David Stans

Pour une véritable culture politique du renseignement en Belgique

David Stans Maître de conférences, faculté de droit -  ULiège.

Les moyens octroyés aux services de renseignement sont notoirement insuffisants comme l’a relevé La Libre Belgique du 29 mars : sur les 400 millions d’euros promis par le gouvernement Michel en novembre 2015 pour lutter contre le terrorisme, seuls 7 millions ont été réellement attribués à la Sûreté de l’Etat.

Le SGRS, service de renseignement militaire, a profité certainement des 142,95 millions d’euros versés à la Défense, mais dans quelle proportion ? Le déploiement des soldats en rue et le financement de divers autres dispositifs ont consommé l’essentiel des moyens libérés. D’où cette question cruciale: le monde politique se donne-t-il les moyens d’anticiper les menaces?

Considérer le Renseignement comme une véritable politique publique en Belgique, refinancer correctement nos services et leur contrôle, ajuster leurs missions et moyens, autant de défis qu’il faut encore tendre à relever. Le manque d’investissement ou de suivi pourrait conduire les services à devoir se concentrer sur certaines missions au détriment d’autres et les instances de contrôle à faire des choix dans la sélection des enquêtes à élaborer.

Cela doit devenir une réalité aux yeux du monde politique, dans son ensemble, qui ne peut plus se contenter d’être réactif aux évènements, voire d’ignorer certains phénomènes. Il reste le principal client de leur « output« , mais surtout celui qui doit fixer les lignes directrices de leur action (à la base et à la fin du processus de renseignement). Si des démarches vont, depuis quelques mois, dans ce sens – comme le démontrent les premiers investissements réalisés – elles restent malgré tout insuffisantes au regard de la situation actuelle comme semblent le confirmer certaines recommandations issues des rapports de l’instance de surveillance belge (le Comité permanent de contrôle des services de renseignement – Comité R). Ces démarches ne doivent plus seulement être réactives à des évènements, mais apparaître dans le cadre d’une vision stratégique proactive et basée sur le long terme.

Au travers notamment de la Belgian Intelligence Academy, du Belgian Intelligence Studies Center (fondé par ULiège, UGent, UCL ainsi que par les représentants de la plupart des services de renseignement et sécurité belges) ou des démarches de l’Université de Liège (à ce jour initiatrice d’un cours sur le renseignement belge et son contrôle), les académiciens ou membres des services semblent conscients de cette nécessité.

Toutefois, la refonte du Conseil national de sécurité et de ses deux comités visant l’obtention d’une vision intégrale et intégrée de la sécurité passe également par une meilleure communication entre les acteurs. Si cette dernière s’est incontestablement améliorée, comme en atteste les récents propos du chef du service général de Renseignement et de Sécurité (SGRS) sur l’obligation de « Need to share » (besoin de partage) semblant prévaloir désormais sur le « Need to know  » (besoin d’en connaître) ou du Procureur fédéral, des efforts restent à mettre en oeuvre au niveau des instances de sécurité envers les politiques pour leur octroyer une vision correcte des menaces. À l’inverse, la communication de ces derniers vis-à-vis des services doit permettre d’orienter efficacement la définition de la politique belge de renseignement et de sécurité et celle des enjeux stratégiques liés à cette problématique guidant l’action des services.

Ensuite, si les accords de coopération internationaux ou discussions quant à la création de bases de données internationales ne cessent d’apparaître, tant les médias que les dirigeants ne font guère état du risque de déficit démocratique qui peut y être lié. Si nos services ne peuvent de facto connaître la manière dont toutes les informations qui leur sont transmises par des homologues étrangers ont été récoltées, ils doivent, dans la mesure du possible, s’assurer que cette collecte s’est faite dans le respect de nos propres exigences démocratiques. Il serait incontestablement préjudiciable pour notre démocratie de fermer les yeux sur des pratiques non acceptées en Belgique pour obtenir ces informations. Là réside un nouvel enjeu pour la sauvegarde de notre démocratie.

Enfin, les discussions relatives au bataillon ISTAR (Intelligence, Surveillance, Target, Acquisition and Reconnaissance) créé au sein de l’armée et soumis à un commandement différent du SGRS doivent être menées à bien. Nous pouvons en effet être interpellés par les déclarations du ministre de la Défense dans sa vision stratégique de 2016 et de l‘Allied Joint Publication 2 de l’OTAN considérant aussi qu’il s’agit d’une activité pouvant conduire à des analyses en soutien du SGRS et agissant en dehors du contrôle du Comité permanent R. Pourtant comme le confirme ce Comité et le volet portant sur les services de sécurité issu de la Commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2016, « la relation entre le SGRS et ISTAR n’est pas réglée de manière suffisamment claire, la communication vers le SGRS n’étant dès lors pas optimale. En outre, l’application des méthodes spéciales de renseignement soulève des questions d’ordre juridique ».

Bien qu’il ne s’agisse ici que de réflexions et d’exemples, ce sujet concerne notre sécurité au coeur de l’actualité et il serait illusoire d’oublier l’impact de celui-ci sur notre économie, la protection de nos recherches et entreprises, la sauvegarde de nos Droits et Libertés, etc. issus de notre État démocratique.

Autant de réflexions qui doivent impérativement être menées par les acteurs concernés.

David Stans, 33 ans, est maître de conférence à l’ULg, où il enseigne le « contrôle de la gouvernance du renseignement »Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur « Le Comité permanent R dans sa relation avec le Parlement et certains acteurs de l’Exécutif: cohérence ou incohérence ? » (2014).

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