Alexander De Croo
Alexander De Croo © Belga

Vers une circonscription fédérale? « Les politiques iraient s’expliquer dans l’autre communauté »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’Open VLD a relancé l’idée d’une circonscription fédérale. Le système belge des partis qui ne se présentent que devant leur communauté reste une exception, explique la politologue belge Ruth Dassonnevillle (université de Montréal).

Ruth Dassonneville, obliger des candidats à défendre leur programme dans l’ensemble du pays dans le cadre d’une circonscription fédérale, est-ce une bonne manière de réconcilier les citoyens avec le politique?

Ça pourrait surtout être une façon d’instaurer un débat entre les partis et les présidents de parti des deux côtés de la frontière linguistique. Cela les inciterait à s’expliquer à l’autre communauté, au lieu, par exemple, de laisser le «framing» du discours politique francophone aux partis flamands. Ce serait aussi un outil pour inciter les médias à couvrir plus en détail les partis et les programmes de l’autre communauté.

La Belgique ne compte pratiquement aucun parti national: est-ce vraiment une spécificité?

Oui. Dans d’autres contextes, il est fréquent que des partis régionalistes se présentent dans une région seulement, comme le Bloc québécois au Québec ou le Scottish National Party en Ecosse. Mais que le système de partis soit entièrement distinct entre les deux groupes linguistiques, c’est unique.

Ces questions ne se posent donc pas au Canada, par exemple?

Hormis les partis régionalistes (c’est le cas du Bloc québécois), tous les autres cherchent à obtenir les sièges dans l’ensemble du pays et présentent des candidats anglophones et francophones.

La Belgique connaît une dynamique centrifuge depuis plusieurs décennies. Est-ce envisageable d’opérer un mouvement inverse?

Ça me semble très difficile, justement parce que la dynamique centrifuge agit un peu comme un cercle vicieux. Deux systèmes de partis vont de pair avec deux espaces médiatiques et deux opinions publiques. C’est le résultat d’années de séparation et d’absence de véritables débats communs. Renverser entièrement cette dynamique me semble compliqué et requiert un consensus politique, improbable vu la grande fragmentation politique.

Ruth Dassonneville © National

Pensez-vous que les électeurs francophones voteraient massivement pour des candidats néerlandophones et vice versa?

C’est difficile à prédire. Cela dépendrait de la stratégie des partis. Si les partis de gauche veulent voir un gouvernement situé plutôt à gauche, est-ce qu’ils se coordonneront pour mettre un candidat en particulier en avant? Et inciter leurs électeurs à voter en fonction des préférences idéologiques plutôt que de l’identité régionale? Un autre facteur rend cela imprévisible: on ne sait pas à quel point il y aurait un véritable débat national. Et à quel point ça serait un débat sur l’idéologie, des positions sur des enjeux, ou un débat plus personnalisé, sur la compétence (qui est le plus apte à être Premier ministre).

Donner un délai d’un mois au formateur accélérerait-il la formation des gouvernements?

Je n’en suis pas certaine. Il me semble que la raison principale pour laquelle la formation d’un gouvernement prend beaucoup de temps, c’est la fragmentation des résultats. Identifier la personne la plus populaire ne changera pas la donne en soi lorsqu’il s’agira de trouver un accord entre des partis qui disposent ensemble d’une majorité.

Identifier la personne la plus populaire ne changera pas en soi la fragmentation du paysage politique.

Ruth Dassonneville

Peut-on imaginer d’autres manières d’accélérer le processus?

Rendre le système électoral moins proportionnel. De chaque côté de la frontière linguistique, les votes seraient moins dispersés entre un grand nombre de petits partis. Même avec des résultats électoraux très différents, avec moins d’acteurs, il devrait en principe être plus facile de trouver un accord. Cela pourrait se faire par des ajouts d’éléments plus majoritaires, comme un seuil électoral plus élevé ou un bonus de sièges pour le premier parti.

Plus nombreux, les électeurs néerlandophones ne risquent-ils pas d’imposer leurs choix aux francophones?

Ce n’est pas évident. Mais notez que le fait que les partis qui, selon les sondages, obtiennent le plus de votes en Flandre n’ont pas de partenaire naturel de l’autre côté de la frontière linguistique pourrait potentiellement avoir l’effet contraire. On peut imaginer que les socialistes ou les libéraux flamands, par exemple, mobilisent leurs électeurs au bénéfice d’un candidat francophone de leur famille politique.

La circonscription fédérale est un projet souvent évoqué mais jamais concrétisé. Peut-on espérer qu’elle voie le jour?

C’est peu probable, ne serait-ce que parce que certains partis n’ont aucun intérêt dans cette réforme, la N-VA par exemple. Mais surtout, il y a une path dependency (NDLR: une inertie dans les choix politiques, qui s’inscrivent dans la continuité des choix du passé). Depuis plusieurs décennies, la dynamique est celle d’une régionalisation, une dynamique centrifuge, et on s’est adapté à cette nouvelle réalité.

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