Nadia Geerts, cofondatrice et membre du Réseau d'action pour la promotion d'un Etat laïque. © Dieter Telemans

Ports de signes religieux dans l’enseignement : le réveil du Rappel

Le Réseau d’action pour la promotion d’un Etat laïque se remobilise après le nouveau règlement autorisant le port de signes religieux dans l’enseignement francophone supérieur et de promotion sociale. Avec, pour objectif, l’inscription de la laïcité dans la Constitution.

Cette fois, c’en est trop. Le Rappel (Réseau d’action pour la promotion d’un Etat laïque) estime que la coupe est pleine et qu’il est grand temps de se réveiller. En cause ? Le règlement de la Cocof autorisant le port des signes convictionnels dans l’enseignement supérieur scellé en juillet dernier dans l’accord de gouvernement bruxellois. Entendez le retour du voile à l’école. C’est Ecolo qui portait la mesure,  » une victoire personnelle  » de la coprésidente Zakia Khattabi dans la lutte contre les discriminations faites aux femmes mais également, selon elle, un grand pas vers  » l’émancipation féminine « . Si la mesure faisait déjà grincer, c’était sans compter la décision du tribunal de première instance de Louvain qui, en août, tapait sur les doigts de l’athénée De Ring, à Louvain, qui se prévalait d’un règlement de la Communauté flamande pour interdire le voile à l’école secondaire. Selon le tribunal, en l’absence de conflits religieux, interdire de manière générale le port du voile à l’école ne respecte pas la liberté religieuse des élèves. Une porte ouverte à d’autres recours, d’autres élèves, d’autres écoles tandis que GO ! – la plateforme de l’enseignement flamand – fait appel de la décision. Parce que sur la question, les Flamands ont toujours été clairs : pas de voile à l’école. Une position de principe depuis 2009. Contrairement aux francophones – sans position officielle – qui laissent la question à l’appréciation des chefs d’établissement.

C’est dans ce contexte que le Rappel reprend son grand combat : l’inscription de la laïcité dans la Constitution. La seule solution, selon lui, pour mettre fin au bricolage juridique et aux sempiternels débats sur le concept de  » neutralité  » en Belgique, brèche par laquelle le  » religieux  » revendique une place de plus en plus visible dans l’espace public, dans les écoles notamment. Car c’est là le fond du problème : une interprétation différente selon les uns et les autres de ce qu’est la neutralité à la belge et qui aboutit souvent pour les cours et tribunaux à invalider toutes les tentatives d’interdire les signes religieux ostensibles dans certains lieux ou pour certaines professions. Du coup, pour le Rappel, inscrivons enfin la laïcité dans la Constitution, comme en France où les choses sont très claires.

Sur la question, les Flamands ont toujours été clairs : pas de voile à l’école.

 » Depuis sa fondation, explique Nadia Geerts, cofondatrice et membre du Réseau, le Rappel avait gagné pas mal de batailles ; fort de ces succès et des positions de principes adoptées dans les écoles ou administrations, nous pensions que le consensus dégagé ne serait pas remis en question. Or, non seulement le contexte général a changé, mais sur la question des signes religieux, on se rend compte qu’on est en train de détricoter tout ce pour quoi nous nous étions battus.  » Elle cite le cas de l’athénée royal d’Anvers qui, avant 2009, avait autorisé le port du voile dans son établissement mais, face à la recrudescence d’élèves voilées – dont certaines arrivaient désormais couvertes de la tête aux pieds – avait dû faire marche arrière toute.  » A 95 % les écoles, même les plus ouvertes, ont suivi sur les signes religieux ostensibles décidant alors de les interdire.  » Sauf que, aujourd’hui, le contexte est différent : ces dernières années ont vu émerger des phénomènes de radicalisation importants et selon Nadia Geerts, les islamistes entendent engranger de nouvelles victoires en étendant leurs territoires, comme en France avec la problématique des piscines à horaires décalés. Le Rappel voit donc d’un très mauvais oeil tant la décision du tribunal de Louvain concernant l’école secondaire que le nouveau règlement de la Commission communautaire française (Cocof) qui, lui, autorise le port de signes religieux pour tous les étudiants fréquentant l’enseignement supérieur et de promotion sociale :  » En soi, commente Nadia Geerts, il est difficile de justifier une interdiction pour des élèves majeurs, c’est certain. Par contre, ce qui nous semble inacceptable, c’est que ce règlement ne prévoit pas d’exception pour les étudiants qui seront appelés plus tard à exercer des professions où leur « neutralité » ou « objectivité » devra être garantie.  » Concrètement : les futurs professeurs, assistants sociaux ainsi que le secteur médical et paramédical.  » Il n’est pas concevable que des personnes exerçant ces métiers puissent être identifiées suivant leurs conceptions religieuses. Et dire « on les laisse faire pendant leurs études et on l’interdira ensuite dans l’exercice de leur profession », ce n’est que repousser le problème. Et quand il se posera inévitablement à la sortie des études, on nous ressortira l’argument de l’émancipation des femmes et de leur accès au marché du travail. C’est très dangereux comme attitude.  »

Car Nadia Geerts s’inquiète surtout de la rhétorique utilisée aujourd’hui par ceux qui défendent bec et ongles le port du voile :  » Au nom de la lutte contre les discriminations faites aux femmes, au nom de l’intégration sur le marché du travail et pour lutter contre l’islamophobie, il faudrait, selon eux, accepter les femmes voilées dans tous les secteurs professionnels.  » Une rhétorique insidieuse qui, selon la cofondatrice du Réseau, se répand alors qu’on sait que  » plus on donnera de la latitude aux revendications religieuses, plus on donnera du poids à l’extrême droite « . Nadia Geerts y relève aussi un argumentaire  » à la sud-africaine  » où  » l’on tente de comparer la question des croyances religieuses aux discriminations subies par les Noirs en raison de leur couleur de peau. Or, c’est totalement différent, nous exigeons l’interdiction des signes religieux dans certaines professions parce qu’un voile, c’est comme un crucifix : ça se retire. Et que nous estimons qu’il est des lieux comme des métiers où il n’est pas opportun d’afficher ses convictions personnelles. C’est préjudiciable pour tout le monde car, sur le fond, ça revient à enfermer un individu dans une certaine identité et pour les autres, ça attise les tensions entre les communautés.  »

Selon le Rappel, l’Etat et ses représentants jouent avec le feu, raison pour laquelle il ressort une pétition, lancée en 2007 et qui avait recueilli plus de 5 000 signatures, pour bétonner la laïcité dans les textes légaux. Le Réseau entend reprendre sa place dans le débat public en développant notamment une série de positions, comme celle à l’encontre du règlement de la Cocof.

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