Ivana Trump dans les airs : "Les Américains ne posent jamais la question du ridicule." © Régine mahaux

Régine Mahaux, la photographe belge de Trump : « Il est super à shooter »

Photographe attitrée de Donald Trump, la Belge Régine Mahaux expose à Bozar jusqu’à mi-septembre. La notion de liberté, des leaders de la planète à l’homme de la rue, est son fil rouge.

Elle est née à Liège, en 1961, et réalise toutes les photos privées du président américain Donald Trump, après avoir été sa photographe durant sa campagne électorale. Régine Mahaux a étudié à Saint-Luc, poursuivi son cursus à Minneapolis avant de s’installer à Paris. Elle s’y est illustrée dans la presse féminine avant de se lier avec l’une des plus grandes agences de photos, Getty. On lui doit notamment un travail consacré aux femmes les plus puissantes de Chine et un reportage consacré au premier homme  » enceint « . Depuis juin dernier, Bozar (1) l’accueille pour son exposition Hors cadre, dont le commissariat est assuré par Sophie Lauwers.

Quel est l’objectif de cette exposition ?

Je voulais questionner la notion de liberté, si présente chez les Américains, tant à travers la high society, ma spécialité, que celle de l’homme de la rue. J’aime beaucoup le paradoxe de manière générale et j’ai voulu confronter mes portraits de célébrités (la famille Hilton, Christina Aguilera, Ivana Trump…), fières d’étaler leur réussite, avec ceux d’inconnus qui revendiquent, eux aussi, leur extravagance. Parmi ceux-ci, j’ai ciblé surtout ceux dont la vie était un peu libertine (transsexuels, homosexuels…) et qui entretiennent un rapport décomplexé et libre avec leurs corps. C’est d’ailleurs ce qui caractérise pour moi le mieux les Américains : ils ne sont que dans le plaisir d’être ce qu’ils sont.

En quoi la liberté et le rapport à l’image des Américains diffèrent-ils de celui des Européens ?

Ici, nous sommes encore très empreints de l’esprit judéo-chrétien, avec beaucoup d’interdits et complètement prisonniers du fameux qu’en-dira-t-on. Les Américains ne sont pas soucieux de leur image et ne posent jamais la question du ridicule. Pour eux,  » too much is never enough « , trop n’est jamais assez. Dans mon studio comme dans la rue, ils m’offrent spontanément de se mettre en scène. Ils ont l’extravagance en eux et cette liberté n’est pas liée à leur classe sociale, c’est dans leur ADN. C’est une société où un money maker comme Donald Trump peut devenir président. La mentalité est celle de ceux qui ont l’entrepreneuriat dans le sang. En Europe, on n’existe souvent qu’à travers le milieu ou l’école d’où on sort, voire les gens que nous fréquentons ; aux Etats-Unis, une  » bonne idée  » apporte autant de chances de réussite que le fait d’avoir fréquenté une école prestigieuse. Je n’aurais jamais pu faire la même carrière ici. C’est cette liberté qui fait des Américains de si bons entrepreneurs car, pour réussir, il faut se sentir libre.

Pour Régine Mahaux, une bonne photo raconte avant tout une histoire.
Pour Régine Mahaux, une bonne photo raconte avant tout une histoire.© hatim kaghat pour le vif/l’express

Comment passe-t-on de Marchin, près de Huy, à Hollywood pour photographier les plus grandes stars ?

Quand j’étais étudiante à Liège, je faisais des tas de petits jobs. J’ai réussi à partir à Minneapolis pour étudier la photo. Quand je suis rentrée, j’ai commencé à travailler, j’ai fait des campagnes pour des hommes politiques, comme Jean Gol qui s’évertuait à vouloir mettre des pull-overs rouges qui ne lui allaient pas du tout, Michel Foret, Didier Reynders ou Jean-Claude Marcourt. Mais le tournant fut quand j’ai réussi à prendre en photo Faye Dunaway, au défilé Christian Lacroix, où Le Vif Weekend m’avait envoyée. Alors qu’elle était inaccessible jusque-là ( NDLR : son mari, le photographe Terry O’Neill, avait l’exclusivité de ses photos), elle venait de se séparer et m’a autorisée à la photographier. Ça a été ma première cover américaine. Ensuite, j’ai travaillé avec Getty et fait des films publicitaires avant de me lancer avec Jonathan Klein, patron de l’agence, dans les charity babies.

Qu’est-ce que les charity babies ?

Les Américains sont formatés pour rendre à leur communauté un peu de ce qu’ils ont reçu dans la vie ; de l’argent quand on est riche, du temps quand on est plus pauvre. On appelle ça les community services. Aider et donner sont deux maillons essentiels de l’économie américaine : Jonathan Klein a du coup eu l’idée de produire de la richesse à partir de photos exclusives de stars lorsqu’elles venaient d’accoucher au lieu de simplement verser de l’argent à des oeuvres, comme Getty le faisait chaque année. Pour les stars, c’était une manière de se protéger des paparazzis, pour Getty de reverser 100 % de revenus engendrés par la vente de ses photos aux enchères. Comme c’était au profit d’oeuvres caritatives, les journaux avaient tendance spontanément à donner plus. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, les stars gèrent elles-mêmes les photos qu’elles mettent en ligne et le monde se situe plus dans l’instantanéité.

Comment parvient-on à décrocher l’exclusivité des moments privés de Donald Trump ?

Les charity babies m’ont amenée à travailler pour les célébrités, dont Ivana Trump, son ex-femme. Puis, son épouse Melania. Et enfin Donald, alors homme d’affaires à la réussite éclatante. Par boutade, je lui ai lancé :  » If you run for president, I go with you !  » Des années plus tard, il s’est jeté dans la course et a fait appel à moi. Une fois président, il m’a confié ses photos privées. Il est drôle et sympa, entrepreneur plus que président. A photographier, il est super : il donne toujours plus que ce qu’on lui demande. En cela, il incarne très bien le côté  » pro  » des Américains qui ne font jamais rien à moitié.

Quel homme politique maîtrise-t-il le mieux son image ?

Vladimir Poutine. Il a aussi les meilleurs photographes, surtout Alexeï Nikolsky. C’est lui qui a shooté Emmanuel Macron, fou de joie, lors de la finale de la Coupe du monde, l’année dernière.

Vous avez réalisé des portraits des Chinoises les plus influentes, une expérience qui vous a marquée…

Artistiquement, ça donne des photos géniales, comme ces CEO en robe Dior au milieu de leurs usines avec tous les ouvriers prosternés à leurs pieds. Sur le fond, c’est fascinant de voir le pouvoir de ces femmes. Elles se comportent aussi comme des hommes, elles travaillent et boivent comme eux, c’est un peu le résultat de la politique de l’enfant unique. L’espoir de réussite de leurs parents était si fort qu’il a transcendé la question du sexe de leur enfant.

Qu’est-ce qu’une bonne photo, finalement ?

Avant tout une photo qui raconte une histoire. Une image aussi qui dévoile une partie d’une personne qu’elle-même ne connaît pas ou que personne n’a jamais vue.

(1) Hors cadre : à Bozar, à Bruxelles, jusqu’au 15 septembre prochain.

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