Marie-Martine Schyns © BELGA/Eric Lalmand

Quel avenir pour le Pacte d’excellence, en pleine crise politique francophone?

Boîtes à tartines pour certains, plumiers pour beaucoup et cartables pour tous: les quelque 900.000 élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles vont progressivement retrouver le chemin de l’école dès ce vendredi, tout comme leur quelque 100.000 enseignants. Cette rentrée des classes intervient toutefois dans un contexte politique inédit cette année après l’explosion en plein vol de la majorité PS-CDH en juin dernier.

Malgré la rupture politique, les deux futurs ex-partenaires PS et CDH ont su garder la tête froide et assurer une rentrée « normale » aux élèves, avec notamment l’entrée en vigueur des premières mesures concrètes issues du Pacte d’excellence. Si l’immédiat est assuré, le malaise est toutefois grand parmi les acteurs de l’enseignement qui ont travaillé d’arrache-pied durant près de trois ans pour dessiner une école de demain plus efficace et moins inégalitaire. Or, les deux dernières années de cette législature étaient jugées capitales pour traduire ces réformes en projets de décrets et les faire voter par le Parlement.

Si la Région wallonne dispose d’une nouvelle majorité MR-CDH depuis juillet, en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est toujours le brouillard: quelle majorité achèvera la législature en cours? Et celle-ci aura-t-elle la même volonté que la précédente de mettre en oeuvre toutes les réformes issues du Pacte?

« Un peu comme la ‘Drôle de Guerre’ avant le conflit de 40-45, on vit aujourd’hui une ‘drôle de crise' », commente Pascal van de Werve, vice-président de l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique (Ufapec) et partie prenante aux travaux du Pacte. « Il ne serait toutefois pas bon que celle-ci dure huit mois comme l’autre… Il faut continuer à avancer. Les acteurs du Pacte doivent se remettre au travail, sans attendre de solution à la crise politique actuelle », juge-t-il.

Parmi les syndicats des enseignants, l’appréhension est aussi de rigueur. « J’ai l’image d’un Pacte qui s’est arrêté en plein milieu du gué », décrypte Eugène Ernst de la CSC-Enseignement. « On est là, et on ne sait pas quel chemin on va emprunter par la suite. Va-t-on faire marche arrière? Va-t-on prendre une autre direction? On n’en sait rien… », se lamente-t-il. Même si le Pacte est un compromis entre les principaux acteurs de l’école, et non les partis politiques, toutes les mesures proposées sont loin de faire l’unanimité dans les états-majors.

Candidat au pouvoir en Fédération, le MR est ainsi un opposant de longue date au rallongement du tronc commun jusqu’à 15 ans, l’une des propositions pourtant phares du Pacte. Mais ce qui préoccupe surtout les syndicats, c’est de savoir si la future majorité dégagera les moyens budgétaires nécessaires aux réformes programmées.

« Très, très, très inquiet »

« La majorité sortante avait décidé de faire du Pacte une priorité budgétaire des prochaines années, en s’engageant notamment à trouver des moyens complémentaires pour financer les réformes dans un premier lieu (avec un « pic » d’investissements de 220 millions d’euros en plus pour le budget de l’enseignement en 2022, ndlr), et d’attendre les effets retour -les économies, donc- par après. Or, j’ai été très inquiet d’entendre M. Chastel dire au début de l’été que les efforts budgétaires devraient être équitablement répartis entre entités. Cela veut-il dire que l’élément budgétaire du Pacte est désormais remis question? », interroge M. Ernst. Celui-ci se dit aussi « très, très, très inquiet » par les conséquences du flottement politique actuel en Fédération, lequel pourrait mettre du vent dans les voiles des partisans d’une régionalisation de l’enseignement, selon lui.

Malgré toutes ces incertitudes, le « Comité de concertation » (le nouveau nom de l’organe de pilotage du Pacte où siègent ces différents acteurs, NdlR) tiendra, comme prévu, sa réunion de rentrée ce jeudi 31 août. Il s’agira notamment de baliser la mise en oeuvre progressive du (controversé) tronc commun, ainsi que l’élaboration des nouveaux référentiels, notamment pour l’enseignement maternel. La réforme de la gouvernance des écoles devrait aussi occuper les différents experts au cours de l’année, les premiers plans de pilotage étant attendus pour la rentrée de septembre 2018 déjà.

La procédure de divorce engagée entre PS et CDH jette aussi une ombre sur un autre projet cardinal à la refonte de l’école francophone mais traité en dehors des travaux du Pacte, à savoir la révision de la formation initiale des enseignants. Annoncé lors de la législature précédente déjà (!), ce vaste chantier vise notamment à porter, dès 2019, la formation des profs de 3 à 4 années d’études minimum.

Fin mai, après des mois de discussions, socialistes et centristes étaient tombés d’accord sur un avant-projet de décret. Le texte devait théoriquement être approuvé par le Parlement d’ici décembre. Mais son avenir est désormais, lui, aussi incertain vu la situation actuelle.

« On continue le travail engagé »

Interrogée sur les effets de la crise politique, et sur sa capacité à impulser désormais les réformes nécessaires en l’absence de majorité claire, la ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns (CDH) se veut toutefois rassurante. « Il y a une responsabilité des politiques à faire tourner les choses », fait valoir son porte-parole. « On continue donc le travail engagé. Tout en affirmant à la fois notre volonté d’alternative politique ».

S’extrayant un moment du tumulte politique, Mme Schyns, elle-même enseignante dans une autre vie, vivra cette rentrée des classes un peu particulière sur le terrain, comme le veut la tradition. Sous les objectifs des caméras et des photographes, elle est ainsi attendue vendredi matin dans la cour de l’école fondamentale de Koekelberg, en Région bruxelloise, puis à l’école Saint-Lambert d’Herstal. Lundi, c’est à Dinant qu’elle se rendra pour la reprise dans le cycle secondaire.

Comme l’an passé, cette rentrée pourrait toutefois donner assez vite du fil à retordre à la ministre avec l’extension -jugée précipitée par d’aucuns- du cours de philosophie et de citoyenneté à tout le cycle secondaire officiel. L’an dernier, l’introduction du cours en primaire avait très vite mis directeurs et enseignants concernés sur les nerfs. Depuis lors, les règles d’organisation du nouveau cours ont été quelque peu assouplies. Mais c’est à l’épreuve du feu qu’on jugera de leur efficacité.

En cas de problème, et vu l’absence de majorité claire actuellement en Fédération, Marie-Martine Schyns avait dit en juillet dernier être prête à chercher très rapidement des solutions et aménagements éventuels au décret, et ce directement avec le Parlement.

Contenu partenaire