Claude Demelenne

Pourquoi le PS bruxellois doit, plus que jamais, défendre la laïcité

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Les socialistes bruxellois vont élire un nouveau président, qui succédera à Laurette Onkelinx. Sa tâche sera rude. Dans la Région-capitale, le PS est fort seul, à gauche, pour défendre la laïcité, pas vraiment la tasse de thé du PTB et d’Ecolo.

Le PS bruxellois n’est pas en grande forme. Lors du récent scrutin, il a perdu environ 20% de ses électeurs. Il est talonné par Ecolo, et même par le PTB, qui a triplé son score par rapport aux élections de 2014. Pour doper leur parti, certains socialistes pensent que le successeur de Laurette Onkelinx qui sera choisi les 19 et 20 octobre – ce sera Rachid Madrane ou Ahmed Laaouej – devrait « adoucir » la laïcité et donner des gages à la fraction la plus conservatrice de l’électorat musulman. En clair, le PS devrait notamment prendre position pour l’autorisation du port du voile islamique dans les écoles et les administrations publiques.

Pour la lutte anticléricale

Les socialistes partisans d’une laïcité extra-light sont actuellement minoritaires au sein du PS. Ils s’expriment généralement à demi-mots. Ils marchent sur des oeufs. Ils sont en effet conscients que leurs revendications – en résumé : rendre davantage de visibilité et de pouvoir aux religieux – vont à l’encontre de tout l’héritage socialiste, marqué par la lutte anticléricale. La base du PS, dans sa grande majorité, n’imagine pas qu’après avoir combattu victorieusement l’emprise des bigots catholiques sur la société belge, les socialistes pourraient dérouler le tapis rouge pour d’autres bigots, se revendiquant cette fois de l’islam rigoriste.

Dans les années 1990, le PS bruxellois a été visionnaire. Il a été le premier parti à s’ouvrir aux citoyens d’origine ou de confession musulmane. En 1995, Mahfoud Romdhani et Sfia Bouarfa deviennent les premiers députés socialistes bruxellois issus de l’immigration. Le PS bruxellois s’appuie sur la question sociale pour s’implanter dans les communautés maghrébine et turque de la Région-capitale. Cette nouvelle classe ouvrière fait massivement confiance au principal parti de gauche pour améliorer ses conditions de vie.

De nouvelles revendications religieuses

Lors du scrutin du 26 mai, selon une étude « sortie des urnes », à Bruxelles, 49,4% des votants se disant musulmans ont accordé leur voix au PS. Phénomène nouveau, les socialistes bruxellois sont désormais concurrencés d’abord par le PTB (qui attire 24,4% des votants musulmans), ensuite par Ecolo (10,2% des votants musulmans).

Le PS bruxellois a quelques raisons d’être inquiet. Car le PTB et Ecolo, ses concurrents à gauche, ne se contentent pas de brandir la question sociale pour séduire l’électorat de confession musulmane. Les Verts et la gauche dite radicale relaient également les revendications religieuses d’une partie de cet électorat : autorisation du port du voile islamique dans les écoles et dans les administrations publiques, autorisation de l’abattage religieux sans étourdissement, possibilité pour les parents d’élèves de choisir un jour de congé selon leurs convictions religieuses… Ces revendications religieuses heurtent la sensibilité laïque d’une large part de l’électorat, particulièrement socialiste.

La foi, une affaire privée

Historiquement, le Parti socialiste et son ancêtre, le Parti Ouvrier Belge (POB), ont toujours combattu l’influence des dogmes religieux et des « petits curés » sur une partie de la classe ouvrière belge. Certes, la Charte de Quaregnon, texte fondateur du socialisme belge, rédigé par Emile Vandervelde et adopté le 26 mars 1894 par le 10eme congrès du POB, affirme que le Parti est « le représentant de tous les opprimés, sans distinction de nationalité, culte race ou sexe ». Il précise que le sentiment religieux, tant qu’il est affaire privée, « affaire de conscience » ne regarde pas le militant socialiste. Dans un discours prononcé quelques années plus tard, en 1911, le « patron », Emile Vandervelde, retape sur le clou : « Moi qui ne croit pas en Dieu et encore moins au Diable, je n’aime pas railler la foi des autres. Je sais m’incliner devant la foi sincère des autres, me souvenant que ce sont les convictions fortes…qui ont accompli les plus grandes choses ». Pas question donc, pour le POB d’hier et le PS d’aujourd’hui, de diaboliser les religions. Mais à condition que la foi reste une affaire privée.

Avec l’irruption de revendications religieuses débordant du cadre privé et l’affirmation d’un nouveau prosélytisme – non plus catholique cette fois,mais musulman – beaucoup de socialistes ont l’impression de régresser. Ils ont le sentiment de revenir en arrière, à une époque où le clergé catholique défendait l’omniprésence des signes convictionnels religieux dans la société belge.

Les gauches « verte » et « radicale » se trompent de combat

Ce n’est pas en tournant le dos à ses valeurs laïques que le PS confortera sa place de premier parti à Bruxelles. Celle-ci n’est pas menacée par une laïcité » prétendument « crispée » mais davantage par l’incapacité relative de la gauche à faire redémarrer l’ascenseur social et à lutter efficacement contre les inégalités. Les gauches « verte » et « radicale » se trompent de combat en misant sur un communautarisme à l’opposé de l’action émancipatrice du mouvement socialiste.

Plus que jamais, le PS bruxellois doit défendre la laïcité. Il doit surtout renouer avec l’esprit avant-gardiste dont il a fait preuve depuis près d’un quart de siècle en accueillant sur ses listes et en confiant des responsabilités ministérielles à des personnalités issues de l’immigration (Rachid Madrane, Fadila Laanan, Nawal Ben Hamou…) peu suspectes de complaisance envers les communautarismes religieux, quels qu’ils soient.

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