Stéphane Moreau et André Gilles en mars 2006. © Belga

Publifin : un premier comité de secteur « bidon » dès 2006

David Leloup
David Leloup Journaliste

Un tout premier comité de secteur « bidon » a été créé fin 2006 lors de l’absorption de la Socolie par l’ALE, future Publifin. Lors des deux uniques réunions de ce comité, Stéphane Moreau jouait le rôle du secrétaire tandis qu’André Gilles présidait les « débats ». Le Vif publie les PV de ces réunions sans objet.

« La vérité historique est souvent une fable convenue », disait Napoléon Bonaparte. Une maxime que Stéphane Moreau, grand aficionado du « petit caporal », a visiblement fait sienne lorsqu’on lit sa vérité historique à propos des comités de secteur dans les colonnes de L’Echo : « Je ne me prononcerai pas sur la création des Comités de secteur (2013) car j’avais quitté l’intercommunale dès juin 2012. Au-delà, c’est une affaire qui concerne les fédérations des partis qui y sont représentés. »

Cette ligne de défense deviendra-t-elle la vérité historique officielle après l’audition de Stéphane Moreau, prévue ce vendredi 10 mars, devant la commission d’enquête Publifin du Parlement wallon ? On peut en douter. Car en épluchant les publications officielles de Tecteo-Publifin au Moniteur belge, Le Vif/L’Express a identifié un nouveau comité de secteur : le « comité de secteur consultatif pour le fonctionnement du secteur 4 ». Ses bases ont été jetées le 30 novembre 2006 lorsque la Société coopérative liégeoise d’électricité (Socolie) a été officiellement absorbée par Publifin, qui s’appelait encore à l’époque l’Association liégeoise d’électricité (ALE).

Dominique Drion en était membre

Lors de son audition devant la commission d’enquête du parlement wallon, Gil Simon (PS), secrétaire général de Publifin, s’est bien gardé d’évoquer ce tout premier comité de secteur. Idem pour Dominique Drion (CDH), qui en était pourtant… membre. C’est d’ailleurs suite à l’absorption de la Socolie qu’il est devenu administrateur et membre du comité de direction de l’intercommunale ALE-Tecteo-Publifin.

Mais revenons à ce 30 novembre 2006. Ce jour-là, l’ALE modifie ses statuts en y introduisant pour la toute première fois la possibilité de créer des « comités de secteur ». L’article 29 des statuts est même adapté pour permettre la création de deux types possibles de comités de secteur : soit des comités « de gestion » (avec pouvoir de décision), soit des comités « consultatifs » (sans aucun pouvoir décisionnel). Voici cette fameuse modification des statuts par l’assemblée générale extraordinaire de l’ALE, telle que déposée au greffe du tribunal de commerce de Liège le 15 décembre 2006 pour publication aux Annexes du Moniteur belge :

Publifin : un premier comité de secteur

Cette nouvelle « carte » est immédiatement abattue par l’Assemblée générale qui, toujours ce 30 novembre 2006, décide créer le tout premier comité de secteur de l’histoire de l’ALE-Tecteo-Publifin. Le comité de secteur consultatif pour le fonctionnement du secteur 4 sera ainsi « composé des anciens membres du Conseil d’administration/Bureau Permanent/Collège des Commissaires de la Socolie » et mis en place « [p]our la période allant de la réalisation des conditions suspensives jusqu’à l’Assemblée générale de juin deux mille sept ».

Des émoluments maintenus artificiellement

Le procès-verbal de l’AG dressé par le notaire Me Paul-Arthur Coëme détaille ainsi les « dispositions transitoires » entre la décision formelle d’absorber la Socolie (prise le 30 novembre 2006) et l’absorption définitive une fois reçus les feux verts requis (les « conditions suspensives ») : celui de la tutelle (qui arrivera fin janvier 2007), et celui du Conseil de la concurrence (qui tombera le 3 avril 2007). Voici le passage de l’acte notarié publié au Moniteur :

Publifin : un premier comité de secteur

Résumons. Du 30 novembre 2006 au 3 avril 2007, les organes de gestion de la Socolie ont été maintenus. Puis du 3 avril 2007 au 22 juin 2007 (date de l’assemblée générale), ces 25 personnes ont été recasées dans un comité de secteur 4 où leurs émoluments « exécutifs » (liés à une responsabilité juridique et un vrai pouvoir décisionnel) ont été maintenus artificiellement alors qu’ils n’avaient pourtant plus le moindre pouvoir décisionnel.

Des procès-verbaux éloquents

Et qu’a donc fait ce comité durant ces trois mois ? Rien, semble-t-il. Le Vif/L’Express s’est procuré les procès-verbaux de ses deux uniques réunions. Elles se sont tenues le 7 mai 2007 (séance commune avec le bureau exécutif de l’ALE) et le 11 juin 2007 (comité de secteur seul, chapeauté par la direction de l’ALE). Elles ont duré moins d’une heure chacune. Stéphane Moreau (directeur général de l’ALE) a rempli la fonction de secrétaire, tandis qu’André Gilles (président du CA de l’ALE) a présidé les « débats ». Le président en titre du comité de secteur, Maurice Mottard, n’a donc présidé aucune de ces réunions.

Lors de la première réunion, on a surtout parlé… du comité de secteur lui-même. Paul Bolland, alors gouverneur de la province de Liège à la retraite depuis 2 ans, s’inquiète « qu’aucune décision officielle de l’ALE l’instituant dans son nouveau mandat [au sein du comité de secteur, NDLR] ne lui est parvenue à ce jour » et se demande s’il doit le déclarer à la Cour des comptes. André Gilles indique « qu’il ne s’agit pas d’un nouveau mandat » et Stéphane Moreau précise « qu’il s’agit d’un transfert, à titre transitoire, des instances de la Socolie au comité de secteur consultatif pour le fonctionnement du secteur 4 de l’ALE ». Et il ajoute sans la moindre ambiguïté : « …avec maintien des montants des émoluments respectifs jusqu’au 22 juin 2007, date de l’assemblée générale de l’ALE. »

Les membres « sont couverts »

Raphaël Miklatzki, conseiller communal (MR) à Liège, estime alors que les anciens membres du conseil d’administration et du bureau permanent de la Socolie « sont couverts » puisqu’André Gilles a précisé à la Cour des comptes « la continuité de ces mandats au sein de l’ALE jusqu’en juin 2007 ». Mais Paul Bolland n’en démord pas. Il demande que l’ALE lui adresse un courrier confirmant officiellement son « mandat » au sein du comité de secteur. On évoque aussi la possibilité, pour les représentants de l’ex-personnel de Socolie, d’assister comme observateurs à la prochaine réunion du comité, ce qui est accepté par André Gilles. Tout cela sent très fort l’improvisation.

L’objectif même du comité pose question à Catherine Maas, administratrice Ecolo de l’ALE. Elle souhaite que « des précisions soient apportées quant à la mission du Comité consultatif pour le fonctionnement du secteur 4 ». Elle demande si cette mission « est une mission de constatation ou d’anticipation », notamment en ce qui concerne le développement industriel. André Gilles répond que « la définition de la stratégie appart[ient] au seul conseil d’administration de l’ALE ». Le président de l’ALE annonce aussi la politique que l’ALE entend mener en termes de distribution de dividendes aux communes associées de l’ex-Socolie. Sans discussion aucune avec le comité de secteur, dont l’avis n’est même pas sollicité. En fin de séance, il « sollicite les questions éventuelles ou les précisions à apporter » au sujet des points abordés. Mais les troupes ne semblent guère motivées à batailler : « Aucun membre ne sollicite la parole », souligne le procès-verbal. Après 50 minutes, la séance est levée.

Lecture de comptes déjà examinés

La seconde réunion est encore plus surréaliste. Elle a consisté en la lecture des comptes annuels 2006 de la Socolie, alors qu’à la fin de la première réunion, l’administrateur-délégué de l’ALE, Roger Sobry (MR), a rappelé « qu’en séance du 22 mars 2007, le conseil d’administration de Socolie a déjà examiné les comptes de Socolie arrêtés en date du 30 novembre 2006. » Bref, ces deux réunions avaient-elles vraiment une raison d’être ? Poser la question, c’est y répondre. D’autant qu’aucun « avis consultatif » n’a jamais été demandé aux membres du comité de secteur « consultatif » par la direction de l’ALE.

Pour rappel, le 20 décembre 2016, Le Vif révélait l’existence de trois comités de secteur « bidon » (Energie, Liège-ville, Telecom) qui ont vécu du 21 juin 2013 jusqu’au 22 décembre 2016. Les comités Energie et Liège-ville ont permis de recaser des mandataires d’Intermosane, suite à l’absorption par Publifin, au printemps 2013, d’une partie du réseau électrique de cette intercommunale. Ces trois comités ont été liquidés par Publifin deux jours après nos révélations. Le 9 janvier 2017, Le Vif annonçait qu’un quatrième comité de secteur gaz, créé pour recaser les mandataires de l’Association liégeoise du gaz (ALG) absorbée fin 2010 par Tecteo-Publifin, avait vécu du 22 décembre 2010 au 21 juin 2013.

Avec ce cinquième et (historiquement) premier comité de secteur créé pour recaser les mandataires de la Socolie, le doute n’est désormais plus permis : le « système » des comités de secteur est en fait une machine bien huilée, qui tourne « à la demande » depuis plus de dix ans. Une machine à recaser des mandataires d’intercommunales absorbées par l’ALE-Tecteo-Publifin. Avec maintien artificiel des rémunérations y afférentes, alors que les membres de ces comités n’ont plus aucun pouvoir décisionnel ni la moindre responsabilité morale.

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