A la sortie d'un Comité de concertation, en mars. © Belga

Port du masque: pourquoi le timing et la communication laissent à désirer (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Et soudain, le port du masque est devenu obligatoire dans les commerces, jeudi 9 juillet sur le coup de 20h. Une nouvelle fois, une décision tombe du ciel pour bien des Belges.

Et soudain, le port du masque est donc devenu obligatoire dans les commerces, les cinémas et les espaces fermés… L’annonce est tombée un jeudi 9 juillet à 20 heures… La décision peut s’expliquer en raison de la crainte d’une résurgence de l’épidémie et en raison d’un relâchement du respect des mesures de distanciation sociale. Elle ne tombe pas de nulle part: plusieurs experts le recommandent plus que fortement depuis des semaines, des bourgmestres avaient pris les devants (Olivier Maingain en tête, à Woluwe-Saint-Lambert) et la Première ministre elle-même a annoncé plusieurs fois, en conférence de presse suite au Conseil national de sécurité et à la Chambre, que ce pourrait bientôt être le cas. Mais le timing est une nouvelle fois particulier. Ainsi que le mode de communication.

Pourquoi donc communiquer un soir de vacances, si tard, sans menace imminente de seconde vague? Pourquoi cette annonce abrupte, alors que la Première ministre, Sophie Wilmès, s’exprimait à la Chambre l’après-midi même, ne laissant entendre qu’au détour d’une petite phrase la mesure qui allait arriver?

Le risque? Qu’une décision de bon sens devienne inaudible ou contestée.

Plusieurs raisons expliquent sans doute cette annonce décalée.

La complexité du pays

Sophie Wilmès rappelait hier à la Chambre que « la complexité de notre pays freine, parfois, les décisions ». Un euphémisme. Tout le monde se souvient encore de la conférence de presse consécutive au premier Conseil national de sécurité, fin mars, entamée à 22h passées après plus de trois heures de direct télévisé montrant des chaises vides. Il s’agissait de présenter le premier plan de confinement, ce qui n’était guère aisé. Bien sûr, il y avait eu un décision, pour tout le territoire belge qui plus est, mais la nécessité d’accorder toutes les sensibilités (entre Flandre et Wallonie entre nationalistes, libéraux et socialistes etc) avait immanquablement freiné le processus.

Cette fois, le contexte est particulier: le gouvernement fédéral ne dispose plus de pouvoirs spéciaux lui permettant de gérer la crise sanitaire. Il faut donc se concerter, d’autant plus. La décision d’élargir le port obligatoire du masque a dû faire l’objet d’un Comité de concertation entre le fédéral et les entités fédérées, et sera validée par un Conseil national de sécurité électronique. Pratiquement tous les partis (seuls le CDH, le SP.A, Groen, le Belang et le PTB ne sont dans aucune majorité) et tous les niveaux de pouvoir doivent être d’accord avant qu’une décision ne soit communiquée. Et l’on ne parle même pas de ces experts qui ont occupé une place centrale tout au long de la crise du coronavirus.

Le football-panique

C’est pratiquement une tradition en politique belge – et en politique, au sens large, à l’ère de la communication en mode permanente : les décisions se prennent sous le coup de la pression, souvent en mode panique. Dans le cas du port du masque obligatoire, les pressions se multiplient depuis plusieurs semaines, mais en ordre dispersées. Quelques bourgmestres ont pris les devants, quelques experts le demandaient avec insistance, ainsi que quelques parlementaires d’opposition (combien de fois la CDH Catherine Fonck n’a-t-elle pas posé la question).

Ce qui s’est accéléré, c’est la crainte d’une seconde vague, au vu de quelques expériences en Espagne et au Portugal. Ce qui a changé, c’est le consensus qui a grandi : plusieurs partis ont mis le sujet sur la table à la Chambre et le Conseil supérieur de la santé a émis une recommandation en ce sens (mais qui l’écoute, d’habitude ?). Ce qui a changé, c’est la crainte que l’on ne reproche le manque d’anticipation si une seconde vague arrivait, et ce alors que les soldes débutent bientôt et… qu’une commission parlementaire spéciale sur la gestion de la crise débute ses travaux.

La conjoncture du moment

La Belgique ne dispose pas de gouvernement fédéral majoritaire de plein exercice et cela n’aide pas. Si tout le monde se lasse des pérégrinations du trio de missionnaires qui tente de former une coalition, il faut rappeler que cela paralyse fortement l’action politique.

Pour évoquer le chaos des dernières heures relatif aux retours de vacances, Sophie Wilmès a largement renvoyé la balle aux Régions et Communautés, compétentes pour la prévention de la santé. Et pour casue: les compétences en dentelels sont partagées, à la limite du compréhensile, mais les gouverneent régionaux… ont l’avantage d’avoir une majorité Cette posture de la Première a d’ailleurs, peut-être, joué sur le déblocage soudain du port du masque obligatoire.

Le mode de communication

Enfin, pour susciter l’adhésion aux décisions, le mode de communication est important. La première conférence de presse tardive, en mars, avait contraint un travail pédagogique acharné dans la foulée. La deuxième communication du Conseil national de sécurité, confuse avec un power point incompréhensible, avait suscité des critiques. Sophie Wilmès avait repris la main et corrigé le tir. Mais plusieurs décisionsont ensuite été prises de façon inattendue (songeons à l’autorisation de se rendre dans les résidences secondaires), suite à des pressions et sans trop d’explication, au point de provoque le scepticisme.

Depuis que l’épidémie décroît, les signaux sont à nouveau confus. Sur le mode relax : profiter de vos vacances, respecter les distances barrières. Puis sur le mode poigne de fer : zones rouges, masque obligatoire… Le tout via des canaux improbables : un site des affaires étrangères non actualisé à temps, un porte-parole interfédéral contraint de justifier le difficilement justifiable en direct télévisé, un communiqué de presse tardif…

Comme quoi, on n’apprend pas toujours de ses erreurs.

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