Carte blanche

Prostitution belge : et si on parlait abolition ?

Depuis que Philippe Close (PS), bourgmestre de Bruxelles, a fait part de son désir d’éradiquer la prostitution dans le quartier Alhambra, les points de vue contradictoires sur le sujet se multiplient dans les médias.

Aujourd’hui, nous désirons faire entendre une voix moins entendue : la position pour l’abolition de la prostitution. Et démontrer que la prostitution n’est pas un « travail comme un autre » contrairement à ce qui est avancé dans une carte blanche diffusée par le Vif ce 20 septembre .

Aujourd’hui, nous pouvons distinguer trois approches sur la prostitution : 1. la prohibition (la prostitution, « c’est mal » ; on l’interdit), 2. la réglementation (« c’est le plus vieux métier du monde », il faut l’encadrer) et 3.l’abolition (« on n’achète pas une femme », il faut abolir). Cette dernière approche est, malheureusement, souvent mal comprise.

D’abord, les féministes abolitionnistes belges ont bien conscience qu’il est impossible d’abolir la prostitution d’un point de vue juridique : l’État, et plus précisément le pouvoir législatif, ne peut abolir qu’une institution qui est instaurée par la loi. Or, la prostitution n’est pas institutionnalisée en Belgique et ne peut donc être abolie. Par contre, si les féministes parlent d’abolition, c’est parce qu’elles souhaitent la mise en place de lois (notamment la pénalisation des clients) tendant à un changement de mentalité profond dans la société qui amènerait à abolir le système prostitutionnel.

Un débat national est nécessaire

Actuellement, la Belgique n’a pas légalisé la prostitution au sens où il n’y a pas de loi qui l’ « organise ». Chacun fait ce qu’il veut. À noter qu’il existe des lois prohibant le proxénétisme (le fait de vivre des revenus d’une personne prostituée).

Par contre, les communes ont le pouvoir de réglementer l’activité en ce qu’elle touche à la sécurité publique. Chaque commune a donc son propre règlement, ce qui fait plus de 500 règlements différents pour le pays. Cette situation génère évidemment – oserait-on l’écrire ?- un « bordel » sans nom.

Dès lors, nous appelons à un débat sur le fond afin d’uniformiser l’approche belge sur la prostitution pour qu’une même logique soit d’application sur l’ensemble du territoire.

Afin d’avancer rapidement, nous invitons d’ores et déjà les trois niveaux de pouvoirs que sont le Fédéral, les Régions et Communautés à agir sur trois axes :

  • L’aide aux victimes prostituées suite à des violences liées aux réseaux, aux agressions de clients, etc.
  • L’aide pour la lutte contre la précarisation des femmes qui veulent sortir de la prostitution et qui se retrouvent marginalisées, démunies. Il faut, en effet, leur proposer une aide pour se réinsérer dans la société, entre autres, professionnellement.
  • La mise en place d’hébergements pour les femmes sans conditionnalité à un statut car aujourd’hui il est impossible de trouver un hébergement pour les femmes qui ne sont pas en règle de séjour (sans papiers) et c’est un déterminant important pour le risque de violences sexuelles et d’entrée en prostitution. Elles sont recueillies par des prostitueurs qui leur promettent un toit et des revenus.

Pourquoi pénaliser les clients et tendre vers l’abolition ?

La réalité de la prostitution est loin de l’image « glamour » qui est souvent véhiculée. La majorité des personnes prostituées sont des femmes, souvent très jeunes. Elles évoluent dans un système prostitutionnel qui est sexiste ainsi que raciste (à Bruxelles, 90 % des prostituées sont étrangères et issues de réseaux de traites d’êtres humains).

La prostitution est loin d’être un travail : plusieurs syndicats européens ne considèrent d’ailleurs pas la prostitution comme un « métier » vu qu’elle est incompatible avec les critères associés à toute profession à savoir la sécurité et la dignité, ainsi que la progression de carrière. À titre d’exemple sur la sécurité : 73% des femmes prostituées disent avoir été sujettes à des agressions physiques dans la prostitution. Sur la dignité et la sécurité : 62% des femmes prostituées rapportent avoir été violées.

Puis, 70% des prostituées souffrent de stress post-traumatique. En effet, le fait d’acheter une femme laisse des traces. Car oui, la prostitution, c’est acheter une femme et non pas le corps d’une femme. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les femmes prostituées n’arrivent pas « au travail » en laissant leur intellect, leur psyché au vestiaire pour simplement « offrir leurs corps ». Elles sont donc obligées de se dissocier de leur corps pour enchaîner les « clients » sur une journée. « La prostituée (…) n’offre pas d’elle-même seulement les gestes et les paroles qu’elle sait produire sans s’y impliquer mais cela même qu’elle est sans simulation possible : son corps, c’est-à-dire ce en quoi le sujet est donné à lui-même, et qui, sans dissociation possible, constitue le sol de tous ses vécus. Il est impossible de livrer son corps sans se livrer, de le laisser utiliser sans être humilié » (André Gorz, in « Métamorphoses du travail – Quête du sens – critique de la raison économique »).

La dissociation, qui s’ajoute à la violence d’être objectivées sexuellement, entraîne donc chez les femmes prostituées des stress post-traumatiques. Ces derniers ont des conséquences dramatiques sur la santé mentale et physique de ces femmes et diminuent considérablement leur espérance de vie. Notons que neuf femmes prostituées sur dix voudraient quitter le système prostitutionnel mais ne s’en sentent pas capables (sources disponibles sur le site www.cffb.be).

Il est temps que la société entende que non, la prostitution n’est pas un métier comme un autre. Il s’agit d’une violence faite aux femmes.

À celles et ceux qui n’en seraient pas convaincu.e.s ou qui seraient persuadé.e.s du contraire, nous disons : débattons ! Mais pas de nuisances sonores, de tracas sur la voie publique. Débattons du fond : la prostitution est-elle un choix ? Est-ce un travail ? Dans quel projet de société inscrit-on notre rapport à la prostitution ? Quelle vision de la masculinité souhaite-on promouvoir ? Non, la prostitution n’est pas un sujet tabou. Il est idéologique. Alors, sortons nos idées et ouvrons le débat partout en Belgique. À vos cerveaux.

Texte écrit par Aurore Van Opstal, autrice et réalisatrice féministe

Signé par : Zakia Khattabi (Ecolo) ; Viviane Teitelbaum, présidente du CFFB (Conseil des Femmes Francophones de Belgique) et députée MR ; Céline Fremault (cdH), Ministre chargée de l’Aide aux personnes ; Julie De Groote (cdH), Présidente du Parlement francophone bruxellois ; Isabelle Simonis (PS), Ministre de l’Enseignement de promotion sociale, de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances (FWB) ; Jean-Pierre Hupkens, en son nom ; Fabienne Richard, directrice de GAMS Belgique (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles) ; Anne Tonglet, membre du CFFB et militante féministe ; Lidia Rodriguez Prieto pour Le Monde selon les femmes asbl ; Eugenia Fano, enseignante aux Beaux-Arts et traductrice ; Catherine Markstein, présidente de Femmes et santé ; Carmen Castellano, secrétaire générale des FPS (Femmes Prévoyantes Socialistes) ; Anne Vanesse, présidente de la Maison de la Famille asbl ; Alicia Arbid, coordinatrice de AWSA-Be (Arab Women’s Solidarity Association) ; Dorothée Klein (présidente des Femmes cdH) et Sandrine Cnapelinckx (vice-présidente des Femmes cdH). ; Ariane Dierickx, directrice générale de l’ASBL « L’Ilot – Sortir du sans-abrisme » ; Pascale Maquestiau, Présidente de l’Université des Femmes ; Thierry Martin, cadre, progressiste ; Jo Meziani, militant pour l’égalité ; Yamina Meziani, vice-présidente de la Maison de la Laïcité de Liège

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