drastiques portant sur toute la population. La principale menace aujourd’hui pour notre modèle social c’est la politique du gouvernement et non les demandeurs d’asile.

[1] Theo Francken, « Note de politique générale », Chambre des représentants de Belgique, doc 54 0588/026, 28 novembre 2014, p.4.

[2] Marco Martiniello, Andrea Rea, « Une brève histoire de l’immigration en Belgique« , Fédération Wallonie Bruxelles, Bruxelles, décembre 2012.

[3] Andrea Rea, Johan Wets (eds.), Barbara Herman, Wouter Schepers, Louise Callier, Lieselot Vanduynslager, The Long and Winding Road to Employment. An Analysis of the Labour Market Careers of Asylum Seekers and Refugees in Belgium, Gent, Academia Press, 2014.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire