Philippe Jottard

Pour l’écologie ou l’écologisme ?

Philippe Jottard Ambassadeur honoraire, ex-ambassadeur à Damas

Les partis verts européens ont accéléré la prise de conscience quant à l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique. Fort heureusement et bien au-delà de ces partis, l’écologie est aujourd’hui une cause qui rassemble de plus en plus, et est peut-être même majoritaire.

Les Verts s’arrogent abusivement la direction de ce combat et utilisent cette étiquette afin de promouvoir leur idéologie particulière, l’écologisme, au double ou triple agenda. Derrière le combat pour la transition écologique qui ne leur est pas propre, prospère une idéologie anti-moderne qui menace à terme la cohésion, voire les fondements de nos sociétés.

Dans la lutte climatique, l’écologisme mobilise nombre de personnes bien intentionnées mais trop souvent naïves. La composante tiers-mondiste, identitaire, parfois complice de l’ islamo-gauchisme du mouvement instrumentalise l’ esprit d’ouverture de ces généreux militants qui, rivés sur l’enjeu écologique, détournent le regard d’une dérive obscurantiste. Ainsi, la proposition par le parti vert au poste de Commissaire gouvernemental(e) à l’égalité femmes-hommes d’une personne portant le voile islamique, ce marqueur tant religieux que de l’inégalité des sexes, confirmée malheureusement par le gouvernement, a porté atteinte à la neutralité de l’Etat. Par conviction, électoralisme et/ou naïveté, les écologistes ne redoutent pas de favoriser le communautarisme qui mène à l’établissement d’une contre-société opposée aux valeurs modernes de laïcité et d’égalité des sexes.

De la part d’un mouvement pourtant féru des terroirs, des circuits courts, adversaire de la globalisation, l’utilisation quasi exclusive de l’anglais dans les campagnes pour le climat illustre la myopie et le manque de cohérence des écologistes dont on pourrait attendre la défense des cultures et langues locales. Ces deux exemples permettent de relever d’une manière plus générale leur insensibilité, voire leur aveuglement quant à certains enjeux politiques, sociaux et culturels fondamentaux.

Est-ce étonnant de la part d’ une idéologie qui fait de la sauvegarde de la nature sa priorité quasi obsessionnelle ? Ajoutons que, mu par l’ angoisse de l’apocalypse climatique, l’écologisme prospère dans des couches sociales plutôt favorisées, plus riches que la moyenne et dont les préoccupations sont éloignées de celles des classes populaires. Aussi sous-estime-t-il gravement la nécessité de la croissance économique pour satisfaire au minimum des besoins vitaux comme l’aspiration au bien-être matériel des gens modestes et assurer le développement de tous les continents. S’il est clair que la croissance doit se combiner avec la reconversion des modes de production et de consommation, elle reste néanmoins indispensable. Délaissant le combat pour la laïcité et l’égalité, l’écologisme est en rupture avec l’idéologie de la modernité, commune au libéralisme et à la social-démocratie. Plus fondamentalement, l’écologisme ne tourne-t-il pas le dos à l’idéal du progrès humain, d’égalité et de liberté issu des Lumières ?

Plusieurs courants coexistent au sein de l’ écologisme: l’un est réformiste, sensible même à la justice sociale. Il n’est cependant pas à l’abri des contradictions comme dans le difficile débat sur l’abandon du nucléaire arbitré au profit de l’augmentation de l’énergie carbonée des centrales à gaz. Quant aux franges écologistes les plus extrêmes, elles se caractérisent par le fanatisme et le sectarisme. On les voit mener des actions coups de poing, prédire l’effondrement écologique ou prêcher l’adoration d’une nature fantasmée, cette nouvelle religion aux accents anti-humanistes qui sacralise la nature rebaptisée Gaïa du nom de la Terre-déesse-mère dans la mythologie grecque. Rien à voir ici avec le sentiment et le respect de la nature qui, au lieu de rejeter l’humanisme à l’instar de certaines idéologies extrémistes comme le nazisme, le cultivent en harmonie avec le monde naturel. Le radicalisme écologique remet en cause la technique, l’industrie, le commerce international, les bases mêmes du développement économique et du progrès social. A ses yeux, il faut en finir avec l’obsession capitaliste de la croissance. La décroissance voulue par l’éco-centrisme dogmatique bouleverserait nos sociétés. Au point de provoquer un rejet violent, en particulier de la part des couches populaires.

Le mouvement des Gilets jaunes dirigé contre des mesures écologiques pourtant limitées sonne comme un premier avertissement. Les écologistes qui prétendent marier écologie et justice sociale, ont-ils réellement compris le message ? On ne peut en effet relever le défi écologique contre la société. L’écologie ne peut se permettre d’ être punitive et outrancière. Elle se doit d’être positive et réaliste faute de quoi se pose la question de la plus-value réelle des partis verts.

Le tiers-mondisme constitue une source d’inspiration et un autre axe de l’idéologie écologiste. Associée chez certains à un rejet du capitalisme, la bien-pensance tiers-mondiste rapproche les écologistes des mouvances décolonialistes ou postcolonialistes mais les met en réalité en porte-à-faux avec les urgences climatiques. C’est le cas en particulier de leur cécité volontaire en matière démographique. Partisans d’un immigrationnisme sans frontières, les Verts ne prennent pas la juste mesure de l’ampleur de l’explosion démographique dans certaines zones du Sud. Le doublement répété de la population en Afrique a déjà de graves conséquences humanitaires comme l’exode tragique à travers la Méditerranée. La très forte croissance de la démographie africaine a aussi des effets écologiques, contribuant par exemple à la désertification du Sahel. Si le facteur démographique n’est pas seul en cause, il alimente cependant la vague migratoire persistante vers l’Europe qui renforce les partis populistes et donne lieu au chantage migratoire de certains Etats. Faut-il occulter pudiquement cette réalité au motif qu’elle nourrit des peurs dont se saisit l’extrême-droite ? Ces peurs subsisteront tant que le problème n’aura pas reçu de solution.

Pouvons-nous terminer par une note d’espoir ? La lutte pour le climat tend, du moins en Europe, à être de plus en plus l’affaire de presque tous, voire de la majorité: Union européenne, gouvernements, partis, entreprises et individus ! La dimension écologique devient ainsi un axe fondamental de nombreux plans d’investissement public. Le dernier rapport du Groupe international d’experts sur le climat, le GIEC, reste néanmoins alarmiste et met en garde contre les effets désastreux d’un réchauffement climatique supérieur à 1,5° sur les éco-systèmes. C’est dire que le défi est mondial et doit être pris à bras le corps dans tous les continents. Rappelons finalement que l’écologie n’appartient à aucun camp !

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