© Anthony Dehez

Portrait de Ghalia Vauthier: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

A 21 ans, Ghalia Vauthier migre aux Etats-Unis pour y apprendre le blues. Catapultée dans un univers black, la petite blanche autodidacte a pris le temps d’observer avant de proposer son interprétation du genre, des paroles et de l’histoire de ce style musical.

Impossible d’oublier sa « première fois ». Quand Ghalia Vauthier fait son entrée, guitare à la main, dans un club de Jackson, dans le Mississippi, pour y interpréter du Etta James sous les regard circonspects, elle a alors 21 ans et n’a pas encore changé son patronyme en Volt. C’est la deuxième étape du programme qu’elle s’est fixé plus jeune et qui consiste à débarquer aux Etats-Unis, faire des jams sur scène puis enregistrer un disque. « A l’époque, je visitais toutes les villes dont j’avais entendu parler dans les chansons que j’adorais », pose l’artiste, actuellement en tournée entre le Danemark, l’Allemagne et le Mexique. « Je voyageais en train, en bus ou en stop. Je logeais dans des auberges de jeunesse, sous ma tente ou en couchsurfing. »

Son plus gros risque:

Faire (trop) confiance aux automobilistes américains en faisant du stop, seule avec ma guitare. J’aurais vraiment pu vivre des histoires horribles. Je dois avoir une bonne étoile. »

Seule Blanche dans cette salle de Jackson ce soir-là, elle a peur de ne pas interpréter « avec assez de respect » cette musique dont l’histoire ne lui appartient pas. Et puis, le désir de faire ce qu’elle aime prend le dessus, elle se lance. Quelques minutes plus tard, le public applaudit. Pas par simple politesse mais avec honnêteté. A ce moment précis, elle saisit l’importance des trois derniers mois qu’elle vient de passer à jouer dans la rue. Durant nonante jours d’affilée, elle a chanté et pincé sa guitare dans le centre de Bruxelles pour récolter l’argent nécessaire à son trip outre-Atlantique. « Je gagnais jusqu’à 150 euros en deux ou trois heures, c’était énorme. Je faisais ce que je voulais, au point d’en devenir accro. J’en rêvais même la nuit. » Qu’il pleuve ou qu’il neige à s’en geler les doigts, Ghalia est là, fidèle au poste, place Agora ou rue de Tabora – son spot préféré.

Une activité pas évidente. « Il y avait toujours bien un type pour essayer de voler mon chapeau, mais surtout des règles à la con: on était autorisés à jouer seulement aux heures paires et à une poignée d’endroits désignés par la commune. » Frondeuse, la jeune fille ira jusqu’à se faire coller une amende de 500 euros. Elle veut se produire coûte que coûte et apprendre comment capter en deux secondes l’attention d’un passant pour le transformer en spectateur. Elle ne fait pourtant rien de bien sorcier, elle qui maîtrise les cinq ou six mêmes accords depuis ses débuts à la gratte, dans sa chambre, six ans plus tôt. « Plus jeune, je ne voulais pas apprendre la théorie, juste m’amuser en reprenant du Nirvana et du Patti Smith. Progressivement, j’ai commencé à utiliser le programme GarageBand pour enregistrer des compositions basiques sur lesquelles j’exécutais des petits solos. C’était à la fois mignon et dépressif. »

Son mantra:

Le destin n’est pas une question de chance. C’est une question de choix. »

Rave party et Little Richard

Issue de la communauté rom, la Saint-Gilloise grandit dans un univers créatif et culturel, aux alentours du parvis. Gamine, elle suit beaucoup de stages de musique, de danse, de sculpture et de peinture. « Mes parents étaient très ouverts d’esprit. Tant mieux: je ne serais pas devenue musicienne avec un père avocat dont le but aurait été de me former pour reprendre le cabinet familial, considérant l’art comme un simple hobby. » Rapidement branchée sur courant alternatif, la brune aux yeux bleus suit pourtant un cursus scolaire classique, et même chargé. Elle étudie le latin et le grec puis les langues modernes auprès de profs « coincés » mais dont les cours exigeants la rendent quadrilingue en français, espagnol, anglais et néerlandais. « Je n’aimais pas l’ école, mais ma mère avait fixé les règles: tant que mes notes dépassaient les 90%, je faisais ce que je voulais. Du coup, j’ai vraiment fait ce que je voulais. » Au point de participer à sa première rave party à l’âge de 12 ans au Magasin 4, salle qui programme du son underground. Ce soir-là, c’est Métal Urbain, un groupe punk français des années 1970. Ghalia lèche sa main pour y imprimer le tampon d’entrée d’un autre, profite de la musique, danse, s’envoie quelques gorgées dans les verres des autres mais recrache celle de Duvel, trop forte pour son jeune palais.

Portrait de Ghalia Vauthier: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra
© Anthony Dehez

C’est le début d’une époque rock’n’roll, celle des pogos, des concerts en Région flamande, des nuits passées dans des plaines de jeux ou des Abribus. L’ado a peu d’argent, alors elle emmène ses bières avec elle, planquées dans son sac. Parfois, elle escalade la barrière pour ne pas payer l’entrée d’un concert. « J’étais assez radine, mais c’était le seul moyen d’économiser la thune que je n’avais pas. J’ai fait pas mal de conneries, aussi: fabriquer des faux billets, voler dans les distributeurs à friandises de l’école, vendre de la beuh… Le but n’était pas de me rebeller, mais de prendre le plus possible de plaisir. »

La musique arrive au bon moment pour que la jeune fille continue de savourer l’existence, mais sans rémunérations illicites. Elle joue en rue, donc, mais également en groupe, une fois son diplôme de secondaire en poche, après avoir fait la rencontre de « vieux Brusseleers », avec qui elle partage sa première aventure musicale. Sous le nom de Ghalia and The Naphtalines, le band propose des covers de rhythm and blues et de rock, passant d’obscurs morceaux de musique afro-américaine à Elvis Presley et à Little Richard. Une idole qu’elle rencontrera quelques années plus tard, lors d’un passage à Nashville. « J’avais entendu qu’il habitait au dernier étage du Hilton, j’ai donc discuté avec le portier qui m’a confié qu’il allait bientôt rentrer. » Dans la seconde qui suit, la Bruxelloise opère un aller-retour express vers son auberge de jeunesse pour attraper All Around the World, son 45 tours de l’artiste, et revenir à l’hôtel, où elle l’attend en jouant de l’harmonica. Il débarque finalement dans un SUV bling-bling, flanqué de son garde du corps. « Le temps que je fasse les trois pas qui me séparaient de lui, je tremblais tellement d’émotion que j’ai cassé mon vinyle en deux. J’étais bouche bée, tétanisée, incapable de dire quoi que ce soit. Il m’a parlé de Jésus, je n’ai pas osé lui dire que je n’étais pas croyante. Je suis repartie avec sa signature, heureuse et en larmes. »

Sa plus grosse claque:

Les claques viennent lorsque des proches meurent trop tôt. Je pense en particulier au décès de ma tante. »

Jam avortée et band en solo

Au retour de sa première expérience outre-Atlantique, la chanteuse et guitariste a la chance de recroiser les Américains de Mama’s Boys lors d’un festival à Charleroi. Le début d’une belle amitié qui voit la première fixer des dates en Belgique aux seconds, qui lui proposent en retour d’enregistrer une démo chez eux. La voilà, la fameuse troisième étape de son programme initial. « En rejoignant si jeune un groupe professionnel, j’ai zappé l’étape « punk » – passage obligé des débuts d’un musicien – , les nuits à dormir par terre et les concerts dans des clubs pourris qui vous paient vingt euros. J’ai directement eu droit à ma chambre d’hôtel, à des contrats gérés par un booker et à des tournées en van. » Ghalia s’offre quelques séjours chez l’Oncle Sam et en profite pour se mettre sérieusement à la guitare. Elle progresse en traînant dans les petits bars du Mississippi, au contact de génies anonymes ayant eux-mêmes appris aux côtés d’immenses pointures du blues, et qui cultivent cette culture du partage de ce savoir. « Bien sûr, on m’a parfois fait gentiment sortir de scène après une seule chanson quand ce n’était pas bon, alors qu’en jam, on en laisse généralement trois ou quatre. Je me disais à chaque fois que je ne ferais plus jamais de sit-in aux States. Puis j’ai changé de technique et j’ai surtout arrêté de boire de la vodka avant de jouer. »

Dates clés

  • 2003: « Je touche ma première guitare, à 11 ans. »
  • 2011: « Je tente une école de jazz à Laeken (entre-temps, elle a fermé), où je suis les seuls cours de solfège, d’arrangement, de piano et de contrebasse de ma vie. Mais je n’accroche pas à la théorie et j’abandonne. »
  • 2010: « Je travaille au magasin de musique Keymusic où je rencontre les membres de mon premier groupe, Ghalia and The Naphtalines. »
  • 2019: « J’intègre les Billboard Blues Charts pour la troisième fois avec l’album Let the Demons Out. La musique est officiellement devenue mon métier. »
  • 2021: « Je passe enfin le permis puis je conduis jusqu’à quinze heures par jour pour effectuer une tournée de mon projet One Woman Band dans plusieurs Etats américains. »

Les hasards des shows et des réseaux l’amènent à se lier au label Roof Records, qui lui conseille de s’installer aux USA. Au fond, pourquoi faire en Belgique ce qu’elle réussit déjà au pays du blues? « J’ai rejoué quelques semaines rue de Tabora puis, quand j’ai eu assez d’argent, je suis partie définitivement. » Pour se lancer et former un groupe à elle seule, accompagnée de musiciens qui viennent et repartent. Un sacré défi. « Grâce à mes concerts dans les clubs et les heures passées à observer, je pense que j’ai dépassé le statut d’usurpatrice. Je n’ai pas appris le blues derrière un ordinateur dans ma chambre, je suis partie gamine pour maîtriser mon boulot. » Pour sortir trois albums, aussi. En 2020, la pandémie la force toutefois à se réinventer. Ghalia propose à son label d’écrire un album entier en solo, guitare à la main et batterie au pied. Ni chez elle, ni dans un studio, mais à bord de trains qui traversent les déserts, les montagnes de grès rouge et les marais de Californie, du Wyoming ou du Colorado. Elle revient après un mois avec douze titres qu’elle expérimente, enregistre avant de s’en aller jouer en se faufilant entre les restrictions sanitaires des Etats. En train, de nouveau. « C’est le projet le plus fou de ma vie. Il me fallait une batterie et trois amplis donc, dans chaque ville où je débarquais, je téléphonais à gauche à droite pour trouver le matériel. Tous les jours, je passais de mon motel miteux à une scène, puis je revenais en Uber et je déchargeais deux chariots de brol, seule. »

A l’approche de ses 30 ans, en voyant les concerts et les tournées se succéder, la Saint-Gilloise prend conscience aujourd’hui du chemin parcouru, elle, la petite jeune sans accent du Sud ni lien avec les Etats-Unis. Surtout qu’elle a opté pour le blues, et non la pop. « C’est des vieux bazars, pas une musique populaire qui fonctionne en Europe, c’est plus difficile de faire son trou. D’ailleurs, je sais que je vais devoir garder une certaine constance dans ce que je fais pour tenir le coup au long cours. » Et, cette fois, c’est garanti, sans faux billet.

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