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Pourquoi il est urgent de passer à la semaine des 30 heures

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Les employés de l’association Femma, active en Flandre et à Bruxelles, vont passer à la semaine des 30 heures (contre 38 actuellement) en 2019. Cette expérience sociale réalisée en collaboration avec une équipe de recherche de la VUB se déroulera sur une année. Une initiative qu’encourage le politologue Olivier Pintelon, membre du Think Tank Minerva.

Selon Olivier Pintelon, politologue et auteur de l’ouvrage De strijd om tijd (EPO, 2018), les rythmes de travail hebdomadaires actuels ne sont plus en adéquation avec la vie quotidienne des travailleurs. Les parents qui travaillent à temps plein se retrouvent chaque jour confrontés à de multiples tâches. Cette « seconde journée » domestique représente 20 heures hebdomadaires pour les hommes et plus de 30 heures pour les femmes. Selon le politologue, une semaine plus courte qui passerait de 38 à 30 heures, offrirait des chances égales aux hommes et aux femmes sur le marché du travail. Selon une étude de la KU Leuven, 40% des promotions manquées des femmes dans leur fonction sont directement liées à moins d’heures prestées.

Une journée de 6 heures, un rythme déjà expérimenté dans les pays scandinaves, est par ailleurs bénéfique pour la santé. Il est apparu qu’elle engendre moins de stress, moins de problèmes de dos, moins de burn-out, un meilleur sommeil grâce à des nuits plus longues et un mode de vie plus actif. Cet aménagement horaire sans réduction salariale permet aussi une meilleure répartition du temps de travail entre employés débutants et plus âgés,tout en stimulant la créativité et l’innovation. Même au niveau environnemental, les bénéfices se font ressentir: les personnes qui travaillent moins ont en effet une meilleure empreinte écologique. Elles ont également plus de temps pour s’engager socialement. Pour le politologue, loin d’être une lointaine utopie, cette réduction du temps de travail redéfinit fondamentalement le vivre ensemble.

Moins de burn-out

Cependant, des nombreux obstacles juridiques, administratifs et financiers sont encore trop présents pour la mettre en pratique facilement (voir encadré ci-dessous). La semaine des 30 heures avec maintien de salaire implique des compromis financiers, même si elle n’engendre pas automatiquement plus de frais pour l’engagement de travailleurs supplémentaires. Olivier Pintelon plaide pour la création de stimulants financiers pour les entreprises et les organisations qui veulent mettre en oeuvre ce nouveau rythme. Il suggère que le demi-millard qui permet de stimuler les heures supplémentaires et le travail de nuit soit utilisé dans cette optique.

« Le salaire horaire serait en effet augmenté, mais quand on ajuste la réduction du temps de travail à la productivité croissante, les coûts de production restent stables. Cependant, cela n’est pas le cas dans tous les secteurs. Dans le secteur des soins de santé par exemple, il n’y a presque pas de croissance de la productivité car on ne peut pas laver plus de personnes âgées en une heure de temps. Je propose que le gouvernement vienne en aide financièrement à ces sociétés jusqu’à ce que des jobs supplémentaires soient créés« , déclare le politologue au Morgen. Ce dernier est aussi d’avis que les autorités récupéreront de l’argent via la sécurité sociale vu que le rythme allégé engendra moins de stress et d’épuisements professionnels. Pour le politologue, les 30 heures semaine sont avant tout une question de choix politique, plus qu’une impossibilité économique.

Au niveau de l’équilibre vie professionnelle-vie privée, cet aménagement du temps de travail doit aussi encourager un changement des mentalités dans la société et dans la sphère familiale quant à la répartition des tâches ménagères et des soins apportés aux enfants. L’idéal serait que les femmes puissent développer sans entrave leur carrière, et que davantage d’hommes s’investissent dans les tâches domestiques. La majorité des mères accompliraient en effet aujourd’hui 70 % des tâches domestiques et des soins aux enfants, en plus de leur travail.

Pourtant, selon une étude de la KUL, il n’y a rien qui démontre que ce nouveau rythme permettra d’inverser les rôles, ou du moins de les équilibrer au sein même d’un foyer. Qui dit en effet que les heures de temps libres retrouvées ne permettra pas aux hommes de s’adonner à une heure de sport et que les femmes continueront à courir comme des poules sans tête de la crèche, à l’école en passant par le supermarché ? « Une étude indique que quand les femmes et les hommes travaillent tous les deux à temps plein, la femme passe presque deux fois plus de temps aux tâches dévolues aux enfants « , déclare au Morgen Simon Ghiotto, chercheur en politique sociale au sein du Think Tank Itinera. Le chercheur plaide, lui, pour une meilleure répartition du congé parental afin que le père s’investisse davantage dès le début.

Comment Femma est passé à la semaine des 30 heures

Femma est une association de femmes active en Flandre et à Bruxelles qui se bat pour l’égalité et le bonheur des femmes et des hommes, à travers l’organisation de diverses activités, culinaires, sportives ou créatives. L’association prépare le passage à la semaine des 30 heures depuis 5 ans en collaboration avec la VUB qui analysera les effets de ce nouveau rythme de travail sur ses employés pendant une année entière.

Femma a loué les services d’un juriste pour l’implémenter. Comme l’explique L’Echo, la direction et les syndicats ont conclu une convention collective en ce sens, approuvée par le ministère de l’Emploi. Au cabinet du ministre, on explique qu’il n’y a pas de limite à la réduction autorisée du temps de travail si elle est faite dans l’intérêt du travailleur, et pour autant qu’elle fasse l’objet d’un accord entre employeurs et travailleurs. Pour une hausse du temps de travail au-delà du cadre légal des 38 heures hebdomadaires, il faut, par contre, entrer dans le cadre des exceptions.

Pour mener à bien cette expérience, l’ASBL va engager cinq travailleurs à temps plein supplémentaires pour compenser la baisse du temps de travail de ses 40 collaborateurs temps pleins concernés par la réduction du contrat à 30 heures. Donnée importante : l’expérience n’aura pas d’impact sur le salaire des travailleurs, ils seront toujours payés à temps plein. La porte-parole de l’ASBL interviewée par L’Echo déclare disposer d’un budget pour « des projets exceptionnels ». La VUB, de son côté, financera sa recherche via un crowdfunding. Elle est à la recherche de 80.000 euros de financement privé.

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