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Protestations des camionneurs: le « convoi de la liberté » interdit à Bruxelles

Rien Emmery Journaliste Knack

Un convoi de plusieurs milliers de camionneurs protestant contre les mesures sanitaires au Canada suscite l’émoi au niveau international. Plusieurs appels ont été lancés pour organiser des « Convois de la liberté » dans les capitales européennes, et notamment à Bruxelles. Le convoi se verra toutefois interdire l’accès à Bruxelles.

Fin janvier, le récit a pris de l’ampleur sur les médias sociaux : au Canada, « les camionneurs » se sont révoltés contre les mesures sanitaires. On a dit qu’ils se rendaient en masse dans la capitale, Ottawa. Il s’agissait d’abord de quelques milliers, puis de 10 000, puis de 50 000 et, finalement, on pouvait même lire les chiffres de « 250 000 camionneurs et deux millions de sympathisants » qui se dirigeaient vers la capitale, dans une sorte de croisade moderne pour libérer le peuple canadien de la « tyrannie » des mesures sanitaires. Et les médias « mainstream » refusaient d’en parler – c’est du moins ce qu’on affirmait sur les réseaux sociaux.

Il s’est avéré qu’il s’agissait d’un nouvel exemple d’une action de protestation accompagnée de désinformation en ligne et d’affirmations exagérées quant à sa taille et son impact. Le convoi était loin d’être aussi grand que suggéré. Il s’agissait de plusieurs milliers de camionneurs qui protestaient contre une récente obligation de détenir un certificat de vaccination pour le transport transfrontalier. La grande majorité des camionneurs canadiens sont vaccinés et les syndicats officiels du transport ont pris leurs distances par rapport à cette action.

Agriculteurs allemands

Toutes sortes d’images spectaculaires de convois circulaient sur les médias sociaux. Certaines d’entre elles étaient des images authentiques du Canada, par exemple de sympathisants acclamant la manifestation des camionneurs sur le bord de la route, mais d’autres étaient des images sorties de leur contexte : des manifestations d’agriculteurs allemands deux ans plus tôt, par exemple, ou d’anciennes manifestations de camionneurs d’autres pays. À Ottawa, il est rapidement apparu qu’il ne s’agissait pas de dizaines de milliers de camions. Néanmoins, certaines rues autour de la colline du Parlement sont restées occupées pendant des jours par des poids lourds et des manifestants.

Certains participants au convoi ayant proféré des menaces à l’encontre du Premier ministre canadien Justin Trudeau, ce dernier a quitté sa résidence officielle avec sa famille pour s’installer dans un lieu tenu secret, un succès pour les es partisans du convoi. Les camionneurs avaient gagné ! Il y a même eu des rumeurs selon lesquelles Trudeau avait « démissionné » ou « fui à l’étranger ». C’était absolument faux.

Boaters for Trump

Ce n’est pas la première fois qu’une manifestation contre la vaccination ou les mesures sanitaires devient virale, notamment dans les milieux coronasceptiques. La même chose s’est produite l’année dernière avec les grandes manifestations « anti-pass sanitaire » en France ou les actions des dockers italiens à Trieste. Les images de ces manifestations ont également fait le tour du monde, aidées en cela par un certain nombre de canaux de réseaux sociaux qui ne font circuler que des images des manifestations internationales contre les mesures sanitaires.

Pour les opposants aux mesures sanitaires, qui sont minoritaires dans tous les pays, ces soutiens internationaux sont une source d’encouragement. Ils sont particulièrement sensibles à la désinformation concernant l’ampleur des protestations étrangères. Cela explique, par exemple, pourquoi une campagne de collecte de fonds sur GoFundMe visant à financer les frais de nourriture et de carburant des camionneurs a rapidement recueilli plus de 10 millions de dollars.

Les convois de camions sont bien sûr impressionnants, mais il existe d‘autres moyens de rendre les manifestations visuellement attrayantes. Les motards connaissent depuis longtemps les courses de masse comme technique de démonstration accrocheuse. Des organisations comme Boaters for Trump ont organisé plusieurs défilés en bateau en 2020. Et en Belgique, le Vlaams Belang a organisé une « randonnée de protestation » vers le Heysel en 2020. Quelques milliers de véhicules prennent plus de place que quelques milliers de marcheurs.

Au Canada, les convois de camionneurs ne sont pas un phénomène nouveau : en 2019, un convoi de camions roulait déjà vers Ottawa, pour protester contre les politiques énergétiques et environnementales du gouvernement canadien. Plusieurs images de l’époque ont été « recyclées » et présentées comme s’il s’agissait d’une manifestation récente.

A Bruxelles le jour de la Saint-Valentin?

Entre-temps, les camionneurs canadiens inspirent également l’Europe. Le 28 janvier, le groupe Facebook Belgian Convoy a été créé, accompagné d’un groupe de discussion sur Telegram. En trois jours, ils ont rassemblé respectivement 7 000 et 9 000 adeptes, qui sont loin d’être tous des camionneurs, bien sûr. La même chose s’est produite dans d’autres pays : un groupe Facebook néerlandais est passé à plus de 30 000 membres, un groupe français à plus de 150 000 adeptes. Actuellement, des convois sont prévus au départ de différents pays pour se rejoindre à Bruxelles le 14 février sous le nom d’European Freedom Convoy. Avant cela, des « convois tests » seront organisés dans plusieurs pays. Les organisateurs demandent également aux camionnettes, aux agriculteurs, aux motards, aux camions frigorifiques et aux camions alimentaires de participer. De nombreux citoyens ont annoncé qu’ils allaient se déplacer ou organiser des actions de soutien.

Via leurs cabinets respectifs, la ministre de l’intérieur Annelies Verlinden, le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort, et le bourgmestre de la Ville de Bruxelles Philippe Close ont annoncé jeudi midi qu’ils mettaient les moyens fédéraux, régionaux et locaux en place pour empêcher le blocage de la Région de Bruxelles-capitale.

« Selon cette communication commune, la police fédérale contrôlera, à la frontière belge, les véhicules motorisés qui viennent pour manifester en Belgique. La Région bruxelloise et la Ville de Bruxelles prendront des arrêtés d’interdiction de manifester avec des véhicules motorisés sur leur territoire. En pratique, les zones de police de la capitale avec l’aide de la police fédérale dévieront les véhicules motorisés qui viendraient vers la capitale malgré l’interdiction vers le Parking C. « Cette collaboration entre les trois niveaux de pouvoir vise à impacter le moins possible l’ordre public dans la capitale », indique encore le communiqué.

Eviter se rendre à Bruxelles en voiture

La police de Bruxelles-Capitale lance un appel à éviter la capitale en voiture à partir de dimanche après-midi et à utiliser les transports en commun. « Nous conseillons déjà à tout le monde d’éviter le centre de Bruxelles et les voies d’accès en voiture à partir de dimanche après-midi », indique une porte-parole de la police bruxelloise. « Nous nous attendons à ce que les manifestants des capitales européennes arrivent à Bruxelles dès dimanche après-midi », ajoute-t-elle. Febetra, la fédération des transporteurs et prestataires de services logistiques belges, n’a reçu aucune information concernant l’action.

Les syndicats de transport CSC/ACV-Transcom et FGTB-UBT/ABVV-BTB n’ont pas non plus connaissance de membres qui participeraient à l’action. Ils prennent également explicitement leurs distances avec l’initiative.

Un complot secret du « régime »

Dans les forums de discussion sur ces convois de protestation, on parle beaucoup de « fermer le pays » ou même de « bloquer les résidences privées des politiciens ». Cela inquiète certains des coronasceptiques. Tout le monde n’est pas conquis par l’idée d’un convoi de camionneurs. On dit qu’il s’agit d’un complot secret du « régime », visant à rendre les camionneurs protestataires responsables des embouteillages, des rayons vides des magasins, des perturbations dans l’approvisionnement alimentaire et de l’inflation. Un complotiste néerlandais qui blogue sous le pseudonyme de « Martin Vrijland » affirme que les convois sont « un piège » : L’objectif, c’est que l’effondrement de l’économie et l’hyperinflation à venir soient masqués par des pénuries et que ce canular du convoi canadien paralyse la chaîne d’approvisionnement. […] Les chauffeurs manifestent soi-disant pour une « bonne cause », mais c’est le gouvernement lui-même qui l’a orchestrée afin de créer des pénuries et de les utiliser comme base pour des augmentations de prix […] ».

« Plandémie »

Sur TikTok, d’autres coronasceptiques affirment la même chose. C’est ce qu’on appelle « une opposition contrôlée »: un mouvement de protestation infiltré par le gouvernement. Cette accusation est souvent lancée dans le paysage varié des groupes d’action contre le coronavirus, en particulier par les éléments les plus radicaux à l’encontre des segments les plus « soft ».

Le fait que les théories du complot constituent régulièrement la base des analyses d’une partie du mouvement coronasceptique a déjà été largement documenté. Au Canada aussi, des camionneurs ont circulé avec des slogans sur la « plandémie » et autres théories du complot. Ce qui est nouveau, c’est que cette paranoïa excessive menace maintenant de saper même leurs propres actions de protestation.

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