Publifin, la mémoire courte

Les électeurs n’ont pas infligé au PS et au MR la correction qui leur aurait ôté des mains Publifin. Bien qu’en recul, ils restent les deux premiers partis de la province de Liège, l’actionnaire majoritaire de la tumultueuse intercommunale.

Le scandale Publifin a touché Liège mais ne l’a point ébranlé, la province de Liège, son univers opaque et ses 54 % de Publifin. Là où se trouvent les clés du pouvoir d’une intercommunale qui, depuis fin 2016, peine à se réformer, malgré l’adoption au Parlement wallon, à l’unanimité, d’un rapport dénonçant ses dérives (confusion des champs public et privé, rémunérations exorbitantes, politique aventureuse d’acquisition, etc.). Le PTB, surtout, récolte les fruits du rejet des trois partis traditionnels impliqués dans la gestion de l’intercommunale et sa septantaine de sociétés dérivées. Un rejet, certes, mais pas au point de bouleverser l’alliance entre le PS (-7,59%) et le MR (-4,39) qui perdure depuis 1981. Le duo laïque reste au sommet de la province. Le CDH souffre (-4,83), sans bénéficier de l’effet Cédric Halin (CDH), par qui le scandale a éclaté, propulsé, lui, bourgmestre d’Olne. Ecolo frémit à peine (+ 1,53%) et le PTB cartonne (+8, 69%).

De fait, quand Ecolo était donné erronément victorieux, au début de la soirée électorale, Marc Hody, conseiller provincial sortant, membre du CA de Publifin et coprésident provincial d’Ecolo, avait quelque peine à y croire. A l’examen, le parti vert doit se contenter d’une troisième place et d’une modeste progression avec ses 16, 29 % des voix, si on le compare au PTB (13,40 % des voix). « Si la tendance se confirmait, avançait prudemment Marc Hody, ce serait la reconnaissance de tout le travail mené au conseil provincial, au sein du conseil d’administration de Publifin, en collaboration avec Stéphane Hazée qui a rendu ce travail visible au Parlement wallon. Si nous sommes en mesure de peser, il faudra une certaine radicalité pour faire évoluer la gouvernance de Publifin/Nethys, sans mettre en péril l’emploi et le caractère public de l’entreprise. » Et d’énumérer : « Stéphane Moreau est toujours à la manoeuvre et le conseil d’administration de Finanpart n’a pas encore été dissous. Les conventions dont bénéficient les managers de Nethys doivent faire l’objet d’une contre-expertise juridique. Ces managers se sont tellement bien protégés qu’il faut se donner les moyens de vérifier si la société n’a pas été spoliée… »

Deux échéances avant la mise sous cloche de 2019

L’affaire risque de prendre du temps… Le nouveau conseil d’administration de Publifin reflétant les résultats électoraux du 14 octobre ne sera installé qu’en juin 2019. En attendant, le PS conserve la présidence du collège provincial et reste à la manoeuvre, avec 24, 63 % des voix contre 20,77 % au MR (8,93 % au CDH). A lui de freiner ou d’accélérer les réformes démocratiques auxquelles aspirent une partie non négligeable de ses membres et de ses cadres, eux-là même qui n’ont pas accès à la boîte noire de l’intercommunale. En effet, les décisions relatives à Publifin se prennent dans les « caucus », ces réunions d’une demi-douzaine de personnes qui représentent son actionnariat côté socialiste : la province, Liège, Seraing, Flémalle, Herstal et Jean-Claude Marcourt en tant que responsable de la coupole provinciale du PS. Faites le compte ! Le Club des Cinq (Willy Demeyer et ses 11 293 voix de préférence, Alain Mathot dont le successeur, Francis Bekaert, récolte 4 635 voix sur son nom, André Gilles, Stéphane Moreau, Jean-Claude Marcourt) y ont toujours des soutiens, si l’on excepte Herstal (Frédéric Daerden, 5000 voix de préférence) et Flémalle (Isabelle Simonis), hostiles à ce clan. Les rapports de force au sein de ces caucus secrets détermineront l’avenir de Publifin. Les résultats personnels des membres du club fantôme seront examinés à la loupe et interprétés comme un « stop » ou « encore » des électeurs.

La fenêtre d’opportunité est étroite à Liège. La perspective des élections législatives de mai 2019 va rapidement éteindre le débat intra-socialiste, discipline de campagne oblige. Quelques dates sont toutefois à marquer d’une pierre blanche. Les socialistes liégeois doivent désigner le successeur de Stéphanie De Simone (PS), qui quitte la présidence de Publifin le 26 octobre prochain. Trois noms circulent, puisés dans le quota des élus communaux socialistes de Publifin : Muriel Targnion, qui a remporté haut la main les élections de Verviers mais que certains socialistes liégeois jugent trop proche de Stéphane Moreau, Laura Crapanzano (Seraing) et Hassan Bousetta (Liège). Dans l’hypothèse où le politologue acceptait cette mission, il ne ferait qu’un intérim jusqu’au 3 décembre, puisqu’il ne s’est pas présenté aux élections et retourne à l’université de Liège. Le nouveau président pourrait être l’interprète loyal d’une volonté de changement, comme le fut Paul-Emile Mottard, ou s’écraser devant les volontés de la rue Louvrex, siège de Publifin/Nethys.

En réalité, c’est le parti d’Olivier Chastel qui tient le sort de Publifin entre ses mains. Dirigé localement par le ministre fédéral des Pensions, Daniel Bacquelaine, réélu triomphalement bourgmestre de Chaudfontaine, le MR souffle le chaud et le froid. Et pas qu’à Liège !

Jean-Luc Crucke, ministre wallon de l’Economie, est du dernier bien avec le Ceo de Nethys, Stéphane Moreau, qui a consenti à un rapprochement de Resa avec Ores, un dada du ministre. Yves Bacquelaine, frère aîné du ministre des Pensions et partenaire immobilier du fonds de pension Ogeo Fund (Publifin) est pressenti comme futur président de Liège Airport. Démissionné du PS à la suite du scandale Publifin, Stéphane Moreau n’a de cesse d’obtenir l’appui du MR pour continuer à diriger Nethys, selon ses anciennes méthodes : le deal. Toutefois, Valérie De Bue, ministre libérale des Pouvoirs locaux, a donné un signal contraire, le 12 octobre dernier, en forçant le départ d’André Gilles et Dominique Drion, entrés subrepticement dans Finanpart à l’instigation de Moreau et sa garde rapprochée.

En juillet 2017, la commission d’enquête parlementaire présidée par Olga Zrihen (PS) avait recommandé d’écarter les gestionnaires et mandataires de Publifin ayant conduit l’intercommunale à flirter avec le cadre légal. Stéphane Moreau, Bénédicte Bayer et Pol Heyse sont toujours là : ils ont tenté de réintégrer les anciens mandataires André Gilles (ex-PS) et Dominque Drion (ex-CDH). Du plus mauvais effet avant les élections. Non seulement le PS, mais le MR, devront démontrer qu’ils ont entendu le message du Parlement wallon, au risque de faire encore gonfler les extrêmes.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire