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Pourquoi les politiques cèdent à la tentation de la téléréalité: « Toute exposition est bonne à prendre quand elle augmente une notoriété »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Des femmes et des hommes politiques aiment se donner en spectacle. La pratique en vogue est-elle éthiquement recommandable et à recommander? Entretien avec Benoît Rihoux, politologue (UCLouvain).

Georges-Louis Bouchez campé en apprenti soldat d’élite. Y a-t-il une réelle prise de risque politique à se donner de la sorte en spectacle?

Tout positionnement hors des codes classiques du registre politique comporte une prise de risque en matière d’image. Si le risque est calculé, le retour de flamme est toujours possible. En l’occurrence, je me garderais de donner des interprétations hâtives. Il y a sans doute, pour Georges-Louis Bouchez, à la fois des coûts et des bénéfices à se retirer de ce genre de prestation. Mais il y a clairement un pari derrière ce type de démarche qui débouche sur une communication moins cadenassée, moins facile à contrôler, dont s’emparent les réseaux sociaux qui pourront la ressortir en certaines circonstances.

Il faut s’appeler Georges-Louis Bouchez pour s’être lancé dans une pareille aventure?

Le recours à la communication politique ciblée sur le ludique reste très peu développé en Belgique francophone, pour une question de culture politique qui met moins en avant le candidat individuel. L’expérience à laquelle se livre Georges-Louis Bouchez, cette volonté de se mettre très fortement en avant, est en décalage. Il incarne une posture singulière, spécifique par rapport aux codes classiques en vigueur dans le paysage politique francophone. Sa prestation dans une émission de téléréalité flamande lui permet de développé une stature nationale et de s’assurer une audience plus large, en se produisant dans une sphère médiatique flamande plus ouverte, dans un paysage politique flamand dominé par des débats plus durs. Georges-Louis Bouchez est une personnalité qui cherche à créer du clivant.

Benoît Rihoux
Benoît Rihoux © National

Le fait de s’être fait méchamment remonter les bretelles par ses instructeurs, largement raillé pour cette raison le desservira-t-il forcément?

La perception qu’il donnait de quelqu’un d’individualiste, pas à la hauteur des tâches qu’on lui confie, pouvait être ressentie négativement. D’un autre côté, il pouvait aussi incarner une certaine vision du libéralisme, donner l’image de l’individu qui tente des choses, qui ne se plie pas forcément aux injonctions du groupe. Georges-Louis Bouchez se profile en entrepreneur politique, qui ne craint pas de s’engager hors des sentiers battus, il travaille une image qui reste peu cultivée chez nous et qui procède d’une communication que l’on retrouve plutôt dans un système majoritaire où des présidentiables se mettent fortement en avant. De toute façon, sa prestation médiatique le singularise et toute exposition est bonne à prendre quand elle augmente une notoriété.

Benoît Rihoux «Toute exposition est bonne à prendre quand elle augmente une notoriété.

Pure coïncidence, la participation d’une ministre en fonction, en l’occurrence Hadja Lahbib (MR), titulaire du portefeuille des Affaires étrangères, dans un épisode de la série belge Attraction diffusée le 16 avril sur la RTBF, où elle interprétait une présidente de tribunal, a été critiquée mais sans faire autant de vagues. Assiste-t-on à une banalisation du genre?

Hadja Lahbib ne s’est pas livrée à une autopromotion, elle était encore journaliste lorsque le tournage a eu lieu, in tempore non suspecto. Je n’y vois donc pas matière à débat. On peut avoir eu des vies antérieures avant d’exercer une fonction ministérielle.

Peut-on considérer que ce genre de pratique relève d’une forme de publicité politique à des fins électorales qui gagnerait à être réglementée?

La question peut se poser mais elle implique de distinguer l’esprit de cette pratique et son aspect strictement légal. J’estime qu’il ne faut réglementer que si un problème sérieux se pose. User de médias populaires pour essayer de se rendre sympathique, est-ce éthiquement discutable? Oui, si cela conduit à relever de la propagande en période préélectorale.

Le citoyen-électeur est-il au final reconnaissant au politique de sa quête d’une plus grande proximité, notamment lorsqu’il s’adonne à la politique spectacle?

On peut considérer que cela peut mener à une désidéologisation de la politique en se profilant sur une personnalité ou un caractère, et à encourager ainsi un comportement consumériste de l’électeur. D’un autre côté, combien de citoyens sont réellement intéressés par le débat politique?

Si la fonction politique s’en trouve désacralisée, est-elle pour autant dévalorisée?

Non, pas forcément. La question renvoie au modèle que l’on se fait d’une personnalité politique: un expert toujours sérieux et responsable ou bien un citoyen entré en politique et qui a le droit d’avoir aussi des activités moins sérieuses. Lorsque Christos Doulkeridis (NDLR: Ecolo, bourgmestre d’Ixelles) contribue à des émissions culinaires consacrées à la cuisine grecque, lorsque Paul Magnette (NDLR: bourgmestre de Charleroi, président du PS) publie un ouvrage sur la confection du pain, ils livrent aussi une facette intéressante de leur personnalité, qui peut constituer une information politique. La femme ou l’homme politique n’est pas que politique.

Le relâchement qu’on observe dans le port vestimentaire des politiques, dans le langage utilisé voire la gestuelle, relève du même registre que ce goût plus prononcé pour la politique spectacle en télé?

Sociologiquement, les élites politiques appartiennent à un groupe relativement homogène, majoritairement hautement diplômé, disposant de hauts revenus. D’où la nécessité de chercher à se singulariser, à se monter plus accessible, notamment à travers des tenues vestimentaires qui tranchent avec les codes longtemps en vigueur dans l’univers politique.

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