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Restitution des biens aux anciennes colonies : l’équité sera-t-elle respectée ?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

La Chambre a approuvé en première lecture le projet de loi qui permettra la restitution de biens liés au passé colonial de la Belgique à la République démocratique du Congo, au Burundi et au Rwanda. Une étape symbolique, qui soulève néanmoins quelques craintes parmi les députés. La Belgique ne dictera-t-elle pas la marche à suivre ?

Le secrétaire d’Etat chargé de la Politique, Thomas Dermine (PS), l’avait annoncé fin janvier. Le gouvernement a mis sur la table un projet de loi « reconnaissant le caractère aliénable des biens liés au passé colonial de l’Etat belge et déterminant un cadre juridique pour leur restitution et leur retour ». Il s’agit, en clair, de lever le verrou juridique qui empêchait la restitution de biens culturels spoliés ou acquis de façon illégitime durant la période coloniale. La période concernée est celle précédant l’indépendance du Congo en 1960 et celles du Burundi et du Rwanda en 1962.

Des milliers de ces objets culturels, œuvres, armes, drapeaux, masques et autres objets sont aujourd’hui la propriété de l’Etat belge à travers ses collections muséales et institutions fédérales : Musée royal de l’Afrique centrale, Institut royal des Sciences naturelles, etc. Les collections privées et biens appartenant à d’autres niveaux de pouvoir ne sont à ce stade pas concernés.

Un texte, quatre grands principes

L’examen de ce projet de loi hautement symbolique a été entamé ce mercredi par la Chambre, en commission des Institutions fédérales. Le texte a été approuvé en première lecture. Dans l’opposition, la N-VA a demandé un examen en deuxième lecture, ce qui implique que le vote nominatif en commission – puis en séance plénière – est quelque peu postposé.

Thomas Dermine a donc exposé les quatre grands principes qui entourent ce projet de loi. Le premier consiste à reconnaître le caractère aliénable des biens liés au passé colonial. Ces objets sont à ce stade « frappés d’une condition d’inaliénabilité, ce qui signifie que l’Etat ne peut en aucun cas les céder à des tiers ».

Le deuxième principe avance l’idée de « partenariat et de collaboration étroite » entre la Belgique et ses anciennes colonies. Cela se matérialisera par la conclusion de traités, sous forme d’accords bilatéraux avec ces même pays. Ces accords feront l’objet de lois d’assentiment que le Parlement belge devra de toute façon approuver, le cas échéant. Ils permettront surtout de mettre sur pied des commissions scientifiques mixtes (comprenant des experts des deux pays) chargées d’examiner le sort à réserver aux objets réclamés par le pays d’origine, au cas par cas.

Le troisième principe est lié au deuxième : c’est le caractère central de l’examen scientifique comme base de décision pour une éventuelle restitution. Enfin, quatrième principe, une distinction est établie entre les notions de restitution (la transmission juridique de la propriété) et le retour matériel des objets. En d’autres termes, une restitution ne signifiera pas forcément que l’objet ethnographique quittera la Belgique. De cette manière, cette loi aura pour « vocation de ne pas désengager la Belgique de la conservation des biens », dès lors que les Etats demandeurs n’auront pas émis le souhait de les rapatrier physiquement.

La charrue avant les boeufs?

A la Chambre ce mercredi, le projet de loi a fait l’objet de commentaires parfois critiques, y compris au sein de la majorité, où Ecolo et surtout le MR ont émis quelques réserves et questionnements. Parmi les nombreux points soulevés dans cette thématique éminemment complexe, le fait que le gouvernement avance ce projet de loi avant de connaître les conclusions du travail que mène toujours la commission spéciale chargée d’examiner le passé colonial belge. « Dans une certaine mesure, le gouvernement coupe l’herbe sous le pied de notre commission spéciale », s’est par exemple inquiétée Nathalie Gilson (MR).

Parmi les réserves figure également cette idée qu’avec ce projet de loi, la Belgique effectue certes un pas en avant dans un dossier symbolique, mais dicte aussi son modus operandi à ses anciennes colonies. « Normalement, il y a une garantie que les processus soient égaux.  Mais ici, la marche à suivre est dictée par nous-mêmes. Nous avons donc un avantage par rapport à l’autre pays ». Au final, « on ne sait pas ce qu’en pensent se le Congo, le Rwanda et le Burundi », redoute la députée nationaliste.

La marche à suivre est dictée par nous-mêmes.

Le député Guillaume Defossé (Ecolo) s’est lui aussi interrogé sur « la marge de manœuvre laissée aux autres pays, puisque nous avons l’avantage de la possession ».

Mais la charge la plus virulente est provenue du PTB, dans l’opposition. « Ce texte reste imprégné d’une idéologie coloniale », déplore Marco Van Hees. Ce dernier, faisant référence au mouvement Black Lives Matter, formule un jeu de mots : « La vie des noirs compte, mais est-ce que l’avis des noirs compte ? »

« Une logique néocoloniale »

« Le Conseil d’Etat relève que la négociation des traités revient au gouvernement. Ici, on fait l’inverse. On soumet un texte au Parlement puis on va négocier » avec les pays concernés. « On impose un texte avant même d’aller négocier les traités avec la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda. C’est la Belgique qui détermine le cadre légal, les prémices, les circonstances, les modalités de réstitution, etc. », énumère-t-il, pointant une « logique néocoloniale ». Pour Marco Van Hees, « on devrait respecter véritablement la souverainté de la RDC, du Rwanda et du Burundi » en négociant dans un premier lieu les traités avec eux.

Dermine veut rassurer

Thomas Dermine a cherché mercredi à rassurer et à couper court à ces reproches. « C’est important de se placer dans la perspective de nos amis et de nos frères africains. Ils n’ont pas choisi la situation actuelle. Ils n’ont pas choisi d’être coupés d’une partie de la spiritualité de leurs ancêtres pour une situation historique qui relevait de la domination d’un peuple par un autre », insiste le secrétaire d’Etat.

Concernant précisément le fait qu’une loi soit probablement votée avant la négociation de traités internationaux, « je pense que le projet de loi était nécessaire pour initier le dialogue diplomatique tout en ne fixant pas, contrairement à ce que vous avancez Monsieur Van Hees, toutes les modalités de l’accord bilatéral, qui sera fait sur un pied d’égalité – c’est écrit de façon formelle – entre la Belgique » et ses anciennes colonies.

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