Thierry Denoël

Salaires des patrons du public : quand le cynisme est roi

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Alexander De Croo ne bridera pas les salaires des patrons des entreprises publiques dont il a la charge. Le ministre Open VLD revient sur une décision prise, un an plus tôt, par son prédécesseur socialiste sous la pression de l’opinion. Une décision qui n’en était pas une. De qui se moque-t-on ?

Le cynisme est à la politique ce que le sel est à la cuisine : on ne peut pas s’empêcher d’en mettre, même si on sait que tout le monde n’appréciera pas. Visiblement, Alexander De Croo aime manger salé. « Les salaires des patrons des entreprises publiques sont du ressort de leurs conseils d’administration », a déclaré le ministre en charge de ces entreprises au journal L’Echo. Pour se justifier, il explique que, de toute façon, le plafonnement de ces salaires à 290 000 euros, décidé par l’ancien ministre Jean-Pascal Labille (PS), n’a pas été coulé dans une loi. Ce qui est vrai, car Labille s’est heurté à la résistance des autres vice-Premiers du gouvernement Di Rupo, laquelle n’a pas été ébruitée pour maintenir l’illusion d’une vraie décision alors que l’accord n’était que verbal.

Le cynisme de De Croo n’en est pas moins grand, car il ne peut ignorer que le plafonnement des salaires des top-managers publics avait été acquis sous la pression médiatique et donc de l’opinion. En cette période de rigueur/austérité, pense-t-il que les Belges, y compris du nord du pays, soient nombreux à approuver que les grands patrons du public reçoivent, avec leurs impôts, des salaires mirobolants ? Risquerait-il un référendum sur le sujet ? S’il l’ignorait encore, la grande manif du 6 novembre a bien dû éveiller chez lui quelques soupçons. Mais bon, le nouveau ministre des Entreprises publiques a préféré marquer son territoire.

Le cynisme de Labille est la hauteur de celui de son successeur. Car le socialiste savait que sa décision de plafonner les rémunérations des big boss publics était une décision à l’emporte-pièce. Mais, à une encablure des élections, le jeu en valait bien la chandelle. Quant à ses émoluments à lui, ceux des mandats publics qu’il cumulait en 2012, il se garde bien de les révéler. L’Echo les estime à plus de 400 000 euros… Paradoxal ce manque de transparence pour un ancien ministre qui voulait mettre de l’ordre dans les gros salaires publics.

Les patrons des grandes entreprises publiques doivent-ils nécessairement toucher des salaires frôlant ceux de leurs homologues du privé ?

Au-delà du cynisme politique, il reste une question cruciale à trancher : les patrons des grandes entreprises publiques doivent-ils nécessairement toucher des salaires frôlant de près ou de loin ceux de leurs homologues du privé ? Comment justifier qu’un fonctionnaire gagne vingt fois plus qu’un autre ? Le seul appât pour attirer, dans le public, des top managers valables doit-il être l’argent, sous prétexte de ne pas les laisser filer dans le privé ? Doit-on, pour cette même raison, se calquer sur l’indécence des salaires des grands patrons du privé ? Quel sens le service public a-t-il encore pour un patron ? Une entreprise publique ne se porterait-elle pas mieux si elle attirait un patron au moins aussi sensible au service public qu’au salaire que cela lui rapporte ? Ces questions paraissent bien désuètes dans un monde où l’argent et le cynisme sont rois…

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