© BELGA/Marthe Deleersnyder

Pourquoi le métro Nord sera souterrain et probablement monotube

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Alors que la décision d’opter pour un monotube de grand diamètre pour le métro Nord n’est pas formellement prise, les discours des politiques, de Beliris et de la Stib n’évoquent plus que cette possibilité. Au point que ce mantra antibitube suscite, chez certains experts, des questions sur ce choix et ses motivations.

Dans quel type de tunnel circulera le métro, entre la gare du Nord et la station Bordet, au nord de Bruxelles ? Monotube ? Bitube ? Alors qu’aucune décision formelle n’a encore été prise, toutes les communications officielles, des responsables politiques, de la direction de la Stib et des ingénieurs de Beliris, présentent la solution monotube comme acquise. L’hypothèse consistant à construire le métro en ouvrant les rues – une technique moins onéreuse – n’a pas été retenue : aucune commune n’a envie d’assumer devant ses habitants et ses commerçants un chantier à ce point intrusif, prévu pour durer de longues années.

Le métro Nord sera souterrain, donc. En résumé, le tunnel bitube, dont le diamètre est d’environ six mètres, impose de creuser jusqu’à 12 à 15 mètres de profondeur. Le tassement des terres en surface est dans ce cas réduit et en surface, les stations peuvent être de dimensions plus modestes : il suffit de construire moins de sorties à la verticale d’un quai en principe central. Ces stations sont du coup moins coûteuses. En revanche, le chantier dure plus longtemps et coûte environ 5 % de plus par kilomètre que le monotube.

Le tunnel monotube, d’un diamètre d’environ dix mètres, doit être foré à une profondeur de 20 mètres minimum, les quais, latéraux cette fois, étant construits à 28 mètres de profondeur. Parce que le diamètre du tube est plus grand, le tassement en surface est potentiellement plus important. L’accès aux quais dure plus longtemps pour les usagers, qui doivent emprunter davantage d’escalators pour arriver près de 30 mètres sous le niveau du sol. Quant aux stations, elles prennent la forme d’une imposante boîte creusée dans la terre avec un impact en surface plus important.

Pourquoi le monotube a-t-il été privilégié ?

Pour comparer les avantages et inconvénients des deux formules, le consortium Bureau métro Nord (BMN) a réalisé, en avril 2014, un  » Rapport d’étape n°2 de l’étude de faisabilité de l’extension du métro Nord « , à la demande de Beliris. Ce document de 158 pages, truffé de graphiques et de tableaux, détaille les travaux à réaliser dans les sept stations à construire jusqu’à Bordet, ainsi que leur coût. Conclusion : le monotube est à privilégier.

Plusieurs spécialistes des transports, de la mobilité en général ou des ouvrages de génie civil souterrains s’interrogent toutefois sur cette conclusion, pressentant que la décision d’opter pour le monotube précède l’étude comparative.  » Le choix du monotube est un choix de principe adopté par la Stib et la Région, martèle l’un de ces experts, désireux – comme beaucoup d’autres – de conserver l’anonymat. Ce projet n’a pas été élaboré sur des bases solides. Il s’agit d’un spectaculaire ouvrage de génie civil et très accessoirement d’un projet de transport public « . A ses yeux, la comparaison des formules mono et bitubes devrait être étudiée par un deuxième organisme, indépendant.

Dans son rapport d’incidences de juillet 2017, le bureau d’études Aménagement demandait déjà avec insistance de réfléchir aux techniques mises en oeuvre pour que les infrastructures (tunnel et stations) soient les moins profondes possibles. Une plus grande profondeur, donc le choix du monotube, présentait plusieurs inconvénients de poids aux yeux de ces experts : la nature du sol creusé, donc les tassements possibles en surface dans des communes au bâti ancien, comme à Schaerbeek ; la présence de la nappe phréatique ; la profondeur et l’empreinte des stations en surface. C’est la première fois qu’on effectuera un creusement au tunnelier de cette ampleur à Bruxelles, dans cette couche géologique particulière.

Pourquoi le métro Nord sera souterrain et probablement monotube
© RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE

Curieuses similitudes dans les tableaux

Examinés de près, plusieurs tableaux du rapport comparatif signé par BMN suscitent d’ailleurs des questions. Le volume des terres à excaver au niveau de certaines stations est exactement le même dans l’hypothèse d’un tunnel monotube ou bitube. Ce qui est statistiquement très improbable.

Les estimations des excavations ont été faites sur la base de stations types, car les plans n’étaient pas encore dessinés au moment de l’étude comparative, apprend-on chez Beliris. Ce qui pourrait expliquer ces résultats parfaitement identiques.  » Il faut aussi tenir compte de quatre rameaux de connexion à construire entre les tunnels du bitube, y ajoute-t-on. Et, en fonction de la qualité de la terre à cet endroit et du degré de la pente entre deux stations, le bitube n’est pas forcément beaucoup moins profond que le monotube.  » Toutes données invérifiables pour ceux qui ont reçu ce rapport au sein du gouvernement bruxellois, du comité de pilotage ou dans les communes.

Le nombre d’escalators renseignés pour certaines stations est également identique, que l’on étudie la formule monotube ou bitube. Or, le monotube nécessite de descendre plus bas dans le sol et il est bordé de quais latéraux, ce qui double le nombre d’escalators par rapport à ceux qui seraient installés sur le quai central du bitube.

Plusieurs experts contactés par Le Vif/L’Express considèrent, au contraire, que le rapport est biaisé en faveur du monotube.  » Les calculs de BMN sont sans doute corrects, pointe un ingénieur spécialisé en transport, souhaitant rester anonyme. Mais ce sont les options de départ qui faussent la comparaison « .  » Beliris assure qu’il faut creuser à 30 mètres pour des raisons géologiques, embraie Vincent Van Halewyn, échevin Ecolo à Schaerbeek et prométro. C’est faux : on creuse à trente mètres pour pouvoir utiliser le tunnelier monotube.  » En cas d’incendie, le système bitube est également plus favorable que le monotube, même si celui-ci n’a pas été recalé par les services de secours.

Le choix entre le monotube et le bitube dépend encore de l’étude d’incidences qui sera lancée à l’été 2019.  » La demande de permis table sur le monotube, déclare Cédric Bossut, directeur de Beliris. Mais si l’étude d’incidences prône le bitube, on changera tout.  »

L’entreprise qui effectuera ces travaux titanesques de creusement n’a pas encore été choisie. Le consortium Bureau métro Nord, qui regroupe les sociétés THV Grontmij, Amberg engineering sa, SM Métro TPFE-Bagon et SM Van Campenhout-Arep, compte néanmoins dans ses rangs une firme suisse spécialisée dans le forage de tunnels : Amberg Engineering, qui est à pied d’oeuvre dès à présent :  » Amberg a une fonction clé dans l’étude pour tous les aspects techniques liés au tunnel, confirme Beliris : les essais géotechniques, les études de tassements, les méthodes de construction…  »

 » Le choix du diamètre du tunnel est sensible, souligne un expert : il devrait appartenir à l’entrepreneur. Seul le diamètre intérieur utile concerne le maître de l’ouvrage. Dès lors que ce dernier fixe le diamètre extérieur, comme c’est le cas ici, il sélectionne de facto l’entreprise ou les entreprises qui disposent de la machine correspondante.  » Rien que le coût d’un tunnelier s’élève à environ 15 millions d’euros.

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