Jan Buelens et Joke Callewaert

Quand il pleut à Soma, pleuvine-t-il à Bruxelles ?

Jan Buelens et Joke Callewaert Avocats chez Progress Lawyers Network Professeur

Soma pleure. 301 mineurs ont été retrouvés morts. Avec l’immense douleur vient la colère. Pour une fois, il semble que les causes d’une catastrophe industrielle ne sont pas à chercher bien loin.

Il pleut des histoires à Soma. Des histoires à propos d’une large privatisation et de la sous-traitance, qui ont conduit à une pression permanente sur les salaires et les conditions de travail. Il y a deux semaines à peine, il y avait eu, au parlement turc, une interpellation à propos des nombreux accidents dans les mines, mais le gouvernement est resté d’un silence de plomb face à cette critique. Dans la quête acharnée de bénéfices, toutes les règles sont apparemment mises de côté et ce sont les travailleurs qui en font les frais.

L’Union européenne a envoyé des messages de condoléances, mais à propos des causes, qui ne peuvent être niées, elle reste remarquablement muette. Pourtant les règles européennes en matière de sécurité et de santé peuvent être une source d’inspiration.

Les règles européennes en matière de sécurité et de santé dans la sous-traitance

Dans le cadre d’une éventuelle adhésion, la Turquie devra adopter ce qu’on appelle acquis, l’ensemble de règles applicable en Europe.

Les règles en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail sont ici d’un intérêt particulier. La directive-cadre de 1989 contient des règles sociales relativement protectrices. Cela est sûrement dû au fait qu’elle est intervenue suite à de graves accidents de travail. Là où en principe le droit du travail ne prêtait aucune attention à la sous-traitance, la présente directive contient une série de normes comme un échange d’informations entre les différents acteurs impliqués dans la sous-traitance. De même, dans la directive Seveso — également promulguée et modifiée après de grandes catastrophes industrielles (Seveso 1976, Toulouse 2001…) — on trouve des règles comme l’implication dans l’élaboration de plans d’urgence des sous-traitants à qui sont confiées des missions à long terme.

La logique de ces directives est que, plus les risques sont élevés, plus les règles sont protectrices. Le niveau élevé de risque du travail dans les mines ne doit plus être prouvé.

Si on se penche sur la problématique de manière objective, on remarque que ces directives ne sont pas même suffisantes. Il faudrait plutôt penser à une interdiction de la sous-traitance, en tout cas dans les secteurs à haut risque.

Cependant, l’évolution de la politique européenne va tout à fait dans la direction opposée.

Mais un spectre hante l’Europe : REFIT

Sous le nom tendance de REFIT (The Regulatory Fitness andPerformance Programme) se cache une offensive de grande envergure contre tout ce qu’on qualifie de « règles sociales trop protectrices ». Les sous-traitants se trouveraient confrontés à trop de règles, noyés sous la paperasserie. Les fitness checks se succèdent sans répit et tout ce qui reste de règles sociales en Europe risque de passer à la trappe. Cette offensive peu connue est menée par les organisations d’employeurs et mise en oeuvre à marche forcée par la Commission européenne.

L’oeil des freemarketeers est tombé sur les directives en matière de sécurité et de santé ; selon eux, il faut les sacrifier. Cette simplification administrative n’est donc pas neutre, ni même innocente.

Les évènements de Soma vont-ils amener à un changement politique ?
Au lieu d’adopter une politique de nivellement par le bas, la Commission européenne ferait mieux d’examiner comment rendre plus sévères les directives en matière de sécurité, en y introduisant par exemple une interdiction de la sous-traitance. Suite à l’explosion d’une usine à Toulouse (mentionnée supra) qui trouvait sa cause dans les pratiques des sous-traitants, le Parlement français n’était pas opposé à une telle possibilité. Finalement, la proposition de loi mourut de sa belle mort suite au lobbying du patronat.

À la lumière de la récente catastrophe minière de Soma, il serait tout à l’honneur des candidats au Parlement européen et à la Commission européenne de prêter attention à l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail, un thème absent jusqu’à présent de la campagne, et de faire que l’Europe quitte la voie funeste du programme REFIT.

La langue italienne a un mot pour désigner les morts au travail dont le décès est dû à la violation des règles en matière de sécurité : morti bianche, les morts blancs. Après la catastrophe de Soma, et en connaissance de cause, les travailleurs turcs et européens doivent être préservés de la mort blanche.

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