Françoise De Smedt

Pourquoi une taxe kilométrique à Bruxelles est injuste, antisociale et peu efficace

Françoise De Smedt Cheffe de groupe PTB au Parlement bruxellois

Le gouvernement bruxellois a annoncé à travers la voix de sa ministre de la Mobilité Elke Van Den Brandt (Groen) vouloir instaurer une taxe kilométrique à Bruxelles. Voilà donc la première mesure phare que veut mettre en oeuvre le « progressiste » gouvernement bruxellois : une taxe injuste et inefficace. Car il s’agit bien de cela.

La taxe kilométrique sera injuste socialement, participant à diminuer encore le pouvoir d’achat des familles, mais elle sera aussi inefficace pour modifier nos comportements de déplacement.

Double peine

Aline est infirmière à domicile. Après avoir déposé ses enfants à l’école, elle se rend avec sa Renault Kangoo auprès de son premier patient à Berchem, avant d’aller à Dilbeek, puis de revenir du côté d’Anderlecht et de repartir à Ruisbroek. Elle fait partie de ces milliers de travailleuses et travailleurs qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour se déplacer. Ils sont techniciens, taximen, livreurs indépendants, employés en titres-services, aides-soignants ou même ces agents de… la STIB qui finissent leur journée tard dans la nuit et n’ont plus de transport en commun pour rentrer chez eux. Ils travaillent en horaires décalés ou doivent se rendre dans des endroits où il n’y a ni bus ni train à proximité. Pour ces milliers de travailleuses et travailleurs, il n’y a aucune alternative à la voiture. La taxe kilométrique proposée est tout simplement injuste.

Nadia sera aussi pénalisée par cette taxe. Elle est actuellement sans emploi, mais parcourt des dizaines de kilomètres par jour pour permettre à son enfant handicapé de rejoindre son école spécialisée. Nadia n’a pas trouvé d’école plus proche de son domicile et, comme beaucoup de parents dans son cas, n’a pas accès aux transports collectifs organisés. Pourquoi devrait-elle payer alors que les alternatives n’existent pas pour elle ?

Être punie deux fois par cette taxe, c’est également ce que vit Solange. Il y a trois ans, elle a quitté Bruxelles pour s’installer vers Ninove. L’inaction du gouvernement bruxellois vis-à-vis des loyers trop chers l’a poussée dans la périphérie. Comme beaucoup de familles d’origine bruxelloise. Solange continue néanmoins à y travailler et son horaire l’oblige à venir en voiture. Elle se sent à juste titre doublement sanctionnée.

Anti-sociale

Cette taxe est aussi anti-sociale et participera à diminuer le pouvoir d’achat de nombreuses familles, qu’elles habitent Bruxelles, la Flandre ou la Wallonie. Que leurs revenus soient de 1 300, 1 700 ou 10 000 euros par mois, la taxe au kilomètre sera identique pour tout le monde. Contrairement à certaines idées reçues que « seuls les plus riches roulent en voiture », 108 400 ménages sous la médiane des revenus à Bruxelles possèdent une voiture. Une telle taxe pèsera plus lourd pour ces ménages qui représentent tout de même un tiers des ménages motorisés.

La ministre Elke Van Den Brandt prétend que les Bruxellois seront moins touchés par la mesure, car ils bénéficieront notamment d’une réduction de la taxe de circulation. Vraiment ?

Selon une étude commandée par la Région bruxelloise en 2011 et réalisée par le bureau d’étude en mobilité Stratec, le tarif « optimal » serait de 0,43 euro par km parcouru. Grégory a fait un rapide calcul. Il habite à Schaerbeek et travaille à Ikea Zaventem. Il parcourt chaque jour 14 km aller-retour sur le territoire de la Région bruxelloise. Il travaille en horaire décalé et aussi le samedi. C’est trop compliqué pour lui de se rendre à son travail en transports en commun surtout qu’il finit souvent à 21h. Son calcul montre qu’il va payer beaucoup plus cher : au tarif de 0,43 euro par km, il payerait environ 750 euros par an, alors que sa taxe de circulation est à l’heure actuelle de 250 euros.

Sans compter la discrimination qui va se créer entre travailleurs des autres régions. Peter habite Leeuw-Saint-Pierre et est agent de sécurité auprès de la Commission européenne. Il commence chaque jour à 6h. Le premier métro ne part qu’à 5h35, et ne lui permet pas d’arriver à temps à son emploi au centre-ville. Lui aussi est obligé de s’y rendre en voiture. Peter touche 1 850 euros par mois, mais paiera le même tarif que Didier Reynders, le futur commissaire européen qui va gagner 20 000 euros par mois. Habitant la Flandre, Peter ne bénéficiera pas de la réduction de la taxe de circulation.

Notre infirmière à domicile, Aline, a calculé qu’elle parcourait jusqu’à 100 km par jour avec sa voiture. Pour elle, le tarif « optimal » va l’amener à devoir payer 43 euros pour sa journée de travail ou 860 euros par mois. Même avec le tarif réduit « hors heure de pointe » prévu par l’étude de la Stratec, soit 0,07 euro par kilomètre, cela reviendra toujours à 140€ par mois !

Peu efficace

Ce que l’étude montre aussi, c’est le peu d’efficacité sur le report modal (c’est-à-dire le nombre de gens qui abandonnent leur voiture pour utiliser les transports en commun). Avec un tarif de 3 euros par jour (dans le cas d’un péage urbain), ce report modal est à peine de 2%. Selon la Stratec, il faut atteindre un tarif de 18 euros par jour pour arriver à une diminution du trafic automobile de 20% (l’objectif fixé par la Région bruxelloise). Il faut donc être très anti-social avec des systèmes de taxes pour aboutir à cet objectif.

L’étude envisage une voie médiane de 12 euros pour atteindre 15% de report modal. C’est exactement le même résultat qu’obtiendrait l’instauration des transports publics gratuits. Sauf que, si cette dernière mesure est financée par les grandes entreprises comme le propose le PTB, elle ne ne nuit financièrement à personne, au contraire même puisque les familles récupèrent du pouvoir d’achat. Avec un résultat identique (un report modal de 15%), pourquoi ne pas s’orienter vers cette mesure sociale au lieu de faire payer durement les familles ?

D’autant que la taxe kilométrique a encore bien des inconvénients. Elle risque d’opérer un report de la circulation autour de sa zone d’application. Si la taxe concerne l’ensemble du territoire de la Région, le report se fera sur le ring où les automobilistes « feront le tour » pour payer moins. Si la zone s’applique au niveau du Pentagone (centre de Bruxelles), ce seront les quartiers à l’extérieur qui en souffriront.

Car rappelons-le, sans développer des alternatives comme les transports en commun ou les pistes cyclables bien sécurisées, la diminution du nombre de voitures ne se marquera pas de manière significative.

C’est ce qu’on peut observer également avec le mécanisme de la zone de basse émission : c’est surtout à un renouvellement du parc automobile que nous assistons, plutôt qu’à une diminution de celui-ci. Si la taxe kilométrique dépend de la cylindrée, de l’âge, du type de carburant de la voiture, cela poussera à réorienter les ventes de voitures plutôt qu’à persuader les automobilistes de se déplacer autrement. La rage taxatoire en elle-même, sans alternatives, est un voeu pieux.

Au final, s’agit-il en fait de rechercher de nouvelles rentrées fiscales ou de défendre une réelle politique de mobilité ? L’étude Stratec montre qu’appliquer un tarif de 3 euros par jour rapporterait 323,7 millions d’euros aux pouvoirs publics. Avec un tarif de 12 euros, ce montant grimpe à 1,1 milliard. En commençant d’emblée avec une taxe kilométrique au lieu de développer les alternatives, ce sont les caisses qui se rempliront sans voir les embouteillages diminuer. Les familles bruxelloises continueront par contre leur exode annuel en dehors de la Région, car elles s’en sortiront encore moins bien financièrement…

Un plan social pour une tout autre mobilité

Les partis du gouvernement évitent une question importante avec leur taxe kilométrique : qui doit financer le nécessaire changement de mobilité à Bruxelles ? Le PTB a choisi de faire contribuer les entreprises, à la hauteur du prix d’un abonnement actuel pour chacun de leurs employés. Le gouvernement bruxellois a choisi de taxer les travailleurs.

Le PTB défend un plan chiffré et phasé pour améliorer l’offre des transports publics et les rendre gratuits. La première phase pourrait, pour un coût limité, garantir un report modal de la voiture vers les transports en commun de plus de 5%. Comment ? En rendant accessibles aux abonnés des transports en commun l’ensemble des sociétés : STIB, De Lijn, TEC et SNCB. Cela permettra d’utiliser la capacité complète des transports publics bruxellois, au lieu de faire se déplacer des trains, bus à moitié vide dans notre Région congestionnée. Cela permettra de gagner du temps pour investir sérieusement dans l’augmentation de l’offre : avec plus de trams et de bus à court terme, le métro à moyen terme.

Un tel plan social pour une autre mobilité permet de gagner l’opinion publique pour que la nécessaire révolution climatique et environnementale puisse avoir lieu. Ce plan est seul rassembleur et c’est le débat que nous devons gagner. Il est tout l’inverse de la taxe kilométrique et sa logique punitive et libérale qui rend même l’écologie impopulaire pour certaines couches de la population.

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