Mélanie Geelkens

« Privilège féminin: échapper plus facilement à l’emprisonnement » (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Bénédicte Bayer n’aura rien goûté de la prison. Elle est la seule à ne pas avoir écopé d’un mandat d’arrêt alors que la justice liégeoise lui reproche les mêmes méfaits qu’aux autres. En voilà, un , de privilège féminin: échapper plus facilement à l’emprisonnement. Même à chef d’inculpation égal.

Le mercredi, à Lantin, c’est jour de fête. C’est jour de frites. Stéphane Moreau aura été réincarcéré juste à temps pour être servi, le 27 janvier dernier, lui qui espérait que ce jour-là serait celui de la célébration de sa libération. Bénédicte Bayer (photo) n’aura rien goûté de tout ça. La puanteur, la promiscuité, les rats. Inculpée dans le confort de sa villa calidifontaine. Et tant mieux pour elle – l’emprisonnement d’autrui ne devrait jamais réjouir. Mais difficile de ne pas le constater: des cinq personnages centraux de l’affaire Nethys, elle est la seule à ne pas avoir écopé d’un mandat d’arrêt.

La justice liégeoise lui reproche pourtant les mêmes méfaits qu’aux autres: abus de biens sociaux et détournement par une personne exerçant une fonction publique. Qu’en termes pompeux ces choses-là sont dites! S’être illégalement rempli les poches, quoi. Pour les hommes, cela mérite donc la préventive. Même pour un type de 72 ans, comme Pol Heyse. Pas pour une femme.

Le juge d’instruction Frédéric Frenay l’a peut-être prise pour une greluche juste capable d’empocher, pas de manigancer. Ou alors a-t-il été pris de remords. Enfermer une mère… Qui va s’occuper des gosses? Qui s’en soucie au moment d’écrouer un père? Il fait que regarder la téloche et écluser les bières, lui. Les mioches peuvent s’en passer sans souci. C’est bien connu.

En voilà un, de privilège féminin: échapper plus facilement à l’emprisonnement. Même à chef d’inculpation égal. Une étude française l’avait démontré en 2012, analysant les comparutions de 1 228 prévenu.e.s. Les accusées bénéficiaient systématiquement d’une relaxe, d’un sursis ou d’une peine moins lourde. Comme si leurs crimes étaient moins graves. C’était étrange, d’ailleurs, de lire l’indignation lorsqu’une détenue américaine était exécutée, le 13 janvier dernier, ce qui n’était plus arrivé (au niveau fédéral) depuis soixante-huit ans. La peine de mort est une honte, une aberration, peu importe le sexe de la personne recevant l’injection.

De Gaulle avait pris pour habitude de gracier automatiquement les femmes. Sous prétexte qu’elles donnent la vie. « Il y a quelque chose de sacré [chez elles]. Elles peuvent devenir mères. » C’est bien gentil, Charles, mais aux dernières nouvelles, faut être deux pour procréer. Il ajoutait que les grands criminels étaient de perfides calculateurs, tout le contraire de ces dames qui « tuent par passion, par impulsion. » Infantilisées même dans le délit.

Du Général à nos jours, la justice est restée patriarcale. Certes, la gent féminine semble moins portée sur le délit, elle qui ne représente qu’environ 5% de la population carcérale belge. Mais les prisons n’en seraient-elles pas légèrement plus peuplées si les délinquantes subissaient le même traitement que leurs homologues masculins? La féminité ne devrait pas être une circonstance atténuante. Encore moins la maternité. Ou alors, qu’on rédige deux Codes pénaux, tiens. Un pour chaque genre. Peine pour assassin mâle: vingt à trente ans. Peine pour assassin femelle: dix à quinze ans. Ben oui, quoi, c’est une maman!

C’est Yvonne et Geneviève – respectivement épouse et nièce de l’homme d’Etat français – qui avaient raison. Les femmes ne sont pas moins responsables de leurs actes et l’indulgence de principe n’est pas acceptable, « au nom même de l’égalité » qu’elles-mêmes réclament tant. Combattre les privilèges masculins implique tout autant de remettre en question ses propres prérogatives, aussi rares soient-elles. N’en déplaise à Charles de Gaulle. Et à Bénédicte Bayer.

Perpétuité pour les féminicides nicaraguayens

Depuis le 25 janvier dernier, une nouvelle loi est entrée en vigueur au Nicaragua. Elle institue la peine de prison à perpétuité pour les auteurs de féminicides (avec possibilité de solliciter une libération conditionnelle au bout de trente ans). Jusqu’à présent, la peine maximale encourue était de trente ans. Cette nouvelle disposition s’applique également aux parricides et à toute une série de crimes avec circonstances aggravantes. Le Nicaragua est l’un des pays sud-américains qui enregistre le moins de féminicides.

Une vieille bombe

La députée fédérale Vanessa Matz (CDH) appelait ça une « petite bombe », dans les colonnes des journaux Sudpresse: le 25 janvier dernier, elle proposait d’inscrire l’inceste dans le Code pénal. Une « bombe »… déjà lancée en 2017 par l’asbl bruxelloise SOS Inceste, qui s’était tournée vers des députés Ecolo pour que des textes soient déposés. Ce qui n’avait pas abouti. Peut-être qu’en le réclamant à nouveau…

La femme de l’année

Elle s’appelle Grace Tame, elle a 27 ans et, lorsqu’elle était adolescente, elle fut violée à de multiples reprises par son professeur de mathématiques. Dans les médias tasmaniens, Etat australien d’où elle est originaire, elle voulait raconter son histoire. Mais une loi interdisait aux victimes d’abus sexuels de parler publiquement, sous leur nom, de ce qu’elles avaient subi. Un journal avait d’ailleurs été condamné à 20 000 dollars d’amende. Les agresseurs, eux, étaient libres de s’exprimer. En 2019, le combat de Grace Tame a conduit à une modification de cette loi et elle vient d’être élue Australienne de l’année.

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