© Antonin Weber

Portrait d’Hélène Delhamende: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

Hélène Delhamende pensait pouvoir digérer son premier abandon quand elle a retrouvé sa mère biologique. Mais l’histoire s’est répétée. Pour se sortir du marasme psychologique, la Liégeoise a écrit un roman. Puis un autre, et un autre encore.

Ce n’est pas un message facile à envoyer. Mettre fin à une relation qu’Hélène estime toxique et dont elle ne veut plus demande de la détermination, du courage et de la force. Elle est décidément trop faussée, trop « mondaine », trop à sens unique, cette liaison avec sa mère biologique. « Elle, ça l’emmerdait de me voir », pense toujours la Liégeoise, huit ans plus tard, abritée de la pluie dans un café de la place Cathédrale. « Elle fixait même un horaire pour se voir. » Le dimanche, de 17 à 19 heures. Les autres moments? « Impossible. » Au bout de trois ans, Hélène n’en peut plus. Elle pianote sur son téléphone un message censé réveiller sa génitrice. Le texte lui rappelle combien il est difficile de ne déceler aucune émotion sur son visage alors que sa fille a ramé toute sa vie.

Sa plus grosse claque:

Le deuxième rejet de ma mère biologique, alors que je viens à peine de la retrouver. »

Abandonnée à la naissance, « sans avoir reçu aucun contact physique ni même un pyjama », Hélène est accueillie deux jours plus tard par des parents « aimants et adorables » qui lui dévoileront rapidement la vérité. Au sortir de ses études, son besoin d’en savoir plus sur celle qui l’a mise au monde devient insoutenable. Grâce à son extrait d’acte de naissance, elle obtient un nom et une ville d’origine. « Avec une amie, nous sommes parties avec notre petite voiture, direction Waremme, pour mener l’enquête. Malheureusement, à l’administration communale, l’employé ne pouvait pas légalement nous donner d’ adresse. Je me suis sentie tellement frustrée d’apprendre qu’elle était bien là, autour de moi, sans savoir où exactement. » La jeune fille commence alors à sonner aux portes et apprend rapidement que sa mère biologique n’est autre que la fleuriste du coin. Les deux détectives amateures reviennent sur place dès le lendemain. Postée quelques instants face à une porte d’entrée qui lui renvoie ses envahissants questionnements, Hélène se fait d’abord passer pour une cliente lambda en quête d’une rose blanche à offrir à sa mère. « Je me suis toujours demandé comment j’aurais fait si elle avait été gynécologue. » La commerçante se montre serviable, ajoutant que « ça fait toujours plaisir aux mamans de recevoir des fleurs ». Hélène sort en pleurant. Puis rentre à nouveau, tend sa rose et s’enfuit sans attendre. « Ce fut émotionnellement très perturbant: je suis restée deux semaines dans le néant, à me demander ce que j’allais faire de ce nom, de cette adresse et du fait qu’elle savait désormais qui j’étais, sans être revenue vers moi. » La Liégeoise finit par lui téléphoner. Un appel cordial, sans émoi à l’autre bout du fil. Mais la fleuriste lui propose de la voir, pour lui expliquer les raisons de son abandon.

Son mantra:

Ce n’est pas parce qu’on naît « rien » que l’on est rien. »

Champagne, morgue et relecture

La rencontre se déroule un dimanche après-midi. L’invitée est accueillie dans une grande maison par son beau-père et « mon espèce de frère », un blond aux yeux bleus. « Je m’imaginais une pauvre dame démunie, mais ce n’était pas du tout le cas: elle vivait très bien, socialement et financièrement à l’aise. On s’est installés dans de grands divans en cuir, avec du champagne et des rires forcés, mais surtout aucune émotion de sa part, alors qu’elle m’accablait. Je la voyais pour la première fois, ses yeux, sa taille, sa voix… J’avais à la fois envie de lui sauter dans les bras et de la tuer. » Hélène reçoit la réponse à la question qu’elle se pose depuis l’enfance lors d’un court aparté dans le salon. Issue d’une famille catholique élitiste, sa génitrice n’a pas voulu faire tache dans la ville en gardant un enfant né d’une union avec un Sud-Africain. « Selon ses dires, elle m’aurait conçue dans un café, « dans le noir, avec un Noir et en plein trou noir ». » Ces explications abracadabrantes accentuent le malaise de la jeune femme, qui n’apprendra que plus tard, au décès de son père, qu’il vivait à quelques centaines de mètres de là. Elle est profondément ébranlée et insiste pour revoir cette inconnue, dans l’espoir d’établir une véritable relation.

Au début, Hélène est présentée à l’entourage de sa mère biologique comme la fille prodigue, plutôt mignonne et brillamment diplômée en criminologie. Une vocation, née de sa passion pour les programmes télévisés d’enquêtes, qu’elle va nourrir au cours de ses études, à l’occasion de stages à la morgue et à la police judiciaire, section homicides. « Je suis attirée par le morbide, ça m’a vraiment inspirée. » A la morgue, elle assiste à des autopsies, dont celle d’un bébé de huit mois. Avec la police, elle se rend sur des lieux de crimes où elle note le moindre détail et les éléments clés permettant de dresser un profil psychologique. « J’aimais entrer dans le quotidien des petites gens, voir quels étaient leurs désespoirs, repérer leur désarroi, sentir ce qui les avait amenés à passer à l’acte. J’aimais en revanche beaucoup moins l’idée de contrôler et de sanctionner. »

Son plus gros risque

Me lancer dans une autre orientation professionnelle à 38 ans, en reprenant des études d’assistante sociale. »

Elle n’exercera de toute façon pas à la sortie de ses études, les perspectives d’emploi se limitant aux bureaux ou aux assurances. Trop loin du terrain. Une déception totale que la Liégeoise digère en prenant la première place qui s’ouvre à elle: celle de relectrice chez Vlan. « J’adorais l’écriture et l’orthographe donc ça me convenait parfaitement, surtout que je faisais un peu de graphisme et de rédaction en parallèle. Tout ce que je lisais comme faits divers, interviews et autres événements liés à la ville de Liège m’inspirait. J’ai profité de temps morts pour écrire par-ci par-là. » Dans son journal intime, elle consigne en parallèle chaque moment vécu avec sa génitrice. L’autrice en herbe crée une ambiance qui mêle décors, dialogues et émotions. Le contenu lui plaît, mais il n’a qu’une visée thérapeutique: elle ne veut pas vexer sa mère biologique et risquer d’abîmer leur relation.

Portrait d'Hélène Delhamende: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra
© Antonin Weber

Le stylo et l’oreille

Hélène finira par envoyer son message d’appel à l’aide. La réponse ne viendra jamais. De quoi sonner le glas d’une aventure humaine bien peu réjouissante. « Ça m’a plongée dans une énorme dépression dont je suis sortie grâce aux médicaments et une psychiatre compétente. J’ai aussi été fort soutenue par mes proches, notamment mes parents adoptifs. Ça devait être dur pour eux, c’était comme si je me plaignais à mon mari de ce que me faisait mon amant. » L’ écriture lui apparaît alors comme l’échappatoire idéale. Ses bribes d’existence se transforment en un chapitre, un deuxième, un troisième, puis une histoire entière… Au chômage à la suite de son départ de Vlan, elle envoie son manuscrit à un éditeur – plus rien ne l’en retient – qui accepte de le publier.  » Ma mère… quand ça l’arrange! rencontre un succès de dingue. Le bouquin est diffusé partout… notamment à Waremme. A ce moment-là, j’espère qu’elle l’a lu. Je me demande même si ce n’est pas pour elle que je l’ai écrit. Pour qu’elle comprenne ma trajectoire psychologique, puisqu’elle n’était pas à l’écoute quand je voulais la lui expliquer de vive voix. » Le seul retour qu’elle obtient est un blocage sur Facebook.

Dates clés

  • 2008 « Je vois ma mère biologique pour la première fois. Cette rencontre me permet de savoir d’où je viens, mais elle me détruit et me fait aussi perdre énormément confiance en moi. »
  • 2012 « Je remporte certains prix lors de concours de nouvelles. Ça me convainc que je suis capable d’écrire un roman. »
  • 2014 « La naissance de mon fils, Aymeric. Son parrain est le frère de mon père biologique, avec qui j’entretiens une excellente relation. »
  • 2015 « Publication de mon premier roman: Ma mère… quand ça l’arrange! (La Boîte à Pandore).
  • 2018 « Sortie de Greta, avec Isabelle Huppert, mon actrice préférée. Le pitch ressemble assez fort à celui de mon livre Dolorès. Une histoire d’identités. »

Aujourd’hui, Hélène tique quand elle voit le panneau « Waremme » sur l’autoroute. « Je la croise parfois dans le coin. On ne calcule même plus nos trajets. » La lutte, elle, se poursuit au quotidien. Pour penser à autre chose, pour ne pas s’effondrer. Ça passe encore et toujours par l’écriture de romans. A ce jour, la Liégeoise en a publié cinq. Leur point commun? Le personnage principal, à chaque fois une femme perturbée psychologiquement et qui cache quelque chose. « L’inspiration peut venir de tout: un sac abandonné au sol, un inconnu que je visualise tuer son épouse le soir même… J’ai toujours eu une imagination terrible. Elle vient peut-être de mes années passées à dévorer du Spielberg, du Stephen King, les Goonies. » L’ actuelle quadra a son style cérébral bien à elle. Au point qu’en décembre 2021, lorsqu’elle sort Le Monde d’après, un roman de société inspiré par le contexte pandémique, certains ne reconnaissent pas sa plume. « J’ai apprécié cette parenthèse plus humaine, mais je pense que les gens ont raison: je prends plus mon pied à écrire un thriller psychologique qu’une fresque sociale« , une thématique pourtant désormais bien présente dans sa vie depuis qu’elle a décidé, il y a trois ans, de reprendre – puis de réussir – des études d’assistante sociale. « Certains de mes camarades, plus jeunes, me voyaient comme le modèle à suivre, vu que j’avais déjà fait la crimino, j’avais un enfant et même sorti un bouquin… C’était un statut agréable pour moi qui n’ai pas toujours connu la reconnaissance. » Aujourd’hui, la Lîdjeuse travaille au CPAS en tant qu’agent d’insertion socioprofessionnelle. « Je reçois les bénéficiaires, je les écoute raconter leur vie, leurs freins, leurs atouts et puis on établit ensemble un projet d’intégration sociale. Je suis vraiment dans l’accompagnement, au plus proche du quotidien des gens. Je pense avoir une certaine empathie qui me permet de ressentir directement la détresse et de cibler ce qui doit être fait. » En fin de journée, l’assistante sociale reprend l’écriture. Son futur ouvrage est un thriller qui se déroule dans un parc d’attractions. Une façon de retrouver son style. Et de poursuivre son travail de résilience. « Je ne sais pas ce que je serais devenue si j’avais suivi un parcours classique, tant ce que j’ai vécu m’a nourrie et portée. En fait, je crois que ma vie est un roman. »

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