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Richard Stallman : « la propriété intellectuelle est un terme de propagande « 

Richard Stallman, l’inventeur du système d’exploitation informatique GNU était à Bruxelles jeudi et vendredi pour partager sa vision d’une « société numérique libre ». Rencontre avec le « pape » du logiciel libre qui se bat contre les grandes entreprises informatiques et défend une éthique de l’informatique.

Quand vous avez conçu le système d’exploitation GNU, en 1984, vous vous doutiez, trente plus tard de l’importance que prendrait l’informatique et le numérique dans la vie de chacun?

Non, à l’époque, je ne me posais pas la question, car je ne suis pas capable de prévoir l’avenir. Je voulais juste, avec quelques amis informaticiens, vivre en liberté. Le logiciel libre existait depuis les années 50. Mais dans les années 70, les systèmes d’exploitation et les programmes sont devenus « privateurs ». Je n’ai pas inventé le logiciel libre, j’ai relancé le mouvement du logiciel libre pour créer une communauté qui défend des valeurs éthiques.

Qu’est-ce qu’un logiciel « privateur »?

Soit les utilisateurs ont le contrôle du programme, soit le programme a le contrôle des utilisateurs. Dans le premier cas, c’est le logiciel libre, dans le deuxième cas c’est un logiciel privateur. C’est-à-dire que l’utilisateur ne peut pas changer le logiciel. Ce dernier représente des menaces pour la liberté des utilisateurs. Une de ces menaces, c’est la surveillance. Des fonctionnalités malveillantes peuvent prendre note de tout ce que nous faisons. Facebook, par exemple, récupère des données sur les utilisateurs et les divulgue à notre insu. Une autre menace : les portes dérobées. Une entreprise peut changer à distance un logiciel privateur, à l’insu de l’utilisateur. En ce sens, Windows utilise des fonctionnalités malveillantes, car il permet l’envoi de commandes à distance par quelqu’un d’autre. C’est aussi le cas des téléphones portables qui peuvent imposer le changement de logiciels à distance et également devenir des dispositifs d’écoute.

A notre époque, c’est compliqué de se passer d’un téléphone portable ou de ne pas utiliser de « logiciels privateurs »…

Il faut de la force et de la volonté. On nous vend de la commodité au détriment de notre liberté. Nous devons résister à la guerre contre le partage que livrent les grandes entreprises informatiques. Les logiciels privateurs imposent des menottes numériques aux utilisateurs par le biais des contrats et des brevets informatiques. Nous devons refuser la perte de liberté que nous imposent ces grandes entreprises. Par exemple, j’ai le droit d’acheter de manière anonyme un livre traditionnel, chez un libraire, en payant en liquide, de l’offrir ou de le prêter à qui je veux. Les livres numériques proposés entre autres par Amazone ne permettent pas l’achat anonyme. De plus, l’utilisateur ne peut offrir ou prêter le livre numérique.

Quelles sont les valeurs du logiciel libre ?

Il y a quatre principes. La liberté 0, c’est le droit d’utiliser le programme comme tu veux et quand tu veux. La liberté 1, c’est avoir le droit d’étudier le programme et de le changer pour qu’il fonctionne comme tu veux, et de l’utiliser dans ta version modifiée. Avec ces deux libertés, chaque utilisateur à le contrôle individuel sur l’oeuvre qu’il utilise. Mais le contrôle individuel ne suffit pas. Par exemple, beaucoup d’utilisateurs ne savent pas programmer. Un contrôle collectif est donc aussi nécessaire. C’est pour ça que la liberté 2 est de redistribuer des copies exactes de l’oeuvre. La liberté 3, est le droit de distribuer les copies modifiées à la communauté. Ces libertés ne sont pas des devoirs, l’utilisateur est donc aussi libre de ne pas distribuer des copies, ou même de les vendre.

Vous prônez le partage des copies, qu’en est-il de la propriété intellectuelle ?

Cette expression est un terme de propagande qui sème la confusion, parce qu’elle s’applique à une multitude de lois qui n’ont rien à voir les unes aux autres dans la pratique. Les lois sur le droit d’auteur, le brevet, le secret commercial, les marques, l’appellation contrôlée sont toutes différentes. Concernant le droit d’auteur, je ne suis pas contre. Je ne propose donc pas de l’éliminer, mais de le changer. Toute oeuvre publiée doit être partageable. Celui qui possède une copie doit avoir la liberté de distribuer, donner, vendre ou prêter ses copies numériques d’une oeuvre.

Le partage libre des oeuvres ne nuirait-il pas aux artistes?

Non, je pense que l’on peut appuyer les artistes sans perdre la liberté essentielle de partager les oeuvres numériques. Le système actuel bénéficie surtout aux stars. J’ai deux propositions. La première serait de proposer un impôt, par exemple sur la connexion internet, qui serait réparti entre les artistes en privilégiant les artistes qui en ont vraiment besoin. La deuxième proposition : l’utilisateur pourrait faire des petits dons, d’un euro ou plus, simplement en cliquant sur une icône. Mais ce système devrait être anonyme, transparent et simple à utiliser.

Fabrice Imbert (Stg.)

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